Sur les questions d’architecture et de topographie du monastère, saint Benoît, préoccupé surtout de l’efficacité du service divin et du maintien d’une exigence morale dans la vie quotidienne de la communauté, s’en tient à quelques recommandations générales. Aussi, la Règle se contente d’allusions, à un petit groupe de bâtiments ou de locaux indispensables.
En premier lieu vient l’oratoire, destiné à la prière, où se célèbre l’office divin, et où se chantent laudes et vigiles (cité à de nombreuses reprises à partir du chapitre 11 ; le chap. 52 lui est spécialement consacré). Plus loin, il est question d’un dortoir, commun à tous les frères autant que possible (chap. 22), puis d’un logement à part pour les malades (infirmerie : chap. 36) ; de la cuisine, du cellier et de la boulangerie (chap. 46), et d’un lieu où sont entreposés des livres (ce qui ne signifie pas forcément une pièce spécialisée en « bibliothèque » : chap. 48). En outre, il est suffisamment question de la table et des repas pris en commun (dès le chap. 38), pour qu’on en déduise la nécessité d’un réfectoire. Mais un logement particulier est encore prévu pour la réception des hôtes (hôtellerie) - lesquels partageront, avec les pèlerins, la table de l’abbé ; une cuisine à part leur sera spécialement destinée (chap. 53). Une autre maison est affectée aux novices, qui doivent y étudier, y manger, et y dormir ; quant ils font leur entrée dans la communauté des moines, leurs vêtements sont conservés dans un vestiaire (chap. 58). A l’entrée du monastère, un local est réservé pour le portier (chap. 66). Enfin, l’obligation quotidienne de travail manuel (chap. 46) suppose l’existence d’ateliers, pour les artisans notamment (chap. 57), et pour tous les métiers nécessaires au bon fonctionnement de la communauté (chap. 66). Champs et jardins apparaissent tout aussi incontournables (chap. 46 et 66), ainsi qu’une alimentation en eau satisfaisante, et un moulin (chap. 66).
Mais ce canevas de base est susceptible de bien des interprétations. S’y greffent d’ailleurs les traditions héritées d’autres règles anciennes, auxquelles se sont ajoutées au IXe s. les prescriptions de Benoît d’Aniane. Plus tard intervient l’incontournable réforme clunisienne, qui incite à de nouveaux aménagements - sans compter d’éventuelles influences des réformes ultérieures.
Ainsi, dès le IXe s., on peut s’attendre à trouver encore une salle commune pour l’étude, un vestiaire, un parloir, une cellule pour enfermer les fautifs, des lieux d’aisance, ou des bains. A Saint-Wandrille, une “ domus maior ”s’inscrit entre le dortoir et le cellier : elle contient différentes pièces de travail dont un chauffoir - tandis que bibliothèque et chartrier sont installés dans des galeries de cloître, ou en appendice de celles-ci270. Et vers 820, le célèbre plan de Saint-Gall offre la première illustration du modèle désormais classique, de l’église flanquée d’un cloître entouré de galeries, autour duquel s’articulent trois corps de logis, abritant le dortoir des moines à l’est, le réfectoire du côté opposé à l’église, et le cellier avec la cuisine à l’ouest, susceptibles d’être ravitaillés depuis la cour d’entrée du monastère. Il permet également d’aborder les questions de sépultures, avec l’indication d’un « cimetière des moines » à l’est, derrière le chevet de l’église et le cloître (ill. 50) 271.
Trois siècles plus tard, autour de 1160, l’autre plan fameux de monastère médiéval, celui de Cantorbéry, conserve le schéma centré sur le carré claustral, mais présente un tout autre dispositif environnant (ill. 51)272. Entre les deux, la description du Cluny de saint Odilon dans les années 1030, par le coutumier dit « Liber tramitis », fournit un jalon essentiel, pour un exemple proche de Tournus et organisé sur les mêmes bases, mais toujours différent273.
Cf. GILLON 1988. En ce qui concerne les bains, ils sont prévus uniquement pour les malades dans les règles anciennes : seuls, les bains de pieds sont considérés comme « décents » chez saint Benoît de Nurcie, qui les recommande avant de passer à table ; mais au début du IXe s., Benoît d’Aniane en laisse l’usage à l’appréciation du prieur (pour un rappel historique sur la réforme de saint Benoît d’Aniane, cf. PAUL 1986 : t. 1, p. 115-121).
Sur le plan de Saint-Gall (Suisse : Sankt-Gall, Stiftsbibliothek, ms. 1092) et sur ses liens possibles avec les dispositions de la réforme carolingienne (réfutés par GILLON 1988), cf. HORN - BORN 1979, HEITZ 1980 (en particulier, p. 108-117 et 254-260), et HECHT 1983.
Sur le plan de Cantorbéry (Angleterre, Kent : Canterbury, Trinity College Library, Canterbury Psalter), mentionné dans LENOIR 1852, HORN - BORN 1979, ou HECHT 1983..., cf. WILLIS 1868, GREWE 1991, et GREWE 1996.
Liber tramitis... Sur l’attribution de ce texte, également connu comme « Consuetudines Farfenses », au Cluny d’Odilon, cf. HOURLIER 1961, p. 303-324, qui y voit une description de ce monastère vers 1033-35. Cette description est encore publiée et interprétée dans HOURLIER 1962. La datation du texte proposée par Dom Hourlier (avant 1042, dans les années 1030-1040) et celle de l’éditeur plus récent, P. Dinter (qui le situe entre 1033 et 1040), concordent à peu près.