1.1.2. Aspects juridiques et sociaux

De fait, la ville reste tributaire du système seigneurial, dans lequel elle s’insère parfaitement. Celui-ci, lors de sa mise en place au cours des Xe-XIIe s., ignore toute différence ville-campagne. Aussi le territoire urbanisé est fragmenté au gré des dépendances de personnes, dont les statuts varient tout autant.

Plus qu’en milieu rural sans doute, l’autorité ecclésiastique y est présente ; mais la noblesse laïque, qui n’en est pas exclue, peut y figurer aussi par l’intermédiaire de ces hommes au services des maîtres des lieux, qui tendent à leur tour à s’entourer de leurs propres fidèles822.

En fin de compte, c’est dans les bourgs de développement récent, qu’un ensemble de privilèges communs, clairement délimités, donne sa plus grande cohésion à la population. Peu à peu, ce modèle s’étend aux autres groupements urbains, qui obtiennent divers aménagements juridiques de la part de leurs seigneurs respectifs, à partir de la fin du XIe s. et surtout au cours du XIIe s. Lesrevendications des populations sont parfois portées par des mouvements de « communes », unissant les habitants liés par un serment collectif. De nombreux conflits (notamment dans les seigneuries éclésiastiques) ponctuent la lente prise de conscience d’une spécificité urbaine.

Cette dernière est corollaire dela montée en puissance de ce qu’on appelle dorénavant la « bourgeoisie ». Apparu vers l’an mil, le mot « bourgeois » (« burgens ») désigne initialement tout habitant bénéficiaire des privilèges du bourg823. Mais à la faveur de cette évolution, il vient s’appliquer, avant la guerre de Cent ans, aux membres d’une classe typiquement urbaine et en pleine expansion, celle des métiers liés à la production artisanale et au négoce, pour laquelle le maniement du numéraire prend de plus en plus d’importance ; certains atteignent même un beau niveau de fortune. Les deux derniers tiers du XIIIe et le début du XIVe, voient alors la montée en puissance de l’élite bourgeoise, qui consolide son emprise sociale par l’accès à une partie de l’autorité publique, formant ce qu’on appelle habituellement le « patriciat ».

Toutefois, le roi et les puissants qui affermissent leurs pouvoirs dans la même période, cherchent à garder la main sur l’administration urbaine, voire à y renforcer leur emprise, et donc à contrôler ces familles, quitte à se heurter à elles dans quelques cas. D’une manière générale, la crise latente entraîne un raidissement des attitudes avant la guerre de Cent ans. Mais le fait urbain dans sa diversité est devenu une réalité incontournable, et reconnue comme telle.

Notes
822.

Cf. par exemple à Reims le cas des chevaliers au service de l’archevêque : DESPORTES 1979.

823.

Certains sont exclus de ces privilèges, et à ce titre, ne peuvent prétendre à la bourgeoisie : c’est le cas des juifs, comme le souligne DUBY 1953 (1988), p. 271, et souvent, des « pérégrins » ou «aubains », étrangers à l’agglomération, de passage ou installés depuis trop peu de temps.