3.2. L’occupation du territoire urbain : les paroisses, leurs églises-mères, et quelques établissements périphériques

A l’intérieur ou non d’une enceinte urbaine, les textes mentionnent, on l’a vu plus haut, au moins deux oratoires dans Tournus. Par ailleurs, l’existence de véritables paroisses est attestée par le droit de nomination qu’y exercent les abbés. Regardons maintenant ces éléments comme composantes du territoire urbain.

Il semble qu’il y ait eu seulement deux paroisses à l’intérieur du bourg : elles ont justement pour siège les deux églises déjà citées - au XIIIe s. en tous cas de façon sûre. Un pouillé de l’abbaye vient le confirmer en 1623, qui compte à Tournus même les deux seules cures de Saint-André et de Sainte-Marie-Magdeleine - alias « sanctae Mariae de Castro »871. Il faut cependant leur ajouter une paroisse extérieure, dont le siège est à Lambres, mais qui doit s’avancer aux marches de l’agglomération.

Le « Châtel » n’apparaît comme paroisse qu’en 1215, et son siège est explicitement situé dans l’église Sainte-Marie en 1297. Au début du XVe s. au plus tard, le vocable de « Sainte-Marie-Madeleine » supplante celui de « Sainte-Marie »872.

Le vocable de Saint-André, lui, n’émerge qu’en 1119 : mais la bulle qui le mentionne utilise à son endroit le terme d’« ecclesia », et non de « capella », réservé à de simples chapelles ; en outre, c’est le seul sanctuaire retenu à l’intérieur de la ville comme appartenance de l’abbaye873. En tous cas, le traité de 1215 confirme explicitement sa fonction : même s’il désigne son desservant comme simple « chapelain  » (« Philippum capellanum S. Andreae »), il parle sans ambiguïté, à deux reprises, de la « messe paroissiale » (« missam Parrochialem ») - ainsi que des mariages et autres cérémonies dignes des compétences d’une paroisse urbaine.

Quant à la paroisse de Lambres, dont l’abbaye possède le village éponyme depuis le XIe s. au moins, elle n’est citée comme « parocchia » qu’en 1270874.

Faisons son sort ici à l’évocation, dans le texte de 1215, d’un prêtre « de la Pêcherie » (« Landrici de Piscaria sacerdotis »), qui pourrait suggérer l’existence d’une autre paroisse en bord de Saône. Aucune allusion n’est jamais faite dans aucun autre texte à cette éventualité - ni même au moindre oratoire dans ce secteur : en 1215, le prêtre Landric n’est-il pas simplement originaire de ce quartier ?

Aucune de ces données on le voit n’est bien précoce : les textes sont presque muets sur ce sujet pour le XIe s.

Précisons enfin la situation de ces paroisses et de leurs églises-mères. Le cœur de la première est bien sûr dans l’ancien Castrum, et nous verrons qu’une église médiévale subsiste en élévation au milieu du vieux quartier romain (infra, II. Etude archéologique de la ville. A2. Les points forts de la topographie religieuse... 1.1. L’église Sainte-Marie-du-Châtel...). Mais elle s’étend sans doute de part et d’autre : juste à l’extérieur de la « porte du Châtel », sur la route de Mâcon, elle pourrait déjà intégrer un hôpital pour les pauvres attesté en 1377, apparemment dédié à saint Jean-Baptiste, et dont l’origine nous échappe875 (il figure sur la vue cavalière publiée au XVIe s. par Saint-Julien-de-Balleure : ill. 5 ; cf. aussi ill. 320). D’après le manuscrit Bompard, cette paroisse aurait couru au nord jusqu’au ruisseau du bief Potet, qui l‘aurait séparée de celle de Saint-André ; cet auteur intègre aussi plusieurs hameaux et lieux-dits extérieurs, mais il semble qu’il se place après l’abandon de Lambres, à la fin du XVIe s. (cf. ci-après).

La seconde paroisse s’étend plus au nord. L’emplacement de son église Saint-André est bien connu : elle se dressait avant la Révolution sur l’actuelle place Carnot, 300 m au sud du monastère (ill. 14). D’après le manuscrit Bompard, sa paroisse aurait compris toute la partie nord de l’agglomération, avec la Pêcherie, « à l’exception de ce qui était renfermé dans l’enceinte de l’abbaye »876.

