3 Prise en charge spécifique

Le diagnostic d'amnésie fonctionnelle fut posé et expliqué au patient comme un blocage « des souvenirs », souvent sous l’emprise d’un choc émotionnel intense. Une prise en charge neuropsychologique empirique et centrée sur la récupération des souvenirs fut proposée c’est à dire dans le domaine de plaintes du patient. Celui-ci accepta en parallèle de voir un psychiatre tous les mois pour faire le point sur son état thymique qui restait bon et afin qu’il comprenne bien que la prise en charge neurologique ne se substituait pas à un éventuel travail psychothérapique. Les séances duraient une heure et avaient lieu tous les 15 jours. Un entretien était systématiquement proposé ensuite à son épouse. Le patient commençait toujours la séance par le récit des souvenirs qu'il avait récupérés et des conditions dans lesquelles cela s'était passé. Ensuite avait lieu des « exercices » d’association (et de mémorisation) de mots à partir de thématiques qu’il avait exprimées, voir de mots qu’il avait répétés. Il continuait ce type d’exercice chez lui dans des temps très limités de la journée.

On découvrit au cours du quatrième entretien l’organisation de la famille de F.F, marié à une épouse âgé de 15 ans de plus que lui, avec laquelle il avait deux filles (10 et 14 ans) et 3 belles filles (33,30, 28 ans) qu’il avait « élevées » au début de son mariage et dont il n’avait jamais parlé jusqu’alors. Sa deuxième belle-fille était enceinte et ceci « souciait » beaucoup son épouse.

L’épouse nous apprit également que son mari supportait mal leur deuxième fille, assez « vive », la grondant souvent et ayant avec elle des propos violents. Elle avait remarqué en particulier qu’il supportait très mal qu’elle se regarde trop souvent dans la glace comme les adolescentes de son âge.

Les souvenirs ne revenaient pas régulièrement mais par période et de façon groupée. Le plus souvent, le sujet se rappelait de « quelque chose » (sans savoir pourquoi), et ce quelque chose entraînait d'autres souvenirs. Ce phénomène que le patient qualifiait de "flash" survenait souvent au réveil, où lorsqu'il lisait des documents mais très rarement quand un tiers lui racontait quelque chose. Deux éléments étaient clairement facilitateurs. Le patient, à de très nombreuses reprises, alors qu'il lisait un livre d'histoire, se "revit" faire un cours (se revit donc acteur) sur le thème et se mit à "raccrocher" des souvenirs personnels survenus dans cette période. L'autre élément facilitant était contextuel, un souvenir générant un autre souvenir au contexte spatiotemporel ou au contenu proche : le souvenir d'un anniversaire générait le souvenir d'une autre soirée avec les mêmes amis ou le souvenir d'une balade de montagne générait le souvenir d'une autre balade dans une autre montagne. Les souvenirs furent récupérés de façon chronologique. Il se disait toujours sûr et certain que ce dont il se souvenait s'était réellement passé. En deux mois, le patient avait récupéré les 20 premières années de sa vie. Les cinq mois suivants, il récupéra ses souvenirs progressivement mais garda une amnésie totale des douze dernières années de sa vie. La récupération de ces derniers souvenirs se fit en quinze jours, 9 mois après le début des troubles. Le patient ne retrouva pas ce qui s'était passé le jour de l'épisode mais se rappela d'évènements pénibles survenus dans cette période. La récupération était variable. Deux seules tentatives d’incitation furent tentées et efficaces. Le patient évoqua son anniversaire en août et il lui fut suggéré que cette période particulière pouvait faciliter le rappel de souvenirs ce qui fut le cas. De façon plus « expérimentale », on s’autorisa à vérifier si le phénomène se reproduisait au moment de l’anniversaire du neurologue (en septembre…) et ceci fonctionna comme un contre-transfert réussi !

Lorsque le patient retrouvait des souvenirs, il précisait que ceux-ci étaient très précis et très riches phénoménologiquement puis s'estompaient les jours suivants. Il pût par exemple se rappeler un pique-nique familial et décrire la tenue vestimentaire précise de son épouse qui ne s'en rappelait pas (mais qui était, après recherche,cohérente avec l'époque de la scène), détails qu'il ne pouvait plus préciser les jours suivants.

Enfin, il présenta à trois reprises des phénomènes étonnants d'ecmnésie. Tout d'abord, se promenant dans la ville, il eut du mal à retrouver son chemin, le plan de circulation ayant été entièrement modifié depuis quelques années. Il décrivit des immeubles qui avaient été démolis depuis 10 à 12 ans. Un matin au réveil, il dessina la carte du continent africain avec les frontières et les capitales telles qu'elles étaient en 1989 ! Enfin, ayant été au collège, il se revit y diriger un conseil de classe (qui s'avéra être celui de1990) et cita les noms de tous les professeurs et de beaucoup d'élèves y participant !

Le patient eut la consigne de lire des romans ou de voir des films ayant trait à des problèmes de conversion ce qui n'entraîna aucun changement ! D'autre part, il lui fut suggéré de réaliser dans la journée, des associations libres de mots, ce en particulier au moment du coucher en allant même jusqu’à les écrire. Plusieurs fois, on évoqua avec lui la possibilité de la levée d’un souvenir très douloureux.

Sa belle-fille accoucha en octobre. Les souvenirs récupérèrent de plus en plus vite en novembre et en décembre avec un flou durable sur les 24 heures précédant l’amnésie, FF se souvenant qu’outre les problèmes professionnels, il était dans une situation personnelle douloureuse, ayant été l’amant de sa belle-fille (PALE INCESTE) dont il venait de découvrir la grossesse (dont il n’était au demeurant pas le père).

Un mois après la récupération, le bilan neuropsychologique fut réalisé de nouveau et s'avéra normalisé. 

Le patient revu systématiquement à un an allait bien, avait repris son travail (dont les problèmes avaient été réglés en son absence) et toutes ses activités personnelles. Les troubles du comportement envers sa deuxième fille avaient disparu. Il n’avait pas entrepris de suivi spécialisé plus approfondi.

Nous eûmes de ses nouvelles en avril 2005 qui restèrent neurologiquement parlant favorables.