Le traité de 1202 mentionne un certain nombre de droits et d’obligations des habitants, de façon parfois énigmatique. Par la suite, divers conflits éclatent à propos des privilèges de l’abbaye et d’officiers du chapitre, ou de leurs agents : ils explicitent alors l’énoncé de 1202 - mais révèlent également d’autres redevances, dont nous ignorons l’ancienneté. Il s’agit de droits économiques, impôts en nature, ou de plus en plus, en numéraire, destinés en principe à l’entretien de la seigneurie. On se contentera ici d’en rappeler la liste. En revanche, on ne connaît pas grand chose sur les obligations de personnes, corvées ou devoirs de guet et de garde sur les murs de l’abbaye842.
Certains impôts acquittés initialement en nature, sont liés directement au fonctionnement et au ravitaillement du monastère, et semblent fort anciens: le droit du doyen sur le premier bœuf à la boucherie n’est attesté qu’en 1202, alors qu’il est lui aussi supprimé ; le droit de joyeux avènement de l’abbé, mentionné en 1384 seulement, et le droit de l’hôtelier pour l’entretien de ses dortoirs, révélé en 1422 alors que les Tournusiens tentent de l’abroger (d’où procès), font partie de la panoplie habituelle des monastères bénédictins (dans le second cas, il semble qu’à l’origine, chaque chef de famille ait dû léguer un lit à son décès, avant qu’une taxe équivalente soit venu le remplacer). Il faut y ajouter le droit du cellérier sur la pêche pour alimenter la cuisine des moines, confirmé par Louis VII en 1171843.
Ce dernier droit implique la possibilité pour les habitants de pêcher dans la rivière malgré le privilège de l’abbaye en la matière (depuis 1019, cf. supra, seconde partie : le site abbatial...I. Le contexte historque... 3.4.2. Territoire, dépendances et revenus). En fait, les pièces des procès consacrés à ce sujet à la fin du moyen âge révèlent les limites techniques imposées par les moines aux habitants afin de défendre leur prérogative844.
Mais en tant qu’autorité ecclésiastique, le monastère prélève aussi la dîme. Celle-ci apparaît tard dans les textes concernant Tournus, mais d’une manière générale, cette redevance due à l’église sur les récoltes est fort ancienne. Sont citées à Tournus la dîme des vins à la fin du XIVe s., et celles des blés (ou céréales) et des guèdes au XVe s., à l’occasion de contestations parfois acharnées des habitants sur leur prélèvement.
Parmi les impôts en numéraire figure d’abord la taille, levée à titre exceptionnel, qui apparaît en 1171 : elle fait alors l’objet d’un conflit entre l’abbaye et les habitants, au même titre que la main-morte. C’est le jugement de Louis VII en 1171 qui vient préciser les conditions dans lesquelles l’abbé est autorisé à la percevoir : elle est destinée à porter secours au roi, ou à couvrir un certain nombre de frais exceptionnels du monastère.
Le cens, lui, est institué en 1202 à l’intérieur de la ville uniquement, pour racheter la main-morte. Le montant de cette redevance varie en fonction des dimensions des lieux occupés, maisons, espaces vides ou jardins (« plastros et hortos »), ou encore étals de commerce - taxés au double des précédents : tous sont mesurés à la toise à cette occasion.
Il faut ajouter à ces droits principaux, sur lesquels se cristallisent les passions, les droits de mutations (lods et ventes), dont nous ne savons pas grand-chose : la « ventaria » est simplement mentionnée dans la charte de 1202, et le prévôt perçoit en 1329 la « tierce partie des louz que l’on doit pour raison des vendues et des gagies que l’on fait à Tournus dedans les termes de la Chambarerie »845.
D’autres droits sont liés plus directement au commerce. On les connaît assez mal, à part le bichonage sur les blés importés, cité dans la charte de 1202, et dont un tiers va au prévôt et deux tiers au chambrier de l’abbaye en 1329. A la même date, la reconnaissance de fief du prévôt énumère les prélèvements qu’il opère sur les denrées des foires et marchés, ou plus généralement, sur celles qu’on « décharge et vent à Tornus ».
Enfin, il convient de rappeler l’existence, comme dans toute seigneurie médiévale, des banalités. Pour la période qui nous intéresse, elles concernent les fours et moulins, nommés dans la charte de 1202846. Le prélèvement sur les fours provoque un nouveau conflit entre le monastère et les habitants à la fin du XIVe s.
Pour conclure cette revue, notons que ces redevances appellent l’existence d’agents spécialisés pour les lever, au service des moines - voire de leurs propres officiers, comme ces sergents au service du prévôt cités en 1329 (supra, seconde partie : Le site abbatial... I. Le contexte historique... 4.2. « Familia » et ministériaux). Seuls les collecteurs de la dîme sont explicitement cités, fort tard il est vrai (en 1512) ; mais n’oublions pas non plus les jaugeurs et marqueurs qui font passer les marchandises dans la mesure publique847.
Sur la liste qui suit, on se reportera au récapitulatif de JEANTON 1905, «Droits seigneuriaux de l’abbaye ». Cet auteur s’appuie lui-même sur le ms. CHANUET (bibl. Tour.). Cf. aussi DARD 1945 ; mais surtout, l’étude plus détaillée, pour le moyen-âge, de AUMONIER 1970/ Bracconi 1977.
JUENIN, Preuves , p. 169 : « Collecta quae in piscaria ad opus cellerarii coquinae fiei solet, et sicut fieri solet » (« Ce qu’il est coutume de prélever sur la pêche [ou la vente des poissons ?] pour les besoins de la cuisine [dont a la charge] le célerier, qu’ainsi on garde l’habitude de le prélever »).
Cf. AUMONIER 1970 / BRACCONI 1977, et GISLAIN DE BONTIN 1995.
Reconnaissance de fief du prévôt : JUENIN, Preuves , p. 243.
Il s’agit alors, pour les fours et moulins comme pour les ventes et le bichonage (ainsi qu’un droit sur le sel ?), du rétablissement, en échange de l’abolition de la main-morte, de droits qui avaient été aliénés. La charte de 1202 précise en effet (JUENIN, Preuves , p. 182) : « In primis enim nobis acquisierunt omnes usagios villae Trenorchiensis, videlicet saunariam, furnos, bichonagium, ventariam, molendina, et nobis ea quitari fecerunt ab eis qui vel ad censum, vel in feodum, a nobis ea tenebant » (« De fait, ils ont commencé par acquérir tous les usages de la ville de Tournus, à savoir la saunerie (?), les fours, le bichonage, les ventes, les moulins ; et ils nous ont restitué cela, eux qui les tenaient de nous, ou à cens, ou en fief »). Pour J. Garnier - et on se rangera volontiers à cette opinion - l’aliénation se sera faite à la fin du XIIe s., sous la pression des dettes qui accablaient l’abbaye : GARNIER - CHAMPEAUX 1918, vol. 1, p. 140.
Au XVIIe s., J. Machoud parle d’un procureur d’office chargé de contremarquer et vérifier les mesures, et d’officiers du grenier à sel ; on notera la précision « l’aune à l’estalon et prototype de fer, appliquée de toute ancienneté au mur du costé droit du portail et principale entrée de l’église Saint-André » (MACHOUD, 1657 : p. 64 - 67). F. Aumônier - Bracconi fait aussi allusion à un « maire » nommé par l’abbé (BRACCONI, 1977, p. 63) ; mais nous n’en avons pas retrouvé la mention d’origine.