4-4 Amnésie rétrograde et mémoire des personnes célèbres

Le modèle de Bruce et Young (1986) reste le plus simple pour analyser les observations de la littérature avec un stock de visages connus dans les URF  (Unités de reconnaissance faciale) et un stock de noms de personnes dans les URN (Unités de reconnaissance des noms), et la combinaison de toutes les informations de toutes ces unités dans les NIP (Nœuds d’identifica-tion des personnes). Cette étape est obligatoire pour accéder aux connaissances sémantiques dont l’organisation n’est pas précisée, l’accès au nom propre étant la dernière étape.

Eslinger et al., (1986) rapporte deux observations de double dissociation qui corroborent l’existence des deux voies : une pour les visages et une pour les noms. Le cas EK présente une importante lésion temporale gauche. Il est incapable de récupérer des informations concernant les personnes célèbres à partir de leurs noms mais est encore capable de le faire à partir de leurs visages. A l’inverse, le cas DR qui présente une importante lésion temporale antérieure droite et médiane échoue dans des tâches utilisant des visages célèbres alors qu’il réussit à partir des noms. L’organisation du système serait hémisphère dépendant.

Mc Carthy et Warrington (1992) discute la possibilité d’accès différents à des connaissances sémantiques concernant les personnes avec le cas RFR. Celui-ci lorsqu’on lui présente des visages peut répondre s’ils sont familiers ou non mais n’accède à aucune connaissance sémantique (profession etc…) alors que lorsqu’on lui présente un nom, non seulement il le juge familier ou non mais il accède à un certain nombre de connaissance (profession etc…). Pour ces auteurs, ceci témoigne d’une atteinte entre les URF (capacité d’un jugement de familiarité) et les NIP. Cette atteinte serait « modalité dépendante » alors qu’aucun modèle ne le prédit. Evans et al., (1995) présente le cas VH qui peut fournir des informations sémantiques concernant 39 des 50 noms célèbres présentés alors qu’il n’en produit que pour 11 des 50 visages présentés. Il semble donc exister là encore, une dissociation entre les deux modalités (même si les réponses à partir des visages ne sont pas totalement impossibles).

Haslam et al.(2001) rapporte enfin un cas très illustratif de ce que l’exploration soigneuse d’un cas unique peut apporter aux modèles théoriques. Il s’agit du cas TG, patiente de 36 ans qui présente une amnésie rétrograde et antérograde après une encéphalite herpétique. Les lésions sont massives et impliquent les deux lobes temporaux, prédominant à doite en s’étendant du lobe médian au lobe temporal antérieur et à sa face externe. Concernant la mémoire biographique, la patiente a une amnésie épisodique pour toutes les périodes et une amnésie sémantique pour les vingt dernières années. Les difficultés en mémoire antérograde épisodique sont très importantes. La mémoire sémantique est épargnée avec des performances normales en dénomination, compréhension, fluences, perception visuelle et reconnaissance des visages. La patiente TG a réalisé deux expériences. La première expérience concerne les personnes célèbres. La patiente devait répondre à un questionnaire soit à partir d’une photo soit à partir d’un nom. Le questionnaire était hiérarchique et évaluait quatre niveaux de connaissances des plus générales au plus spécifiques et se terminait pour les visages par un cinquième niveau : le nom. Les visages étaient au nombre de 40, 20 étaient célèbres (sportifs et acteurs). Les noms étaient au nombre de 40. Dans l’épreuve des visages, TG ne parvenaient qu’à répondre à la première étape : familier ou non (p<0,01). Elle retrouvait le nom en choix forcé s’il était présenté avec un leurre mais plus s’il était présenté avec d’autres noms célèbres de la même catégorie sémantique. Par contre, dans l’épreuve des noms, la patiente réussissait pour la familiarité, les connaissances générales et plus spécifiques (p<0,01). Elle n’échouait qu’à la quatrième étape qui consistait à dire si l’acteur était comique ou non et si le sportif était un joueur de tennis ou non. Cette première expérience permettait de souligner la dissociation comme dans les observations précédentes entre accès aux connaissances sémantiques par les visages ou les noms des personnes célèbres. La deuxième expérience concerne à la fois des personnes célèbres et des proches de la patiente présentés avec des inconnus. Il s’agissait de nouveau de répondre à un questionnaire hierarchisé selon deux modes de présentation : photos et noms. Concernant les visages, la patiente réussissait les deux premiers niveaux de questionnement concernant tous les deux la familiarité : connu/inconnu (p<0,001) et familier/ célèbre (p<0,001). Elle ne répondait pas mieux que dans la première expérience aux autres questions. Pour les noms, TG était plus performante, identifiant les noms connus ou non, des proches ou des célébrités, et s’il s’agis-sait d’amis ou de parents et conservaient des détails sur ceux-ci (p<0,01). Cette observation souligne premièrement la nécessité d’élaborer un modèle dont les connaissances sémantiques puissent être considérées comme modulaires et deuxièmement que le traitement des noms célèbres et des noms de proches au moins par les aspects décrits dans ce travail utilisent des voies similaires.

Enfin Ellis et al., (1989) discutent l’organisation sémantique des différents traits sémantiques concernant les personnes célèbres et l’organisation plus générale des connaissances concer-nant les noms des personnes célèbres et d’autres noms célèbres. Ils évaluent le cas KS, femme de 40 ans , épileptique temporale ayant subi une lobectomie temporale droite assez étendue. Cette patiente a des performances normales en mémoire biographique sauf lorsqu’il s’agit d’identifier ses proches. Ses performances visuoperceptives sont normales et elle obtient par exemple des performances normales dans l’épreuve des visages de Warrington, les épreuves d’appariemment et la reconnaissance des émotions faciales. Elle est déficitaire dans l’identification des célébrités pour toutes les modalités : les visages (et ce d’autant plus qu’ils sont moyennement célèbres), les noms, les voix, l’épreuve mort-vivant. La désorganisation chez cette patiente concernerait toutes les unités conduisant au NIP. De plus, cette perte sémantique concerne d’autres noms propres suggérant que le statut du nom de personne n’est peut-être pas traité isolément. Ainsi elle avait des performances altérées lorsqu’il s’agissait de situer le pays où se trouvait un monument célèbre (Le Louvre, le Kremlin etc… avec un score de 12/20), de définir quel était l’animal de fiction dont on lui fournissait le nom (Lassie, Moby Dick etc… avec un score de 9/22) ou encore de définir le produit correspondant à une marque célèbre(les cycles Raleigh etc… avec un score de 21/34).