Après cette approche par les textes, notre première tâche sur le terrain aura donc été de repérer les vestiges médiévaux à travers la ville. Concrètement, pour ce qui précède le XVe s., il s’agit de deux églises, et de restes d’architecture civile.
Dans un milieu actuellement habité, où l’on ne pénètre pas à sa guise dans des propriétés privées, cette prospection initiale, limitée à des éléments visibles de l’extérieur en élévation, ne pouvait pas prétendre à l’exhaustivité. Au moins l’examen de ces vestiges, aussi minutieux que le permettaient les conditions de leur approche, et illustré par une couverture photographique aussi complète que possible, a pu s’accompagner, pour onze bâtiments civils précisément, de relevés en plan et en élévations, plus ou moins détaillés, partiels ou plus complets selon les circonstances de notre intervention (cf. les ill. 280, 283, 286 à 289, 293, 297 à 303, 306 à 308, 322, 337 à 341 et 344, 349 à 351, 355, 362, 363, 366, 367, 370 à 374, 379, 390 à 393). Quant à l‘apport des fouilles, il est ici minoritaire, puisque nous avons seulement eu la possibilité de pratiquer quelques sondages restreints à l’intérieur de parcelles d’habitat, et de surveiller des tranchées de drainage à l’Hôtel-Dieu, lors de son aménagement en musée. Aussi les données du sous-sol demeurent-elles fragmentaires (cf. les ill. 28 à 30 et 33, et 297, 301 et 306, 349 à 351, 355, 362, 367, 371).
Mais notre raisonnement s’est construit également sur la base des plans cadastraux, actuels et du XIXe s. L’organisation des centres anciens trahit des contraintes passées, et l’on y devine par exemple, plus qu’on ne le lit réellement, le tracé d’une enceinte disparue, ou parfois d’un cours d’eau. L’exercice est cependant délicat, la datation de ce qu’on croit voir se dessiner est aléatoire, et les risques d’extrapolation sont nombreux. Il s’agit là plutôt d’une réflexion d’arrière-plan, qui accompagne l’analyse des vestiges, et doit permettre la prise en compte de leur environnement topographique : elle ne doit entacher leur interprétation, ni d’a priori, ni d’anachronismes.
Au total, nous pensons avoir dégagé deux ensembles cohérents par la chronologie, des XIIe - XIIIe s., et XIIIe - XIVe s. : le premier regroupe les édifices religieux et quelques maisons bien cernées, et le second, un grand nombre de vestiges civils, parfois ténus, mais présentant entre eux des parentés fortes. Dans le détail, il s’est avéré souvent plus difficile de proposer des datations précises pour l’habitat urbain, que pour le site abbatial, du fait de la dispersion des éléments et de l’absence de liens physiques directs, de la pauvreté des chronologies relatives et de la moindre originalité des modèles d’une ornementation limitée, dont les processus de diffusion sont mal connus ; enfin, les textes sont muets au sujet des maisons. Pourtant, les deux périodes mises en évidence à travers des datations plus larges, permettent de saisir une évolution d’ensemble, qui n’est pas sans résonnance avec celle retenue pour le monastère.
Cela dit, la question de la représentativité de ces vestiges est plus cruciale encore, car ils restent peu nombreux au regard de l’étendue de l’agglomération. Or leur répartition est inégale. Ils sont absents par exemple, du quartier de la « Pêcherie », pourtant le mieux documenté par les sources écrites aux XIIIe - XIVe s. D’un autre point de vue, la conservation en élévation aura profité exclusivement à la construction maçonnée, et on pourrait avoir des doutes sur l’existence d’une architecture de bois, dont subsistent aujourd’hui seulement deux exemples du XVe s. visibles depuis la rue. Or les témoignages du XIXe s., sous forme de descriptions ou de gravures (ill. 263), nous rappellent qu’elle était beaucoup plus importante901. D’une manière générale, on peut craindre que les restes qui nous sont parvenus reflètent une architecture privilégiée.
Ces réserves étant posées, nous pouvons présenter successivement les deux ensembles retenus, détaillant les formes du bâti en conservant à chaque fois une vue plus générale. Pour les deux périodes, nous faisons donc d’abord le point sur les limites de l’agglomération et la question d’une éventuelle enceinte. Puis nous présentons les vestiges, l’un après l’autre ou par petits groupes selon leur importance, séparant s’il y a lieu les édifices religieux publics, qui cristallisent le tissu urbain, de l’architecture civile, et proposant des arguments de datation. Pour passer de l’un à l’autre, nous suivrons à chaque fois le même itinéraire adapté à la topographie des lieux, remontant la ville actuelle depuis son noyau originel, l’ancien castrum devenu « Châtel » au cours du moyen âge, en direction de l’abbaye Saint-Philibert.
Puis nous tenterons pour chaque période une interprétation plus large, et des bâtiments eux-mêmes, et de leurs occupants, essayant de mettre en relation ces éléments les uns avec les autres, afin de retracer un paysage ou une évolution topographique, et même, de livrer quelques indices d’évolution sociale.
A. Bernard évoque notamment la destruction de nombreuses façades en pans-de-bois au XIXe s., dans la partie méridionale de la grand-rue : BERNARD 1911, p. 107.