La communauté des Tournusiens ne connaît pas d’autonomie. L’administration des hommes relève en somme du principe de justice (qui ne se limite pas à l‘arbitrage des conflits portés devant l’abbé) : les habitants étant les hommes du monastère, l’autorité des moines s’immisce dans tous les aspects de leur vie - d’où cette revue des bourgeois rapportée par Falcon au milieu du XIe s., au cours de laquelle l’abbé surveille leur tenue vestimentaire848. Aussi les Tournusiens ne peuvent s’assembler sans l’autorisation de l’abbé. Toute réunion d’ailleurs, a lieu à son appel, à l’intérieur du monastère en général. Et quand les habitants oseront s’attribuer une maison commune, en 1498 seulement, l’abbé les forcera vite à déloger849.
Certes, ils obtiennent peu à peu quelques aménagements (très limités). La charte de 1202 leur reconnaît le droit de porter à l’investiture du doyen la désignation de « gardiens des vignes » placés sous son autorité ; plus tard, on a connaissance de quatre échevins, choisis par l’abbé sur une liste de douze noms que lui présentent les bourgeois. Obligations militaires et montées des tensions font encore apparaître dans la seconde moitié du XIVe s. un « capitaine de ville » (puis un « procureur-syndic » au XVe s.), dont la désignation est encore source de conflit avec l’abbaye850.
Mais l’administration des hommes se fait également par la desserte des paroisses. Or celle-ci est assurée, au XIIe s. encore, par des prêtres désignés par le monastère - c’est clairement confirmé par la Bulle d’Alexandre III en 1179851. Cependant, à la fin du XIIIe s. au plus tard, l’Eglise tente d’imposer des curés indépendants - au grand dam de l’abbé, qui essaie toujours de présenter ses candidats à l’évêque, malgré les prescriptions pontificales852.
Chronique de FALCON, chap. 47, à propos de l’abbé Guillaume, successeur de Ardain (JUENIN, Preuves , p. 27 ; POUPARDIN, 1905, p. 103) : « Hic sibi burgensibus cum suis saepe praesentatis uxoribus, si quempiam vestibus vidisset incultum, primum eum inertiae acriter redargutum, deinde nisi cum pretioso ante se venire ulterius prohibebat ornatu : eademque de uxoribus praecipiebat » (« Quand des bourgeois lui étaient présentés avec leurs femmes, s’il en voyait un qui était négligé dans son habillement, il commençait par critiquer sévèrement son laisser-aller, puis il lui interdisait de se présenter devant lui, si ce n’était paré de précieux atours; s’agissant des femmes, il avait la même exigence »).
BERNARD 1912, p. 39, et BERNARD 1921, p. 112. Il n’est pas sûr que le lieu de réunion des habitants ait été toujours le même : au XVIIe s. encore, l’Auditoire de Justice ou le Logis abbatial apparaissent comme lieu d’usage à l’intérieur de l’enclos monastique ; mais on cite aussi , en ville, la maison du juge ou celle d’anciens bourgeois. La condition est que la présidence revienne toujours à un officier de l’abbé, et ce, non sans la permission de l’abbé ou de son grand-vicaire. Cf. bibl. Tour. : ms. CHANUET, repris par MARTIN 1900, p. 277, BERNARD 1912, p. 39, et BERNARD 1921, p. 110.
MACHOUD 1657, p. 26-29 ; bibl. Tour : ms CHANUET ; MEULIEN 1892, p. 15-16 ; BRACCONI 1977, p. 63-64.
JUENIN, Preuves , p. 176 : « In parrochialibus vero Ecclesiis quas tenetis, liceat vobis Sacerdotes eligere, et electos Episcopo rapraesentare ; quibus, si idonei inventi fuerint, Episcopus animarum curam committat » (« En vérité, dans les églises paroissiales que vous possédez, qu’il vous soit permis de désigner des prêtres, et de présenter les élus à l’évêque ; et que l’évêque, s’il trouve qu’ils conviennent, leur confie la cure des âmes »).
En 1297, on voit l’abbé présenter pour la cure de l’église Sainte-Marie du Chastel un de ses moines à l’évêque de Chalon : celui-ci le refuse, et nomme à sa place un curé de plein exercice « prout in litteris Apostolicis ex parte dicti Presbyteri impetratis plenius continetur : quibus litteris obedire volumus » (« dans la mesure où les lettres Apostoliques précisent à propos dudit prêtre, que celui-ci doit donner pleine satisfaction : c’est à ces lettres que nous voulons obéïr ») (JUENIN, Preuves , p. 228).