3 Evènement public, situation dans le temps social et personnel, effet de l’âge et du genre

Dans les études où l’on demande à des sujets normaux comment ils situent dans le temps un événement public, on met en avant deux processus : soit les sujets rapprochent l’événement d’un événement personnel (je rentrais à la faculté) soit d’un autre événement public (l’élection de François Mitterrand), Brown (1990). Une autre stratégie consiste à situer l’événement par rapport aux périodes de la vie personnelle (pendant mes études) ou publique (sous le premier septennat de François Mitterrand), Friedman (1993). Quand il s’agit de dater un fait public, les sujets évoquent d’abord l’année, parfois le mois mais exceptionnellement le jour où il est survenu. Ceci souligne encore un lien étroit et partagé entre mémoire publique et personnelle : la chronologie et/ou les périodes de vie avec des dates sinon anniversaire, symbolique de passages ou d’étapes.

Il est fréquemment rapporté que le temps semble s’accélérer avec l’âge. William James (1892) écrivait déjà : « le même intervalle de temps semble plus petit lorsque l’on augmente en âge ».. Pour certains auteurs, ce sentiment traduirait le fait que les sujets âgés font moins d’expériences nouvelles et produisent moins de souvenirs vivaces se contentant de répéter des expériences passées. Cette répétition sollicitant peu le lobe frontal et les ressources attentionnelles, contribuerait à accélérer le temps, Fraisse (1964). Pour d’autres auteurs l’accélération du temps n’est que le reflet du temps à venir qui diminue, Lemlich (1975). Reste la question de savoir si l’âge intervient ou non sur la capacité à situer des évènements publics dans le temps.

De même, il est évident que les femmes pour des raisons psychosociales et éducationnelles, connaissent mieux les dates d’anniversaire que les hommes ou qu’elles tiennent davantage de journaux intimes, Thompson, (1982). Ainsi Skowranski et Thompson (1990) ont montré en suivant des sujets pendant trois mois que les femmes ont tendance à mieux dater les évènements personnels que les hommes, même s’il y a des différences individuelles. Elles pourraient donc situer mieux les évènements publics dans le temps que les hommes.

Crawley et Pring (2000) ont tenté de répondre à ces deux questions de l’effet de l’âge et du genre sur la datation des évènements publics. Ils ont interrogé ainsi 47 sujets répartis en trois groupes : les 18-21 ans, les 35-50 ans et les 60 ans et plus en 1997. Tous les sujets devaient évoquer 20 évènements survenus de 1990 à 1996. La richesse de l’évocation était notée de 1 à 7. Ils devaient également les situer dans le temps en précisant le mois et la date. Les deux derniers groupes réalisaient le même type de procédure concernant 20 évènements survenus de 1977 à 1989. Dans les deux études, on retrouve concernant la datation un effet de l’âge, chaque fois en faveur des 35-50 ans. Dans la première étude, on retrouve un effet du rappel de l’événement  pour les évènements récents: mieux l’événement est évoqué, mieux il est daté. On ne retrouve pas, par contre d’effet du genre. Dans la deuxième expérience concernant les évènements les plus anciens, lorsqu’ils se trompent, les sujets de 35-50 ans ont tendance à évaluer les évènements plus récents qu’ils ne le sont et les sujets de 60 ans et plus, à les évaluer comme plus anciens. Il n’y a pas non plus d’effet du genre. Il n’y a pas cette fois d’effet du rappel de l’événement mais une interaction âge*rappel : il n’y a pas de différence entre les deux groupes pour dater les évènements bien rappelés mais par contre il y a une différence en la défaveur des plus âgés pour dater les évènements les moins bien rappelés. Donc si le rappel des évènements ne distingue pas les groupes, la situation dans le temps le fait. La bonne performance des sujets de 35-50 ans pour les évènements survenus entre 1977 et 1989 fait discuter pour les auteurs l’impact du pic de reminiscence que l’on a décrit initialement pour les faits personnels. L’effet du genre n’est pas retrouvé, l’hypothèse qu’un meilleur classement temporel des évènements personnels prédisposeraient les femmes à mieux situer les faits publics n’est pas confirmé. Le gradient temporel peut refléter différentes choses ce qui rend la lecture de la littérature difficile, Mayes et al., 1994. Les évènements publiques les plus anciens outre d’être plus anciens peuvent être plus « faciles » que les récents (l’assassinat de Kennedy et l’accident de St Nazaire) et/ou avoir été répétés très souvent (l’assassinat de Kennedy). De plus, ils peuvent avoir été traités différemment selon l’âge des personnes testées ce qui doit rendre les conclusions des études de groupes, prudentes. Le gradient temporel sera également très variable selon le protocole utilisé et peut-être plus marqué pour la mémoire biographique. Ainsi Levin et al., (1985) ont rapporté chez des patients cérébrolésés un gradient concernant les souvenirs biographiques mais pas de gradient dans l’évocation de séries télévisuelles diffusées sur les mêmes périodes.