3-1 L’amnésie bihippocampique

Spiers et al., (2001) propose une revue de la littérature concernant l’amnésie hippocampique reprenant 147 observations de lésions hippocampiques ou du fornix au travers de 179 publica-tions. Les auteurs ont distingué ainsi la localisation des lésions et leur taille. L’hippocampe est constitué des aires CA1-CA4 et du gyrus dentaté. La formation hippocampique comprend l’hippocampe, le cortex enthorhinal et le complexe subbiculaire. Le lobe temporal interne inclue la formation hippocampique, le cortex périrhinal (gyrus parahippocampique antérieur) et le cortex parahippocampique (gyrus parahippocampique postérieur). Un certain nombre de ces lésions diffusent vers l’ensemble du lobe temporal. Les pathologies les plus fréquemment observées sont les anoxies et ischémies qui donnent les lésions les plus sélectives, les traumatismes craniens, les lésions chirurgicales et les atteintes virales (méningite et encéphalite) ou les atteintes auto-immunes (lupus). Classiquement seules les atteintes hippocampiques bilatérales entrainent une amnésie et seules des observations disposant de données anatomopathologiques voire d’imagerie fonctionnelle permettent de trancher. Quelques observations de lésions unilatérales gauches ont été décrites comme susceptibles d’entrainer une amnésie verbale épisodique et autobiographique (Maguire et al., 2000, 2001) et non verbale (Burgess et al., 2001) et plus rarement de lésion droite (Kopelman et Stanhope, 1999). Al’inverse, Fujii et al., (1999) ont rapporté l’observation d’un patient qui après une encéphalite présentait une une amnésie biographique épisodique étendue et sémantique limitée à la dernière période alors qu’il avait peu d’atteinte de la mémoire antérograde. L’amnésie épisodique antérograde est une constante de l’amnésie hippocampique. Par contre, l’amnésie sémantique est plus discutée. Une autre contreverse concerne la reconnaissance de la familiarité, celle-ci dépendrait de l’étendue de la lésion vers l’ensemble du lobe temporal. L’existence d’une amnésie rétrograde a été décrite dans un certain nombre de cas mais il est difficile d’en tirer des données générales car les protocoles d’études sont divers et dans un certain nombre de cas, l’amnésie du passé n’a pas été explorée. Certains patients semblent avoir une atteinte limitée de la mémoire rétrograde à 1 ou 2 ans (Zola-Morgan et al., 1986) tandis que d’autres ont une atteinte très globale (0’Connor et al., 1992). L’étendue est très variable. Classiquement, on retrouve un gradient temporel de Ribot c’est à dire que les souvenirs anciens sont mieux conservés (Marr, 1971 ; Squire, 1992). Ceci suggère que l’hippocampe aurait une intervention limitée dans le stockage de la mémoire, celle-ci étant consolidé après un « certain temps » dans le néocortex. Pour Squire (1992), la consolidation concerne la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. Un certain nombre d’ obser-vations viennent soutenir ce point de vue : le patient RB (Zola-Morgan et al., 1986), les patients GD, LM, et WH (Rempel-Clower et al., 1996). Néanmoins si le patient RB présente une amnésie limitée et une lésion bihippocampique, le patient VC avec des lésions similaires (Cipolotti et al., 2001) présente lui une amnésie très étendue ! Il est possible que des différences subtiles distinguent ces patients : RB présente ainsi une lésion limitée à CA1. L’amnésie rétrograde peut concerner des souvenirs épisodiques (biographiques) ou sémantiques (biographiques et collectif : évènements et personnes célèbres). Les souvenirs biographiques épisodiques sont les plus constamment touchés, les souvenirs sémantiques (personnels et collectifs) l’étant moins et de façon moins sévère. Ceci suggère que l’implication de l’hippocampe est différente pour les souvenirs épisodiques et sémantiques, et serait indispensable concernant les souvenirs biographiques épisodiques toute la vie (Nadel et Moscovitch, 1997 ; Fujii et al., 2000). Pour ces auteurs, l’hippocampe est indispensable pour récupérer des informations vivaces sur des évènements biographiques mais le néocortex peut suffire pour récupérer des informations sémantiques ou suffisamment répétées pour être devenues indépendantes de leur contexte d’acquisition, Rosembaum et al., (2001). En outre, l’amnésie rétrograde pourrait être en lien avec des atteintes associées du fornix (afférences utiles pour l’apprentissage) et du cortex entorhinal et du cortex temporal interne (efférences pour la récupération des souvenirs passés).

