3.4. Elan d’urbanisation

3.4.1. Un processus différent d’un quartier à l’autre

Tous types de vestiges confondus, on assiste indéniablement, entre la fin du XIIIe s. et le milieu du XIVe, à un renouveau général de la construction domestique à Tournus. Dans l’organisation du tissu urbain, qui tend à couvrir en continu l’essentiel du centre ville actuel, ce frémissement prend des formes différentes selon les quartiers.

Ainsi, le « Châtel  » est un quartier d’urbanisation très ancienne, et la trame orthogonale de son réseau viaire remonte vraisemblablement à l’Antiquité (cf. supra, premièree partie : prémices... B. Tournus avant 875. 2. Tournus antique...). Les maisons dont nous relevons les vestiges n’ont pas été fondées de novo à la fin du XIIIe et au XIVe s. ; ou alors, elles se sont implantées en fonction d’une contrainte préexistante.

C’est donc à un vaste mouvement de reconstruction, ou de restauration, qu’on assiste : il semble se faire dans une certaine unité. Peut-être est-il plus marqué dans les rues principales, dont l’ancienne « rue du Châtel », l’actuelle rue Jules-Ferry, porte témoignage ; mais les aléas de la conservation ont pu la mettre en valeur de manière exagérée. Dans ce quartier qui débordait dès le XIIe s. les limites étroites assignées par la muraille romaine (supra, A1. Limites et fortifications), l’urbanisme est serré, les immeubles ont tous une façade au moins sur rue, les mitoyennetés sont très fréquentes. L’existence éventuelle d’un « pontet » enjambant la rue des Boucheries entre deux maisons se faisant face (aux n° 9 / 11 et 2), voire d’un second à l’autre bout de la même rue (lié à l’immeuble n° 20-22), pourrait traduire de façon vivante cette densité d’occupation, laissant supposer un véritable manque de place.

Il convient d’être prudent au sujet de ces « pontets » : les vestiges du premier sont très ténus, et la datation que nous en avons proposée, à la fin du XIIIe ou au XIVe s., évidemment sujette à caution. Quant au second, il a aujourd’hui disparu : s’il était lié à un édifice dont subsiste justement une salle basse de cette période, il est attesté bien plus tard, et on ne peut assurer la contemporanéïté de sa construction (cf. supra, 2.1. A travers le quartier du « Châtel »...). De fait, ce genre de structure, révélateur d’une forte pression démographique, remonte plus souvent, quand il est conservé, aux XVe-XVIe s. (on en rencontre en Bourgogne dans les bourgs de Saint-Gengoux en Saône-et-Loire, Flavigny en Côte-d’Or...). A Tournus, le quartier du « Châtel » aurait-il connu un tel syndrôme, dès les XIIIe - XIVe s.?

Cependant, les maisons les plus étroites sont celles de la rue Greuze : au moins sur le côté sud, où leur profondeur est pourtant limitée par le cours d’eau de la Gelaine, ou bief Potet. Cette situation laisse supposer une forte pression urbaine, dans un contexte différent de celui du quartier du « Châtel ».

L’explication tient sans doute à l’importance de l’axe de la « grant Gaize », que nous présentions plus haut comme une des voies majeures de Tournus, à l’amorce et au débouché d’une des principales routes d’échange avec les contrées occidentales (cf. supra, I. Le contexte historique : 3.3.2. Réseau viaire et espaces libres). L’animation de cette rue attire à elle différents métiers. Mais la présence du ruisseau de la Gelaine vient en renforcer l’intérêt, en ce qu’il fixe toutes sortes d’activités liées à l’utilisation de l’eau, déjà évoquées plus haut, et dont plusieurs moulins à tan témoignent encore au début du XVIIe s.1080 (supra, 3.1.2. Fonctions du rez-de-chaussée et des étages). La conjonction des deux phénomènes suggère d’interpréter ce secteur comme un important quartier artisanal, dès le début du XIVe s.

Juste à côté, le phénomène observé le long de la rue de l’Hôpital, mais qui concerne sans doute aussi la rue des Lambrois, est encore d’une autre nature. Il semble qu’on assiste ici à la colonisation d’espaces ouverts, pas ou peu occupés avant le milieu du XIIIe s., dans un secteur à l’extérieur nord-ouest de l’ancien castrum, compris en gros entre la prévôté, le bief Potet et la portion occidentale de l’enceinte urbaine. Il n’est d’ailleurs pas certain que cette portion de muraille ait existé avant le milieu du XIIIe s. (supra, A1, 2. Entre « Châtel » et abbaye : une enceinte incertaine...) : il n’est pas exclu que son édification soit liée à cette colonisation.

Dans un premier temps, le mouvement d’urbanisation parti apparemment des abords de la prévôté, voit l’implantation de maisons larges, parfois par couples mitoyens (cas des n° 15 / 17, rue de l’Hôpital ?), mais avec des espaces libres (où quelques fosses et constructions légères peuvent encore témoigner d’une activité semi-rurale). Puis à compter du début du XIVe s., l’espace se restreint progressivement - sans qu’on atteigne les densités d’occupation du « Châtel » ou de la « grant Gaize ». Cette avancée se fait tout de même assez rapidement (une soixantaine d’années au maximum, sépare les maisons 15 / 17, rue de l’Hôpital, de la maison n° 19, cf. supra, 2.3.1. A l’origine de la « petite Gaize » : les maisons de la rue de l’Hôpital...). De surcroît, l’alignement des façades, malgré l’ordre discontinu de leurs édifications, ainsi que les parentés d’aspect, qui s’étendent également à la maison 9, rue des Lambrois, laissent supposer une opération concertée.

Celle-ci pourrait être à l’origine de la « petite Gaize », l’actuelle rue de l’Hôpital, gagnée sur des terrains humides en pente douce vers la Saône, formant primitivement le vallon du ruisseau voisin. Peut-être, l’actuelle rue des Lambrois apparaît-elle à ce moment. Les façades des nouvelles maisons en formalisent le tracé.

Pour le quartier Saint-André, le bâtiment dans l’actuelle cour du 66, rue du docteur Privey, pourrait relever des processus d’urbanisation antérieurs. Mais l’essentiel des vestiges, aussi ténus et dispersés soient-ils, traduit un étoffement des abords de la grand-rue. Celui-ci est confirmé par la forme en lanière de la parcelle 61, rue du docteur Privey.

Le quartier de la Pêcherie, lui, demeure toujours en creux, malgré quelques rares témoins d’ouvertures, qui ne sont peut-être même pas à leur place d’origine. Pourtant, ses rues sont mentionnées dès le début du XIVe s., et son existence est sans doute plus ancienne. Il semble que les petites maisons du XVIe et du XVIIe s. qui composent aujourd’hui l’essentiel de ce quartier, aient fait table rase des vestiges antérieurs. L’une des explications pourrait être la pauvreté des habitants, susceptibles d’avoir logé dans des constructions de bois ou de terre. Seules, des fouilles permettraient éventuellement d’éclairer cette énigme.

Notes
1080.

BERNARD 1912, p. 53.