C’est du côté ouest cette fois-ci, qu’un nouvel ensemble monumental vient s’adjoindre à l’église. Il donne accès à une nef plus large que celle de l’an mil, entièrement reconstruite à son tour (ill. 91, et 94 à 103). Cette avant-nef, dont la largeur est celle du chœur, et sans doute de la nef primitive375, comprend deux niveaux voûtés superposés, divisés chacun en neuf travées par quatre robustes piliers maçonnés cylindriques, couronnés d’impostes à tablettes superposées, auxquels répondent des demi-piliers engagés le long des murs extérieurs (ill. 92, et 104 à 107). Au niveau inférieur, que seules éclairent trois fenêtres du côté nord et une au sud (aujourd’hui murée), les piles reçoivent les retombées des voûtes d’arêtes médianes, mais aussi des berceaux transversaux qui couvrent les travées nord et sud ; vers l’est, trois grands arcs donnent sur la nef (ill. 91, 92, et 104).
A l’étage, la hiérarchie des espaces est plus claire, entre un haut vaisseau central coiffé d’une voûte en berceau sur doubleaux, éclairé directement par de larges fenêtres hautes, et des bas-côtés voûtés de demi-berceaux faisant office de contrebutement, et où seuls des jours étroits laissent filtrer la lumière sur les côtés et en façade (ill. 105 à 107). A l’ouest, deux petites tours-lanternes réhaussent les travées latérales de l’étage : la plus septentrionale est voûtée d’un berceau plein cintre ; la plus méridionale l’était également, mais sa voûte a été détruite en 1562376. A l’est, un grand arc triomphal est ménagé dans un massif rectangulaire en relief, appelé traditionnellement « arc de Gerlannus »d’après l’inscription gravée sur un bloc377. Il est encadré symétriquement de deux baies géminées, et de deux portes qui regardent la grand-nef. L’actuel buffet d’orgue de la nef masque les arrachements d’une abside maçonnée en encorbellement, sur laquelle ouvrait cet arc378(cf. ill. 93 et 108). Celle-ci rend explicite la fonction de chapelle conférée à cet espace indépendant, dédié à saint Michel depuis la fin du XVIe s. au moins.
Depuis la cour d’entrée du monastère, l’accès principal au niveau inférieur se fait par un grand portail en façade ouest, auquel un second fait face à l’est, qui dessert la nef entre deux passages prolongeant les bas-côtés (ill. 91) : au XVIe s. encore, le second peut être fermé par des vantaux379. Mais trois autres portes desservent aussi les côtés : au sud, la plus vaste (1,90 m de large), donnait accès à l’aile occidentale des bâtiments claustraux, et de là, au cloître lui-même (elle est aujourd’hui transformée en placard : ill. 91, et 46 et 60) ; les plus étroites (1,20 à 1,50 m de large), ouvraient sur l’extérieur, au sud en avant des bâtiments claustraux (aujourd’hui porte d’entrée principale depuis l’extérieur, par le biais d’un petit vestibule moderne : cf. ill. 46 et 60), et au nord à l’emplacement de l’actuelle place de l’Abbaye (aujourd’hui murée : ill. 46 et 91). La « chapelle Saint-Michel », elle, était accessible à l’origine depuis la grand-nef uniquement, par deux escaliers aujourd’hui disparus, desservant les portes qui encadrent l’« arc de Gerlannus » (ill. 91, 105, 107, 109, et 110).
Enfin, le sol de la salle inférieure était initialement plus bas qu’aujourd’hui : d’après les sondages de J. Virey et J. Martin au début du siècle, sa surface correspondrait au sommet des empâtements de fondation des piles, qu’ils croient avoir trouvés, à la base d’un socle cylindrique en léger relief, 0,55 à 0,60 m en-dessous du sol actuel380 - soit aux alentours de la cote NGF 190,10 m. Ce niveau est déjà plus bas que celui des sols du déambulatoire, et sans doute du transept, à la même époque (cf. supra, A 1, 2.1.1. L’église abbatiale...: description). Mais cette différence se trouve encore accentuée, par le fait qu’on descend apparemment pour pénétrer dans la nef, d’au moins une marche381.
L’hypothèse d’une première nef plus étroite, en fonction de laquelle ont été mis en place successivement le chevet et l’avant-nef, qu’elle reliait l’un à l’autre, avait été présentée par LESUEUR 1966. J. Henriet abonde en ce sens (HENRIET 1992).
Cf. « Mémoyre des dégasts... », in BERNARD 1914 : p. 38.
Cette inscription se répartit sur quatre petites lignes ; les lettres sont parfois mal formées (S gravés à l’envers, notamment), et les mots ne sont pas détachés les uns des autres : «GERLANNS / ABATEISTOMO / NETERIUME / ILE ». On a parfois voulu voir dans « Gerlannus » le nom de l’abbé qui aurait fait construire cette partie du monastère : mais aucune autre source ne signale son nom, et nous verrons qu’il faut attribuer sans hésiter l’étage de l’avant-nef à l’abbatiat de Ardain. Faut-il pour autant l’interpréter comme la signature de l’artiste qui aura décoré ce massif et son arc, pour l’abbé du monastère, comme semble le retenir la dénomination traditionnelle d’ « arc de Gerlannus » ?
Ces arrachements ont été découverts et relevés par C. Sapin et O. Juffard à l’occasion de travaux de réfection de l‘orgue. Cf. SAPIN 1987.
Cf. « Mémoyre des dégasts... », in BERNARD 1914, p. 31 : depuis la « première et petite esglise faisant l’entrée de la grande », « dillec entrant dans la grande esglise avons trouvé les secondes portes emportées et levées et ny est demeuré aulcune chose fors les gonds ». Sur le vocable de la chapelle haute (« Saint-Michel »), cf. idem, p. 38.
Cf. VIREY 1903 - cité par J. Henriet, qui se montre dubitatif sur le rapport établi par cet auteur entre empâtement de fondation et niveau de sol (HENRIET 1992 : p. 122). Pourtant, ces résultats ne nous paraissent pas incohérents.
En 1660 encore, on descend d’une marche entre l’avant-nef et la nef : « il a aussi quelques pierres à changer en la marche qui descend de la première nef en la seconde » (A.D.S.L., B 1274 / 69 : « Visitte de l’abbaye de Tournus et bastiments despendants de ladicte abbaye », 1660).