5 La psychologie cognitive

5-1 La théorie multisystème (Tulving, 1972, 1983, 1985, 1993, 1995)

L’opposition entre la mémoire épisodique et la mémoire sémantique (Tulving, 1972) a fait l’objet de nombreuses études. Au début des années 1980, Tulving précise la définition de ces deux systèmes qu’il estime distincts mais étroitement liés (Tulving, 1983). En 1985, il développe l’association entre niveau de conscience et récupération mnésique (Tulving, 1985). Trois niveaux de conscience (anoétique, noétique, autonoétique) sont associés à trois systèmes mnésiques : la mémoire procédurale, la mémoire sémantique (récupération d’informations symboliques sur le monde) et la mémoire épisodique où la conscience autonoétique est nécessaire à la récupération des informations personnellement vécues. Quelques années plus tard, Tulving(1995) propose une évolution de ce modèle en le complétant par deux nouveaux systèmes : la mémoire de travail et le système des représentations perceptives. Le modèle SPI (pour sériel, parallèle, indépendant) tient compte à la fois de l’aspect structural et fonctionnel de la mémoire. Selon ce modèle, l’information est encodée de manière sérielle allant successivement du système de représentations perceptives à la mémoire épisodique, puis est stockée en parallèle dans les différents systèmes de mémoire. L’information génère des traces mnésiques dans des régions cérébrales distinctes, et récupérée de façon indépendante dans chaque système sans nécessairement impliquer le rappel dans les autres systèmes.

Concernant le passé lointain, la distinction la plus importante est probablement l’opposition entre mémoire épisodique et mémoire sémantique (tentative de reprise et de synthèse entre la mémoire vraie de James et les idées générales de Bergson). Cette dichotomie fut proposée par plusieurs auteurs dont Tulving dès 1972. Dans les années 1980, il s’agit de deux systèmes distincts structurellement et fonctionnellement. La mémoire épisodique est un système d’enregistrement et de stockage d’évènements personnellement vécus situés dans leur contexte spatiotemporel d’acquisition. La mémoire sémantique concerne la mémoire des mots, des idées, des concepts, des connaissances sur le monde indépendamment du contexte spatiotemporel d’acquisition, Tulving (1983). La nature des relations entre ces deux systèmes de mémoire reste imprécise, ceux-ci étant néanmoins dès cette époque, parallèle quoique indépendants. Ces deux systèmes sont considérés comme des systèmes déclaratifs. En 1985, Tulving propose un modèle d’organisation mono hiérarchique ou un agencement par emboîtement et postule que les systèmes hiérarchiques supérieurs dépendent des systèmes inférieurs, tout en possédant des capacités propres. Le modèle monohiérarchique (1985) est défini comme suit :

La mémoire procédurale concernant la mémoire des habiletés est intégrée dans ce modèle.

Parallèlement, des niveaux de conscience différents sont associés à chacun des trois systèmes mnésiques. La mémoire épisodique est caractérisée par la conscience autonoétique ce qui signifie qu’elle est dépendante de la capacité à revivre l’expérience avec non seulement le souvenir du contexte spatiotemporel d’origine mais également des détails phénoménolo-giques, c’est à dire les pensées, les sentiments, les perceptions présentes lors de l’acquisition de l’événement. La conscience autonoétique permet un voyage subjectif dans le temps et l’espace. La mémoire épisodique est celle qui nous fait nous souvenir (mémoire vraie). La mémoire sémantique est associée à un niveau de conscience noétique où le sujet est seulement conscient de l’information sur le monde et accède au savoir (idées générales). La mémoire procédurale est caractérisée par l’absence de conscience est donc anoétique (habitudes).

Par ailleurs ce modèle hiérarchique témoigne de l’évolution phylogénétique, la mémoire épisodique étant considérée comme la mémoire la plus tardivement acquise (chez l’enfant de 3 à 4 ans).

Par la suite, Tulving (1995) compléta le modèle en ajoutant deux systèmes supplémentaires : la mémoire de travail et le système de représentations perceptives permettant les effets d’amorçage perceptif et lexical.

L’organisation des systèmes du modèle est sérielle, parallèle et indépendante La mémoire épisodique est le seul système qui permet d’encoder des évènements spécifiques personnel-lement vécus avec leur contexte spatiotemporel. Cependant le contenu de l’événement dépend également de la mémoire sémantique, l’inverse n’étant pas vrai.

La mémoire épisodique jusqu’en 1983 est définie par Tulving comme une mémoire autobiographique du fait même qu’elle fait référence à soi. Ultérieurement, Tulving et al. (1988) a suggéré de distinguer au sein de la mémoire autobiographique, une composante épisodique qui contient des souvenirs spécifiques situés dans le temps et l’espace ( je suis arrivée dans le service de Neurologie de st Etienne, le 2 mai 1987 et il neigeait) et une composante sémantique qui regroupe des connaissances générales du passé (l’hôpital s’appelait l’hôpital Bellevue) auxquelles Tulving (1993) ajoute les connaissances de soi (les traits de caractère, les préférences, les choix). Pour Tulving, certains évènements de la vie personnelle souvent répétés (vacances tous les ans au même endroit, sorties avec des amis) sont qualifiés de souvenirs génériques et sont considérés comme épisodiques si leur récupération s’accompagne d’un niveau de conscience autonoétique. Pour d’autres auteurs, ces évènements génériques dépendent clairement de la mémoire sémantique (Cermark,1984 ; Conway, 1993 ; Schacter, 1999). Cermark propose de distinguer les évènements génériques (sémantiques) pour lesquels manquent des détails ou pour lesquels on ne connaît pas les circonstances précises de survenue, des évènements spécifiques, qui sont encore situés dans le temps et l’espace, récupérés avec des détails phénoménologiques, et par conséquent épisodiques. « La mémoire autobiographique doit être associé à la capacité de revivre des évènements spécifiques, personnellement vécus, situés dans le temps et l’espace et récupérés avec des détails phénoménologiques », Piolino,( 2001). Pour Tulving (2002), la mémoire autobiographique épiosdique dépend de trois facteurs : le sentiment du temps subjectif, la conscience autonoétique et un « self » qui permet de se déplacer dans ce temps subjectif.

Le souvenir non biographique des personnes et des évènements publics est considérée par la majorité des auteurs comme une mémoire sémantique faite d’informations générales. Cer-tains auteurs ont estimé que la mémoire des évènements publics contenant des informations contextuelles (qui, où, quand, comment est survenu l’épisode), et notamment la date, relève également du domaine de la mémoire épisodique. Cet aspect épisodique concerne peu d’évènements publics. Il peut s’agir d’une part, d’évènements publics récemment acquis (Cermark, 1984) et d’autre part de certains souvenirs vivaces appelés souvenirs flashes (Brown et Kulik, 1977). Ces souvenirs flashes concernent des évènements pour lesquels on conserve des informations contextuelles sur le moment de leur apprentissage : assassinat de J.F Kennedy, effondrement des Tours du World Trade Center etc. Ceux-ci ne sont toutefois pas des souvenirs autobiographiques puisque le contenu de l’information ne fait pas directement référence à soi (y compris s’il y a une dimension canonique émotionnelle), Larsen (1992). De même, les souvenirs des évènements publics indépendamment du contexte d’acquisition peuvent être associés à un contexte personnel plus général, Snowden et al., (1994).

En résumé, on ne peut se contenter de classer tous les souvenirs personnels dans la mémoire épisodique ni considérer le souvenir des évènements publics uniquement comme une connaissance sémantique particulière.