Quant à la paroisse de Lambres, elle aurait, selon Juénin, englobé très tôt les hameaux de Lambres et Bellené, sur les hauteurs qui entourent la vieille ville, à proximité immédiate de celle-ci (lieux-dits « la Julienne », « l’Ambre » et « Belnay » sur les ill. 11 et 12) ; peut-être aussi ceux de Morincas, Costaldas, et Villanas, cités par la charte d’Henri 1er en 1059877. Elle devait comprendre aussi, au sud de Tournus, sur une légère éminence au-dessus de la route de Mâcon, la chapelle Saint-Martin (cf. ill. 11, 12, 13) : attestée en 1377, mais peut-être bien plus ancienne, celle-ci figure sur la vue cavalière de Saint-Julien-de-Balleure (ill. 5). Le manuscrit Bompard suppose qu’elle ait été primitivement paroissiale, à cause de découvertes de vestiges d’un cimetière (en 1852, notamment) : mais cela ne prouve rien. En contrebas sur le bord de la route, la léproserie attestée au XVe s. pourrait correspondre à la maladrerie de Saint-Clair, citée dans le même document en 1377 : on ignore tout de son origine878. Cette paroisse devait être ressentie comme faisant partie de Tournus dans la mesure où elle s’étendait aux faubourgs de la ville. L’église, dédiée à saint Denis, et le hameau de Lambres ont disparu à la suite des guerres de religion : ils figurent encore sur la vue cavalière de Saint-Julien-de-Balleure (ill. 5)879. Les vocables de Saint-Martin et de Saint-Denis prèchent en faveur d’une origine fort ancienne pour ces deux oratoires, qui peuvent être, comme Saint-André d’ailleurs, d’anciennes chapelles de l’abbaye (cf. supra, seconde partie : le site abbatial... II. Etude archéologique de l’abbaye. A1. L’abbaye dans le premier quart du XIe s. 4.2.2. Saint-Laurent et le problème des chapelles monastiques).

Notes
871.

« Pouillé des bénéfices qui dépendent de l’Abbaïe de Tournus », JUENIN, Preuves , p. 311.

872.

En 1215, le « traité par Arbitres entre le Célerier de l’Abbaye et le Chapelain de S.André de Tournus » parle d’un curé du Chastel : « Guillelmi Vicarii de Chastel » (JUENIN, Preuves , p. 184). Le titre de 1297, lui, mentionne explicitement « la cure de l’église Sainte-Marie du Chastel de Tournus »  (« curam et regimen Ecclesiae Beatae Mariae de Castro Trenorchio ») : JUENIN, Preuves p. 228 (« Guillaume III de Bellevevre. Titre pour la Cure de la Magdelène »). 

C’est en 1446 qu’apparaît pour la première fois le nom de Madeleine, dans la « Bulle du Pape Eugène IV pour la Paroisse de Ste Marie Magdelène de Tournus » : JUENIN, Preuves , p. 269-270. Peut-être le vocable primitif de Sainte-Marie désignait-il déjà, en réalité, sainte Marie-Madeleine, par opposition à la Vierge honorée à l’abbaye ?

873.

Bulle du pape Callixte II : JUENIN, Preuves , p. 145.

874.

XIe s. : Lambres est cité dans la charte d’Henri 1er en 1059 (JUENIN, Preuves , p. 127). 1270 : Reconnaissance de fief par Joceran de Courtiambles (JUENIN, Preuves , p. 217).

875.

Ses bâtiments sont cédés aux Récollets en 1613, date à laquelle l’hôpital est transféré à l’intérieur des murs, dans l’ancienne maison du prévôt. Des vestiges subsistent aujourd’hui du couvent des Récollets du XVIIe s. (dont l’église, désaffectée : avenue du 23 janvier / rue de Saône).

La première mention de l’hôpital, en 1377, se trouve dans le testament de Nicole Ligeron, veuve de Simon Delaforêt, bourgeois de Tournus, d’après JUENIN, I, p. 194. C’est en 1461 qu’il est situé explicitement dans la paroisse de Sainte-Marie-Madeleine (Accord entre le curé de la paroisse et le recteur de l’hôpital Saint-Jean-Baptiste : A. hosp.T., C 1). Sur l’histoire de l’hôpital de Tournus, cf. DARD 1928, et A. hosp.T., A3 (histoire manuscrite écrite au XVIIIe s.).

876.

Sur les deux paroisses et sur l’église Saint-André, vendue comme bien national en 1793, et démolie en 1805, cf. bibl. Tour. : ms. Bompard, t. I, p. 179 et 181. Sur l’église Saint-André, cf. aussi BERNARD 1911, p. 54-55, et DARD 1950.

877.

JUENIN, I, p. 88.

878.

Testament de Nicole Ligeron, femme de Simon de Laforest, en 1377 : JUENIN, I, p. 194.

Sur ces deux établissements, cf. DARD-JEANTON 1941 : Saint-Clair, p. 115 - 117 (pour la maladrerie) ; Saint-Martin, p. 117 - 119.

879.

Cf. bibl. Tour. : ms. Bompard, t. I, p. 184, BERNARD 1912, p. 21, et surtout DARD-JEANTON 1941, p. 82-83. A. Bernard prétend que l’église Saint-Denis de Lambres est à moitié ruinée dès le XIIIe s. : mais la référence qu’il donne dans l’ouvrage du chanoine Juénin ne correspond pas à cette période. C. Dard et G. Jeanton, eux, interprètent un passage du Mémorial de l’abbé Bérard (JUENIN, Preuves , p. 187), qui concerne la réfection d’une chapelle Saint-Denis et de sa tour (« capellam sive turrem S. Dionysii ») en 1223, comme la reconstruction du clocher de l’église de Lambres : c’est une possibilité, mais il peut aussi s’agir d’une autre chapelle (à l’abbaye notamment).