5-3 Organisation du système sémantique général

Collins et Quillian (1969) sont les premiers à avoir défini les contraintes d’organisation de la mémoire sémantique en suggérant une séparation du lexique (mot-étiquette) et de la séman-tique (sens du mot) et un en définissant un principe de hiérarchie catégorielle. Les concepts avec tous les attributs qui leur sont attachés sont organisés par champ sémantique (les oiseaux parmi les animaux qui eux-mêmes sont parmi les êtres vivants etc…). Seuls les attributs spécifiques (le zèbre a des rayures) sont stockés avec le concept, les attributs partagés par toute la catégorie (les mammifères allaitent leurs petits) étant stockés au niveau générique. Les contenus sémantiques sont multiples. Nous pouvons illustrer cette idée avec le miroir vivant (1926) de René Magritte où dans des nuages (des traces) reliés les uns aux autres sont représentés l’horizon (concept), l’armoire (catégorie manufacturée), les cris d’oiseaux (catégorie naturelle et item vocal) et un personnage éclatant de rire (homme célèbre ou non en action et en émotion) (figure 6).

Figure 6 : Le miroir vivant (1926), René Magritte.
Figure 6 : Le miroir vivant (1926), René Magritte.

Warrington (1975), à partir d’observations uniques, a fait l’hypothèse qu’il existe plusieurs systèmes sémantiques. Warrington et Shallice (1984) ont ainsi rapporté les observations de patients présentant une dissociation entre l’atteinte des connaissances concernant les objets biologiques et le maintien de celles concernant les objets manufacturés. Si ces observations ne sont guère contestables, l’interprétation de ce résultat reste discutée. Caramazza et Shelton (1998) suggèrent une cause évolutionniste à cette dissociation. Warrington et Shallice (1984) suggèrent qu’interviennent aussi les propriétés sensorielles (les attributs sensoriels sont indispensables pour distinguer une fraise d’une framboise) et les propriétés fonctionnelles (une tasse et un bol se distingue par l’anse) des objets ce qui les conduit à dire que le système sémantique est organisé en catégories structurellement et fonctionnellement définies. Warrington et McCarthy (1987) ont également souligné l’intervention possible de l’apprentissage qui se fait selon des modalités différentes (voire à des âges différents) pour les animaux, les fruits ou les ustensiles de cuisine ou outils. Sirigu et al.(1991) proposent l’idée qu’un objet manipulable sollicite une expérience visuelle et sensorimotrice et aurait de ce fait une représentation plus solide.

La position inverse a été soutenue par des modèles cognitivistes, Riddoch et al., (1988) défendant l’idée d’un système sémantique unique constitué de stocks de représentations de modalités spécifiques.

D’autres auteurs proposent l’idée de modèles non abstractifs où seule la mémoire épisodique est représentée, Rousset, 2000. Il n’y a pas alors de représentations stockées mais une reconstruction d’expériences (Atzeni & Carbonnel, 2004). D’après Hintzmann (1984), un seul indice entraînerait la récupération de tous les épisodes enregistrés auquel il aurait participé. Les éléments communs à plusieurs souvenirs s’agrègeraient et formeraient un « écho » équivalent à des données décontextualisées. Ces modèles ne séparent plus perception et mémoire. La réactivation de la trace (donc l’identification) dépendrait de zones stratégiques appelées zones de convergence, convergence en terme de temporalité (simultanéité), convergence en terme de modalité (couleur, forme etc…) et convergence intermodalitaire chargée de la reconstruction d’un événement à partir de toutes les informations simultanées des différents cortex sensoriels. Les cortex associatifs, limbiques et les noyaux sous-corticaux sous-tendraient cette action.La réactivation d’un fragment perceptif réactiverait l’ensemble des zones de convergence impliquées dans l’événement initial. Ces modèles sont séduisants, proche de ce qu’on sait du fonctionnement neuronal et font véritablement de la mémoire un système actif de reconstruction et non plus seulement une zone de stockage et de récupération comme dans « un palais ». Ils restent difficiles à comprendre du point de vue du fonctionnement si on tient compte (et on y est bien obligé) du nombre infini d’expériences. Ces modèles ont l’intérêt supplémentaire de souligner la possibilité de reconstruire avec des zones de convergences et des régions d’écho communes, notre histoire personnelle et celle des évènements du monde.