4. Conclusion : l’abbaye vers le milieu du XIVe s.

Au XIVe s., la principale construction nouvelle de tout le carré claustral, directement accolée à l’église de surcroît, et accessible depuis la grande nef, n’est pas née de l’initiative d’un abbé ou d’un moine. C’est, vers 1340, une chapelle de fondation privée, due à un laïc, simple seigneur des environs, et à vocation funéraire. Cet évènement à lui seul, est emblématique de la mutation opérée depuis le milieu du XIIIe s. Plus largement, les tombes des laïcs gagnent la nef - qu’au XIIIe s. encore, on croyait réservée à la sépulture des abbés. Il n’est pas même exclu qu’elles s’étendent à l’intérieur du cloître, au cœur de la clôture monastique. On mesure le chemin parcouru depuis le XIe s.!

Inversement, s’observe un net ralentissement de l’intervention des religieux dans l’abbatiale et le cloître - limitée à la reprise de quelques fenêtres de l’église autour de 1300, voire au réaménagement d’une des chapelles du déambulatoire du chœur, avant 1350. En parallèle, l’inscription, en plein XIVe s., du nom et de la charge d’officiers du chapitre sur leurs pierres tombales respectives, y compris dans le cloître, montre à quel point l’individualisation des carrières s’est infiltrée au sein du convent. Les absences répétées de l’abbé ne peuvent qu’encourager ce processus de sécularisation.

Vers le milieu du siècle il est vrai, l’effort est porté d’abord sur les fortifications, concernant près des deux tiers de la clôture du monastère, avec de nombreuses tours et salles d’armes : comme en complément des réalisations du XIIIe s., où le souci d’image pouvait être davantage présent dans l’attention prêtée au dispositif d’entrée de l’abbaye. Mais cette fois-ci, alors que s’approche la guerre de Cent ans, la priorité est assurément militaire.

Curieusement, les maçonneries aussi présentent des changements importants. Désormais, seules font l’objet d’un soin particulier les chaînes d’angle, toujours de moyen appareil, portant des traces de taille smillée ou brettelée serrée et régulière, voire, pour le contrefort de la chapelle Saint-Georges, sciée ; mais aussi, les éléments structurels des ogives ou des ouvertures, dont les claveaux sont taillés en long par rapport à la courbe de l’arc. Certaines parties du rempart utilisent encore des blocs de grand module, à l’équarrissage assez régulier. Mais la qualité moyenne du moëllonnage n’est plus celle des XIIe - XIIIe s. On emploie facilement un petit appareil irrégulier, souvent taillé grossièrement au pic, assemblé à joints épais ; on y incorpore même parfois des fragments de terre cuite.

Cela étant, une continuité existe bien sûr avec la période précédente, et il ne faut pas non plus exagérer la rupture. En vérité, notre vision du site, élargie vers l’est, garde sa cohérence par rapport aux données des périodes antérieures. Et une fois de plus, des éléments qui prennent corps à cette époque, semblent renvoyer à des dispositifs plus anciens : ainsi des deux poternes qui percent le rempart, vers la Saône et les jardins, ou du grand bâtiment oriental adossé à l’enceinte, dont l‘emplacement évoque une possible infirmerie. Mais c’est surtout le vocable de la chapelle voisine, dédiée à saint Eutrope, qui suggère une origine aux XIe - XIIe s. : or dans une lecture conforme à la structure des monastères de cette période, elle pourrait avoir servi d’oratoire, à la fois au cimetière des moines, et à l’infirmerie. D’abord augmentée de l’étage du chartrier (au XIVe s., ou avant), puis intégrée dans le logis abbatial, au XVe s. au plus tard, elle demeure jusqu’au XVIIe s. au moins, un lieu de dévotion publique. Dans cette permanence, au-delà de toutes les redistributions, il faut reconnaître le maintien de formes de piété plus anciennes.