2-3 Discussion

L’événement du 11 septembre 2001 est particulièrement bien rappelé par les sujets contrôles, quel que soit leur âge, leur genre ou leur niveau culturel. Il est fréquemment générateur de souvenir flashe (98,1% des cas). Il est évident qu’il combine l’inattendu, le spectaculaire, la surprise, l’émotion et des conséquences immédiates sociales, planétaires voire personnelles si l’on retient même les symptômes de stress post-traumatique (Talarico et Rubin, 2003).

Les patients Alzheimer même à un stade léger et modéré de la maladie ont des difficultés pour rappeler les faits de l’actualité (Sagar et al., 1991 ; Thomas-Antérion et al., 2000). Les données de la littérature concernant l’existence d’un gradient temporel sont contradictoires mais le plus souvent un gradient respectant la loi de Ribot est rapporté et les patients oublient davantage les faits les plus récents combinant des difficultés d’encodage, de consolidation et de récupération (Moscovitch, 1982 ; Sagar et al., 1988 ; Beatty et al., 1988, Hodges et Graham, 1998, Thomas-Antérion et al., 2000). L’absence de gradient pourrait être lié au stade plus avancé de la maladie. Les patients ont déjà dans notre étude d’importantes difficultés à rappeler l’évènement. Trois quart de nos patients se distinguent des témoins en obtenant un score inférieur à 5.

Les patients sont globalement plus performants dans les épreuves de reconnaissance que de rappel puisqu’ils ne se distinguent plus des témoins dans celle-ci et récupèrent le souvenir de l’évènement sauf deux fois et confirment ainsi les données de la littérature (Kopelman, 1989, Thomas-Antérion et al., 2000).

Un quart des patients de notre groupe situe mal l’évènement dans le temps et a tendance à le juger plus ancien qu’il n’est (Sagar et al., 1988).

Les difficultés les plus nombreuses sont notées dans les réponses aux questions de détail soulignant le souvenir parcellaire qu’ont les patients de l’évènement. Les études qui ont porté sur les évènements célèbres (Sagar et al., 1988 ; Kopelman, 1989) ont toutes montré une perte globale de connaissances. La question portant sur le nom des protagonistes est la plus déficitaire. L’accès au nom propre est une difficulté précoce dans la maladie d’Alzheimer (Wilson et al., (1981) ; Beatty et al.,(1988) ; Hodges et al., (1993) ; Greene et Hodges (1996)).

L’importance de l’évènement dans les médias et dans les discussions avec d’autres pourraient expliquer aussi le maintien de certains souvenirs flashes (Wright et Gaskell, 1995). L’impact social de l’événement jouerait alors un rôle primordial (Finkenauer et al., 1998) corrélé à l’émotion suscitée par ce dernier (Luminet et al., 2000). L’émotion interviendrait ainsi à deux niveaux : au moment de l’encodage et pendant ses reconstructions. L’événement que nous évaluons remplit toutes les conditions pour générer des souvenirs flashes : il est surprenant, a un impact planétaire considérable, a été de multiples fois, raconté aux individus et par les individus eux-même et bien sûr est chargé en émotion. Ceci explique que 98% des sujets contrôles quel que soit leur âge, leur genre ou leur niveau culturel génère un souvenir flashe. Dans une perspective évolutionniste, le souvenir de cet évènement pourrait être considéré comme parmi les souvenirs les plus sensibles de l’histoire récente, nécessaire à la survie de l’espèce (Brown et Kulik, 1977 ; Guy et Cahill, 1999).

Le fait que les patients Alzheimer génèrent moins de souvenirs flashes que les témoins et que lorsqu’ils en génèrent un , celui-ci a tendance à être moins détaillé et moins complet (des dimensions canoniques peuvent manquer), nous paraît pouvoir s’expliquer par l’effet conjugué d’une perte des souvenirs évènementiels, de difficultés précoces de mémoire contextuelle ou de mémoire de source et d’une moins bonne mémoire biographique. Les patients Alzheimer pourraient aussi présenter des modifications émotionnelles amygdaliennes et de ce fait des modulation différentes de l’amygdale sur le lobe frontal et les régions préfrontales.

En pratique courante, l’évaluation du souvenir qu’ont les patients du 11 septembre 2001 et la capacité à générer un souvenir flashe pourrait être une recommandation utile pour repérer des patients susceptibles de présenter une maladie d’Alzheimer.