Le cas HM est le cas emblématique ce type d’amnésie. Ce patient (alors âgé de 27 ans) fut opéré en 1953 dans le cadre d’une épilepsie rebelle par bihippocampectomie (et une ablation corticale plus large comprenant en particulier la région de l’amygdale). Il s’en suivit une amnésie antérograde massive et définitive (Milner et al., 1968), le patient n’ayant pu acquérir que quelques très rares informations depuis: la mort de son père, le premier pas de l’homme sur la lune ou l ‘assassinat de Kennedy. Le patient H.M pouvait évoquer des évènements personnels jusqu’à l’âge de 17 ans, Corkin et al., (1997). Par contre, il conserva la capacité d’acquérir des habiletés visuomotrices et cognitives de façon implicite du fait de l’intégrité de sa mémoire procédurale et par exemple pu apprendre à danser le rock ! Son amnésie rétrograde évaluée à partir d’événements biographiques a été initialement mesurée à deux ans. Différentes études ont montré, en utilisant entre autres des visages célèbres et des scènes publiques, depuis une amnésie plus étendue de 11 ans correspondant aussi au début de la maladie épileptique (Corkin, 1984). Différentes publications semblent suggérer que l’étendue de l’amnésie est corrélée à l’importance et à la localisation de la lésion (Squire et Zola-Morgan, 1991 ; Nadel et Moscovitch, 1997). Ainsi les lésions bihippocampiques y compris très limitées peuvent induire une amnésie rétrograde de deux ans, Zola-Morgan et al.,(1986). Des lésions plus étendues touchant le lobe temporal interne et externe comme dans l’encéphalite herpétique peuvent conduire à des amnésies rétrogrades beaucoup plus étendues, 20 ans pour le patient RFR (Mc Carthy et Warrington, 1992) et même assez globale pour le patient SS (Cermark et O’ Connor, 1983). Différentes observations soulignent également la possibilité de dissociations entre des secteurs de la mémoire du passé altérés et d’autres préservés. Ainsi le patient SFR a une atteinte massive de ces souvenirs épisodiques personnels mais conservent de bonnes capacités concernant les connaissances générales sur soi, les évènements généraux et certaines connaissances générales (par exemple, il peut se rappeler le sens de mots nouveaux acquis peu de temps avant sa maladie). Le patient LP présente une dissociation proche entre mémoire biographique épisodique altérée et mémoire des évènements publics mieux conservée, O’Connor et al., (1992). Le patient YK présente une atteinte de la mémoire biographique épisodique étendue alors que la mémoire sémantique personnelle n’est altérée que pour la dernière décennie comme d’ailleurs l’évocation d’évènements publics. En outre, le sujet ne peut rappeler des souvenirs spécifiques alors qu’il peut évoquer des souvenirs généralisés, Hurano et Noguchi (1998). Nous avons nous-même rapporté l’observation d’un patient singulier, réparateur d’ascenseur qui avait une amnésie biographique personnelle épisodique massive ainsi qu’une amnésie très importante des évènements publics historiques ou contemporains mais qui conservait une bonne mémoire sémantique personnelle et des connaissances didactiques (moteurs d’ascenseur) intactes, Thomas-Antérion et al., 2002. Certains auteurs pensent que la mémoire biographique épisodique (comme la mémoire sémantique) devient progressivement indépendante de l’hippocampe du fait de phénomènes de consolidation (Squire et Alvarez, 1995). A l’inverse, d’autres auteurs suggèrent que cette mémoire ne se consolide pas et nécessite l’intégrité de l’hippocampe pour se reconstruire tout au long du temps, Fujii et al., (2000). Ceci aboutit que dans le premier cas lors d’une atteinte hippocampique, la mémoire biographique épisodique la plus récente est altérée alors que dans le deuxième cas elle est intègre. Un certain nombre d’études montre que la mémoire biographique la plus ancienne peut être intacte (Zola-Morgan et al., 1986 ; Rempel-Clower et al., 1986) tandis que la plus récente est altérée (Beatty et al. 1988 ; Schnider et al., 1995 ; Mayes et al., 1997 ; Reed et Squire, 1998 ; Henke et al., 1999). Certaines études rapportent toutefois l’observation de patients présentant des amnésies très étendues (Hirano et Noguchi, 1998 ; Cipolotti et al., 2001). Plusieurs biais méthodologiques peuvent expliquer ces données apparamment contradictoires. Premièrement, l’évaluation de la mémoire du passé est souvent insuffisante, Levine et al., (2002). L’autre explication est qu’une lésion de l’hippocampe de suffit pas à entrainer une amnésie du passé lointain et que dans ces cas, il faut une lésion un peu plus étendue. Bayley et al., (2003) pour tenter de répondre à cette question, ont évalué 8 patients ayant dans 6 cas des lésions limitées à l’hippocampe et dans 2 cas des lésions étendues vers le cortex temporal médian et 25 sujets contrôles. Les sujets réalisaient l’AMI de Kopelman et al., (1989) et un questionnaire autobiographique à partir de 24 mots indices avec lesquels les sujets devaient générer un souvenir du premier tiers de leur vie dont on contrôlait la richesse des détails, les latences et les temps de réponses. Les patients et les contrôles ne se distinguent pas dans les deux épreuves y compris par les paramètres temporels. Les seules différences concernent le nombre d’indices que l’on doit donner aux sujets (particulièrement les 2 sujets ayant les lésions les plus étendues). Cette étude et particulièrement les données obtenues chez les deux sujets dont les lésions diffusaient vers la partie postérieure de la région parahippocampique semble contredire l’hypothèse de la théorie des traces multiples et de la reconstruction. Il reste quand même à s’assurer que le contenu des souvenirs (richesse phénoménologique) est le même dans les deux groupes. Par contre, une lésion diffusant vers la partie antérieure du lobe temporale pourrait entrainer une amnésie épisodique massive (patiente GT, Graham et Hodges, 1997).