Conclusion : évolution d’ensemble de l’abbaye Saint-Philibert, du XIe au XIVe s.

Dans notre parcours du site abbatial, nous avons reconnu, daté et classé, des vestiges répartis sur un peu plus de trois siècle et demi à partir de l’an mil - évoquant même pour finir, le devenir des bâtiments jusqu’à l‘époque moderne. La succession des faits jusqu’au XIVe s., nous est devenue familière.

Dans les premières années du XIe s., le monastère occupe déjà sensiblement l’emprise actuelle. Sans doute réunit-il alors des constructions d’époques variées, et sa disposition d’ensemble paraît assez différente de celle qu’on perçoit actuellement. Mais pour ce premier quart du XIe s., on peut aussi esquisser un paysage monastique, maillé par un réseau d’oratoires secondaires, qui marquent l’espace environnant du signe du sacré.

Un peu avant 1020, une reconstruction d’ampleur affecte le sanctuaire de l’abbatiale. Mais au-delà, c’est un programme beaucoup plus vaste qui est mis sur pied avant 1030, aboutissant en quelques décennies, au remplacement de toutes les constructions anciennes autour du cloître : vers 1100, plus rien ne subsiste, dans l’église et les bâtiments claustraux, du dispositif antérieur. Neuf cents ans plus tard au contraire, autour de l’an 2000, l’organisation des bâtiments actuels reste celle définie à cette époque, et les campagnes du XIe s. se reconnaissent aux élévations de l’église, de la galerie nord du cloître, et de ses ailes ouest et est. Un tel dessein paraît avoir été sous-tendu par une réforme essentielle, où nous avons cru percevoir l’influence clunisienne. Elle se sera traduite aussi par une recomposition générale des espaces, polarisés sur le sanctuaire de la grande église, et distribués entre religieux et laïcs, vivants et défunts.

Le XIIe s. et la première moitié du XIIIe s. restent fondamentalement fidèles à ces schémas. Mais les moines ne cessent de refaire, d’agrandir, d’embellir, dans un souci affiché de prestige, imposant leur représentation au monde, à un moment où l’abbaye jouit pratiquement d’une autorité sans partage. Du carré claustral, il n’est pas un bâtiment, à commencer par l’église, qui n’ait bénéficié à un moment donné d’une restauration, voire d’une reconstruction, partielle ou totale, tandis que le décor est largement renouvelé. Mais c’est aussi pour cette période, qu’on commence à avoir une vision plus précise du reste du monastère, jusqu’à l’enceinte du côté occidental, dont les deux tours d’entrée actuellement préservées, remontent au XIIIe s.

Un siècle plus tard, vers le milieu du XIVe s., la menace de la guerre de Cent ans explique qu’on se soit consacré avant tout aux fortifications - essentiellement du côté est cette fois-ci, ce qui agrandit à nouveau notre vision du site. Mais quelques restaurations sont aussi entreprises, qui suggèrent éventuellement des dispositifs plus anciens, comme pour la chapelle Saint-Eutrope, entre église abbatiale, et peut-être, cimetière des moines et infirmerie. Toutefois, de manière plus générale, l’initiative des moines paraît s’être émoussée, tandis que le convent semble atteint par l’esprit séculier. Le fait le plus marquant alors, est cette intrusion plus pressante des laïcs, qui peuvent être maintenant à l’origine d’une construction monumentale au sein même du carré claustral, à des fins de dévotion privée. Visiblement, une mutation s’est opérée dans leurs rapports avec la communauté, entre le milieu du XIIIe s. et les années 1330.

C’est justement vers des laïcs que nous allons nous tourner maintenant - en fait, vers cette catégorie particulière des dépendants de l‘abbaye - à travers l’analyse du bourg de Tournus, en plein développement dans ces trois siècles et demi.