1.1.2 - Biens collectifs et externalités : un lien étroit illustratif

Le concept d’externalités est également utile pour saisir la question de biens collectifs. Nous avons souligné précédemment que l’existence d’externalités est une des causes des défaillances de marché. Voyons maintenant comment le concept d’effet externe traduit des liens directs (et hors marché), qui existent entre les fonctions d’utilités ou les fonctions de production.

Les biens collectifs ont souvent été associés aux effets externes. Les externalités ou les effets externes se produisent lorsqu’un individu ou une firme agit dans un domaine sans supporter seul(e) tous les coûts (externalités négatives) ou acquérir tous les bénéfices (externalités positives) de l’action. C’est ainsi qu’on définit comme effet externe toute situation, où la consommation ou la production d’un bien ou service par un acteur, modifie la fonction d’utilité ou la fonction de production d’un ou plusieurs autres 61 . Lorsque l’utilité (ou la production) d’un agent i dépend positivement des quantités consommées (produites) par un agent j, on parle d’effet externe bénéfique ou positif. C’est le cas d’une entreprise qui s’installe à proximité d’une agglomération et crée des opportunités d’emploi pour la population. En revanche, lorsque la relation est négative, il y a nuisance ou pollution. Il en va ainsi pour une usine qui rejette des déchets toxiques dégradant son environnement. C’est un cas d’externalité négative ou de déséconomie externe, qui constitue une forme de défaillance du marché. Elle concerne en effet les nuisances générées par une activité économique, dont le coût doit être assumé par la collectivité parce qu’il n’est pas pris en charge par le responsable de l’activité. Ainsi, quand une externalité concerne un bien public, elle conduit à la sous-production du bien considéré (ex : qualité de l’air ou de l’eau). Pour les économistes, les externalités positives ou négatives sont distinguées par leurs utilités positives ou négatives (désutilités) pour les tierces personnes. Cependant, nous réservons ici le terme « bien collectif » aux biens et activités à utilité positive, incluant des externalités positives 62 .

En fait, plusieurs externalités se chevauchent avec les biens collectifs, du moment qu’elles affectent diverses personnes. Cornes et Sandler (1996) soutiennent que les biens collectifs, notamment les biens collectifs purs 63 , « peuvent être imaginés comme des cas spéciaux des externalités ». En revanche, si les actes d’une personne n’affectent qu’une autre personne, cela est un effet externe mais pas un bien collectif. En outre, les caractéristiques des externalités peuvent être à la fois collectives et privées. Par exemple, la quantité des eaux polluées qui touche un voisinage est la somme des quantités affligées à chaque ménage, faisant d’elles privées en quantités, tandis que la toxicité de la pollution peut être commune à tout le monde, et par conséquent collective. Certains biens collectifs tels que le rayonnement solaire n’impliquent pas nécessairement des externalités. D’où, les définitions des biens collectifs et des externalités n’impliquent pas forcément l’une l’autre.

Au-delà de la distinction entre externalités positives ou négatives, les économistes se sont forcés de mettre en place une classification fondée sur des critères opératoires. C’est ainsi qu’a été proposée une différentiation entre externalités pécuniaires et externalités technologiques. En effet, les premières correspondent précisément à ce qui a été envisagé par A. Marshall, à savoir une modification directe des prix pour une firme, en amont ou en aval de son activité. On pourrait imaginer l’exemple d’une localité où la demande d’emploi est faible, arrive une firme qui en offre à un prix supérieur. Elle oblige de ce fait les entreprises en place à augmenter les salaires pour conserver leurs mains-d’œuvre. Quant aux secondes, elles sont plus vagues et désignent les effets qui prennent d’abord des formes non pécuniaires. En outre, elles ne concernent pas que les firmes. La pollution d’une rivière ou d’une nappe phréatique en est un exemple, au même titre que la construction d’une ligne de TGV ou d’une autoroute. Tous ces exemples montrent bien que les externalités, dites « technologiques », ont aussi une dimension financière. Mais celle-ci n’est pas toujours immédiatement saisissable et ceux qui en supportent le coût restent à déterminer.

A la lumière de toutes ces distinctions, on s’aperçoit que l’intervention de l’Etat peut se justifier pour des raisons analogues à celles évoquées à propos des biens collectifs (qui peuvent être d’ailleurs considérés, on l’a vu, comme un cas extrême d’externalité) : le marché ne peut, par définition, résoudre les problèmes posés par les phénomènes hors marché. En fait, les effets externes sont assimilables à des biens sans prix. Or l’absence de prix équivaut dans la réalité à un prix nul, lui-même significatif d’abondance. Excès de demande et insuffisance de l’offre se traduisent par dysfonctionnement justifiant ainsi l’intervention publique. Cette intervention de l’Etat consiste à internaliser les externalités ; c’est-à-dire, leur attribuer une contrepartie pécuniaire effective qui les réintroduit dans le calcul économique des acteurs. Ce n’est donc pas seulement évaluer les dommages causés par une nuisance, c’est mettre en place un processus qui fait qu’un acteur, pas forcément l’émetteur, va supporter le coût monétaire de l’effet externe. Là aussi, on peut établir une typologie de modes d’internalisation en tenant compte de l’acteur économique qui la supporte et en considérant les seuls effets négatifs.

Le premier concerné est celui qui subit l’effet externe. Un agent peut subir une dévalorisation de son patrimoine, car sa maison est située à proximité du tracé d’une nouvelle autoroute. Il peut aussi réagir de façon individuelle en installant par exemple des doubles vitrages pour améliorer l’isolation phonique de son logement. Le second acteur qui peut potentiellement supporter le coût de l’internalisation est l’émetteur de l’effet externe. C’est l’idée qui a été vulgarisée par l’expression «principe pollueur – payeur» quand on demande par exemple aux usines d’une localité de participer aux frais d’épuration des eaux usées. Constatons d’ailleurs que, parfois, cela résulte d’une réaction collective des « victimes » de l’externalité qui se regroupent pour demander par exemple l’installation d’un mûr antibruit. Concrètement, cela signifie une intervention des pouvoirs publics.

Ces explications sont fort utiles pour dresser une classification des biens collectifs.

Notes
61.

Cf. Crozet (1991).

62.

La démonstration technique de l’inclusion des biens publics dans l’ensemble des externalités a été apportée par Buchanan et Stubblebine (1962) – cité dans Samuelson (1954) : l’usage d’un bien non excludable est une externalité dont bénéficient ceux qui n’ont pas contribué à son financement ; mais c’est une externalité particulière, puisque positive et non-rivale. Les externalités ne peuvent être correctement gérées par le marché (Pigou parle de « défaut de marché ») et justifient des interventions de l’Etat, soit pour interdire ou internaliser les externalités négatives, soit pour produire ou encourager les externalités positives.

63.

Voir infra, p. 34.