4 Points principaux à discuter 

L'amnésie rétrograde pure du patient F.F s'inscrit donc dans le cadre flou des amnésies fonctionnelles. F.F présente une amnésie rétrograde après une brève perte de connaissance et un minime traumatisme crânien. L'installation d'une amnésie rétrograde au décours d'un épisode neurologique sans gravité est ainsi fréquemment rapportée.

F.F présenta une amnésie rétrograde massive dans le double contexte d'un traumatisme crânien bénin mais aussi de problèmes professionnels sévères identifiés d’emblée (et personnels rapportés plus tard). L'amnésie autobiographique comportait un élément d'amnésie d'identité. Les relations entre stress et mémoire sont complexes. Des situations de stress intenses peuvent conduire à des réminiscences intenses et répétées d'évènements stressants comme dans les syndromes de stress post traumatiques ou à l'inverse être à l'origine d'amnésies post émotionnelles. Ces amnésies ne peuvent pas manquer de faire évoquer le mécanisme de refoulement décrit par Freud comme un mécanisme de défense par lequel les souvenirs d'évènements traumatisants ne peuvent accéder à la conscience mais ne sont pas oubliés. Ainsi le patient AMN (Markowitsch et al., 1998) retrouva lors d'une psychothérapie, alors qu'il avait débuté son amnésie en découvrant un feu chez lui, le souvenir d'une voiture en flammes quand il avait 4 ans. Les auteurs font l'hypothèse hardie que la situation de l'incendie ait pu raviver une trace mnésique et entraîner un blocage du système. D'autre part, on connaît le déclenchement de pathologies neurologiques lors de situations stressantes comme l'ictus amnésique où de nombreuses études ont bien montré les modifications métaboliques dans la région hippocampique, le sujet présentant brutalement et pour une période de quelques heures une amnésie antérograde massive avec une amnésie rétrograde parfois très importante et à l'inverse une mémoire de travail et des connaissances sémantiques intactes. De la même façon, dans un traumatisme bénin, on pourrait imaginer que même sans lésion, il puisse y avoir une interruption temporaire des neurotransmetteurs ou une hyperexcitation voire des influences hormonales modifiant la connectivité neuronale.

La période d'amnésie rétrograde dans le cadre des amnésies fonctionnelles est variable, concernant FF, elle est totale. Toutefois, FF récupéra très vite, pendant les quinze premiers jours, les évènements de son enfance, conservant une amnésie de 25 ans pendant 3 mois et de 12 ans pendant 6 mois.

Un certain nombre de patients de la littérature présentent des amnésies uniquement biographiques qui ont davantage tendance à être étiquettées comme psychogènes. L'oubli massif de sa biographie témoigne du fait que FF oubliait des personnes, des endroits, des conversations autant d'informations distribuées dans des régions corticales diverses. On peut donc penser que certaines zones de convergence jouent un rôle critique pour le rappel et la reconstruction des souvenirs biographiques. La génération de souvenirs à partir du contexte spatiotemporel d'un souvenir proche et le fait de savoir qu'ils ont bien eu lieu pourrait témoigner d'une certaine capacité de FF à initier des stratégies de recherche, à vérifier leur plausibilité, et à avoir une conscience autonoétique qui lui permettait d'être sûr qu'un événement appartenait à son propre passé. FF se comportait comme s'il n'accédait plus directement à ces souvenirs mais gardait une capacité à reconstruire des traces. Plus récemment, Sellal et al., 2002 ont rapporté l'observation du cas FP dont l'amnésie rétrograde concernait à la fois les informations sémantiques (mémoire sémantique personnelle, personnes et évènements célèbres, mots nouveaux), les événements autobiographiques et la mémoire procédurale. FF conservait ses capacités procédurales mais avait néanmoins perdu l'habitude de fumer, fait déjà rapporté par Lucchelli et al., 1995 chez le patient GR.

FF réapprit les faits historiques et constata qu'il pouvait parfois se "revoir" les enseigner. Le souvenir sémantique réveillait une situation épisodique. Cette situation épisodique à son tour s'enrichissait d'autre souvenirs épisodiques survenus à la même période. FF constatait que l'image du souvenir était extrêmement précise et lumineuse. Enfin, le patient vécut des phénomènes de réminiscence intenses avec transposition dans le temps. Ces phénomènes ont été rapportés dans l'ictus amnésique où le trouble rétrograde peut s'accompagner d'une réactualisation d'un passé récent ou ancien, revécu comme une situation présente (paramnésie de reduplication). Ainsi un joueur de base-ball après un traumatisme crânien bénin pouvait continuer à jouer en utilisant un code de jeu incompréhensible pour ses actuels partenaires ou un joueur de rugby était persuadé de jouer le match joué 8 jours avant. Il n'est pas surprenant qu'une amnésie rétrograde provoque une transposition dans le passé si on accepte que les souvenirs biographiques sont classés dans un ordre temporel strict à la façon d'un agenda. Cela donne des clés de lecture intéressante sur l'orientation temporelle et la conscience du présent uniquement liés à la mémoire épisodique. Tout d'abord, la transposition cohérente pour tous les souvenirs à une date précise prouve que l'axe chronologique est déterminant dans le classement des souvenirs. Deuxièmement, la remise en contexte pourrait s'expliquer comme ce que l'on connaît dans des moments de recherche introspective spontanée ou dans certains contextes facilitateurs tels que l'hypnose. On pourrait s'attendre si l’on se réfère aux théories psychanalytiques de l'insconscient à ce que les souvenirs émergents soient chargés émotionnellement. Ceci ne semble pas être le cas (au moins de façon signifiante) ce qui suggère que tous les souvenirs biographiques sont conservés avec une trace faible mais peuvent être extraits par une facilitation contextuelle forte. Plusieurs points suggèrent que FF n'avait pas perdu sa mémoire du passé mais qu'il en avait perdu l'accès. Le point le plus fort hormis les phénomènes d'ecmnésie, est sûrement le fait qu'il a pu récupérer l'ensemble de ses souvenirs de façon très progressive. De plus, s'il obtenait de très mauvaises performances dans l'évocation d'évènements publics ou de personnes célèbres, il obtenait des réponses meilleures que le hasard. Enfin, il répondait spontanément à des questions qui ne lui disaient rien lors d'un jeu télévisé, suggérant une dissociation entre les accès à des connaissances explicites et implicites .

