Concentrant notre attention sur l’abbaye, nous ne nous sommes pas encore préoccupés de la communauté des hommes qui lui est rattachée, à l’extérieur de son enceinte. Nous en sommes restés au peu que nous sachions à la veille de l’an mil, à ce Tournus incertain désigné par les textes comme « castrum et villa ». Stimulée par la croissance et la prospérité du monastère, une agglomération qu’on va bientôt qualifier de « bourg », se développe pourtant au sud de l’abbaye, le long d’une « grand-rue » (« magnus vicus ») parallèle à la Saône, qui doit perpétuer à peu de chose près le tracé de la voie romaine primitive : elle englobe le quartier du « Châtel », noyau méridional fortifié, hérité de l’antique castrum. On ne commence à saisir sa constitution qu’à partir du XIIe s. ; mais à la veille de la guerre de Cent ans, elle affiche sa pleine identité urbaine. De cette période subsistent au moins deux églises, et différents restes d’habitat en élévation.
De Saint-Julien-de Balleure au chanoine Curé, les principaux ouvrages sur Tournus laissaient une place réduite à cet ensemble et à ses habitants. Au moins quelques vues cavalières, plans, et gravures pittoresques, livraient un aperçu du paysage urbain pour la période XVIe - XIXe s. Les études les plus importantes sur le sujet ont vu le jour au cours du XXe s. : mais elles s’attachent pratiquement toutes à des sujets particuliers, d’où une impression de parcellisation de l’information. Jusqu’à ce jour, aucun auteur n’avait vraiment dressé un tableau d’ensemble du développement de la ville819. Enfin, les observations des historiens de l’art, très limitées en ce qui concerne l’habitat, laissaient présager l’intérêt d’un recensement plus systématique et d’une analyse plus poussée des vestiges en élévation.
C’est cette prospection la plus large possible que nous avons tentée sur le terrain, avant de détailler quelques études de cas. En partie effectuées au gré des opportunités, ces dernières n’ont concerné que des maisons ; mais les édifices religieux bénéficiaient déjà d’une documentation plus fournie.
Dans le développement qui suit, notre première tâche est donc de présenter le dossier historique en un ensemble cohérent. Il nous faut nous pencher sur les premières mentions et les premières images, et faire sortir de l’ombre, peu à peu le bourg et ses habitants. Puis l’étude archéologique de la ville retiendra l’essentiel de notre propos : ses résultats seront analysés en deux temps successifs, en fonction des deux périodes entre lesquelles se répartissent les vestiges : XIIe s. et début du XIIIe d’un côté, fin du XIIIe et début du XIVe de l’autre.
Pour être exact, une tentative en ce sens a été proposée par l’architecte F. Quénard dans les années 1970, dans le cadre d’une étude commandée par le Secrétariat d’Etat à la Culture, en vue de la création d’un secteur sauvegardé (qui n’a jamais abouti). Nous avons pu consulter sa documentation, mais les principaux résultats en ont été présentés dans un article : QUENARD 1977. Cette réflexion d’un urbaniste du XXe s. ne manque pas d’attrait : mais faute d’une méthode historique et archéologique solide, elle verse trop souvent dans l’interprétation hâtive - du moins en ce qui concerne le moyen âge. Aussi ne peut-elle servir de référence en la matière. Plus récemment, l’ouvrage publié par P. Garrigou-Grandchamp sur les maisons de Cluny au moyen âge (GARRIGOU-GRANDCHAMP et al. 1997) prétend brosser en préambule, entre autres petites villes de la contrée, un tableau du Tournus médiéval : celui-ci n’est justifié par aucune source, et plusieurs éléments s’avèrent erronés.