2-4 Maurice Halbwacks (1877-1945)

Elève de Durkheim, Halbwacks est davantage un sociologue qu’un philosophe. Il s’est intéressé à la mémoire en réfléchissant aux cadres sociaux et à l’organisation du temps qui préside à « l’appartenance au passé » c’est à dire à la localisation dans le temps. « Le plus sûr moyen, dit-il dans les Cadres Sociaux de la mémoire en 1924 , de faire s’ envoler le plus grand nombre de souvenirs, n’est-ce pas de battre les buissons, de suivre les fossés et d’explorer les routes du passé, c’est à dire de parcourir les grandes divisions du temps, de remonter d’année en année, de mois en mois, de jour en jour et reconstituer heure par heure tout ce que nous avons fait dans une journée ». La localisation des souvenirs, pour peu qu’elle soit précise, implique des cadres sociaux et une organisation du temps qui est en grande partie elle-même l’œuvre de la société. Nous savons tous la date de notre naissance et plus ou moins situer la date de notre première communion pour ceux qui l’ont faite (nous en reparlerons), de notre entrée en 6ème, du service militaire pour ceux concernés, des examens et concours passés. Ces évènements jalonnent les routes du passé et nous servent de poteaux indicateurs dans la poursuite de nos souvenirs. Citons Albert Burloud  qui fait de ses idées cette synthèse en 1948 dans son Cours de Philosophie : « le passé individuel se relie par de multiples correspondances au passé cosmique et au passé humain : nos souvenirs personnels s’inscrivent dans les marges du grand livre où l’humanité tient ses fastes et que nous avons à chaque instant l’occasion de feuilleter. Le temps, divisé d’abord en fonction des grands rythmes célestes et telluriques qui scandent la vie de l’Univers, s’humanise et se socialise dans les chronologies, les calendriers, les anniversaires qui commémorent le passé des hommes. De tel évènement qui nous est survenu nous disons : « c’était à Pâques », « ou l’année de l’exposition », « quelques mois avant la déclaration de la guerre ». D’autre part toute société doit s’organiser, s’astreindre à des règles. Les rythmes de la vie collective divisent notre durée personnelle, y introduisent périodiquement les mêmes conduites et, pour ainsi dire les mêmes rites. Nous disposons ainsi d’un certain nombre de cadres où nos souvenirs viennent d’eux-mêmes s’insérer. Pour me rappeler, par exemple, ce que j’ai fait jeudi dernier, il n’est que de parcourir mentalement l’itinéraire normal de cette journée, qui ramène régulièrement pour moi chaque semaine, les mêmes actes et les mêmes obligations. Les souvenirs particuliers s’encadrent ainsi dans les souvenirs schématisés, qui se distribuent à leur tour, en vertu de certains rythmes, en des périodes bien déterminées : les années de collège, les années passées à l’Université. Tout cela constitue en quelque sorte le fichier ou le catalogue de la mémoire. ».