Les amnésies fonctionnelles régresseraient en quelques jours ou plusieurs mois. Peu de détails concernant les modalités de cette récupération sont rapportés dans la littérature. Des récupérations sous perfusion d'amytal sodium, durables ou non, ont pu être décrites. Le patient P.N retrouva ses souvenirs en voyant une cérémonie funèbre à la télévision, événement similaire à celui ayant précédé l'amnésie. Le patient G.R récupéra brutalement au décours d'une anesthésie, celle-ci déclenchant d'abord la réminiscence d'une opération antérieure puis les souvenirs du passé dans leur ensemble. Le patient M.M récupéra un mois après l'amnésie initiale alors que faisant une partie de tennis, il se remémora une partie ancienne et récupéra l'ensemble de ses souvenirs. Certains patients de la littérature n'ont toutefois jamais récupéré. FF récupéra très rapidement les quinze premières années de sa vie puis en quelques mois les douze années suivantes, respectant la loi de Ribot comme cela a pu être décrit dans des amnésies organiques en particulier les amnésies des électrochocs et de l’ictus amnésique. Cette récupération se fit par pallier et il mit plus de temps pour récupérer les 12 dernières années de sa vie suggérant que ces souvenirs étaient moins consolidés, stockés différemment, ou moins répartis de façon diffuse dans le cortex : la recherche active de souvenirs proches et les aides contextuelles ne permettant pas de les retrouver dans des réseaux neuronaux peut-être incomplets ou insuffisants. La théorie de la consolidation postule en effet la perte progressive de l'implication de l'hippocampe dans l'évocation des souvenirs au fur et à mesure que les configurations neuronales du cortex temporal deviennent stables. F.F récupéra ses souvenirs après des rêves, par "flash", par association, par des indices contextuels et parfois spontanément et massivement par périodes entières. Il récupéra ainsi les douze dernières années de sa vie au bout de 9 mois de suivi, brutalement et ce sur trois ou quatre jours de façon très proche du cas G.R.

Les tentatives d'explication des amnésies fonctionnelles et ce quelque soit l'étiologie font appel à plusieurs modèles cognitifs et anatomofonctionnels : le concept de blocage d'accès à la trace mnésique, les caractéristiques de la mémoire autobiographique et les relations mémoire-émotion. L'amnésie rétrograde correspond à un déficit d'accès au souvenir qui peut réapparaître spontanément ou par facilitation, intégralement ou de façon tronquée et dans un délai variable. Parmi les interprétations, on peut évoquer un déficit d'encodage ou de consolidation initiale qui rendent la trace labile, une incompatibilité contextuelle entre les situations d'encodage et de rappel expliquant que le rappel soit plus facile s'il s' effectue dans les mêmes conditions thymiques, ou biologiques que l'apprentissage. Cette théorie du contexte conduirait à ce qu'un patient qui se trouve dans un contexte nouveau émotionnel-lement et biologiquement, après des modifications liées au stress ou au traumatisme, n'accède plus à ses souvenirs et ce particulièrement pour les plus récents , les moins consolidés et les moins distribués dans toutes les aires cérébrales. Les souvenirs, pour la plupart uniques, sont organisés avec une forte composante contextuelle et selon un classement chronologique, en des souvenirs des grandes périodes de la vie mais aussi des épisodes précis, détaillés étant proches de l'expérience sensorielle. Leur évocation et leur maintien requièrent un effort attentionnel. Dans l'ictus amnésique, l'hippocampe et les régions frontales impliquées dans le rappel paraissent bloquées transitoirement, ce réseau étant indispensable pour synchroniser plusieurs zones cérébrales où s'opèrent les stockages : le thalamus médian, l'amygdale, le septum et le cortex préfrontal droit comme l'a montré l'imagerie fonctionnelle. Compte tenu de la proximité de ce tableau de celui de l'amnésie fonctionnelle, des mécanismes proches pourraient être évoqués. Restent à comprendre pourquoi ils sont plus durables et comment « le déblocage » a lieu.

Enfin, s’il est difficile d’établir des règles de suivi de tels patients, on peut souligner qu’une méthode de travail sur la mémoire favorisant les aides contextuels et les indices a pu aider ce patient. Cette prise en charge s’inscrivait plus largement dans une écoute bienvaillante et une démarche positivant et encourageant toute récupération comme il est préconisé dans les tableaux de conversion. Celle-ci avait clairement été demandé par FF. Beaucoup d’explications étaient données au sujet. Très tôt, la possibilité d’un traumatisme psychique ayant bloqué la mémoire avait été évoquée avec lui. L’écoute du discours du patient comme nous l’avons souligné en caractères gras dans le texte. En particulier, le terme « palimpseste » repris plusieurs fois par le sujet dans ses récits et la dynamique de la famille découverte après plusieurs entretiens ne furent jamais négligés.