5. Conclusion

En définitive, les sources écrites et les travaux historiques les plus récents (notamment, la thèse d’Isabelle Cartron-Kawé, pour les XIe et XIIe s.) donnent surtout idée de la façon dont l’abbaye de Tournus a su ménager sa place dans le système des seigneuries locales, tout en conservant, et même en consolidant, un réseau de dépendances étendu, de part et d’autre de la Sâone, mais aussi de l’embouchure de la Loire à la moyenne vallée du Rhône.

Cette politique, qui a dû être menée assez habilement et avec continuité, par plusieurs abbés des XIe, XIIe, et XIIIe s., semble avoir reposé sur trois axes principaux.

Le premier est celui de la revendication de son identité propre et de son ancrage local : notamment sur le plan spirituel, par la vigueur du culte des reliques et des nombreux corps saints d’implantation ancienne. Mais cette attitude signifie aussi l’entretien d’un réseau d’alliances et de fidélités, y compris et de plus en plus, par des liens féodaux, avec les seigneuries, et avec les monastères des environs. Sur ce dernier plan, cela n’aura pas été sans friction avec le plus puissant d’entre eux, Cluny. Mais Tournus aura su préserver sa spécificité face à cet envahissant modèle ; ce qui n’exclut pas pour autant, d’éventuels rapprochements spirituels, et bien sûr, de réelles convergences d’intérêts vis-à-vis du monde laïque, du clergé séculier, ou des nouveaux ordres monastiques.

Les deux autres axes de cette politique sont indissociables du premier, en ce qu’ils légitiment l’autorité acquise de l’abbaye sur le plan local. L’un consiste à entretenir le lien traditionnel avec la royauté française : celle-ci reste lointaine jusqu’à la fin du XIIe s., mais son influence se renforce à ce moment ; et au début du XIIIe s., elle s’implante directement dans le Mâconnais voisin. Le dernier axe consiste à jouer le rapprochement avec la papauté, qui elle aussi, se trouve en pleine phase ascendante. Un jeu habile entre ces deux appuis extérieurs aura permis au monastère, au début du XIIe s., de basculer de son statut d’immunité de tradition carolingienne, à un statut d’exemption pontificale, qui garantit bien mieux son indépendance. Par la suite, la communauté aura bénéficié presque en toutes circonstances, du soutien de ces deux autorités. Peu à peu cependant, à partir de la fin du XIIIe s., les interventions plus directes du roi et du pape font de l’abbé, moins un homme attaché aux intérêts de son monastère et du réseau dépendant qu’il dirige en personne, mais davantage, un administrateur au service d’une politique générale de l’église en France.

En dehors de ces aspects, essentiels pour éclairer l’interprétation des vestiges, les sources écrites nous apprennent peu sur l’organisation interne du monastère et sur ses coutumes propres ; et encore moins sur sa topographie et sur l’évolution de son cadre bâti.