1.2.3 - Tentative d’établissement d’une typologie des BCIM

Les BCIM ne sont pas tous identiques et leurs différences subtiles – en termes de leurs utilités et mode de production – affectent les intérêts qu’on leur accorde. Il existe plusieurs critères qui permettent d’en dresser une typologie. Au-delà de la distinction faite entre les BCI et les BCM, nous faisons une autre entre les BCIM « intermédiaires » et « finals ».

Comme leur appellation l’indique, les BCIM intermédiaires sont ceux qui contribuent à la production de BCIM finals. Ce sont donc des instruments et des politiques publiques destinés à garantir des objectifs collectifs à l’échelle mondiale. C’est le cas des régimes internationaux qui fournissent des bases pour plusieurs autres produits intermédiaires avec des bénéfices collectifs mondiaux, tels que les systèmes de surveillance internationale ou les programmes d’aide internationale. C’est aussi l’exemple des organisations internationales qui, d’ordinaire, résultent des accords internationaux, destinées, entre autres, à faciliter les consultations et les négociations entre parties membres, à suivre de près la conformité des traités ou à fournir d’autres types d’informations. Cette catégorie de BCIM profite surtout au monde des affaires et au bon fonctionnement des marchés.

La deuxième catégorie de BCIM concerne les BCIM finals. Ceux-ci sont plutôt des résultats ou des objectifs que des « biens » au sens pratique du terme. Ils peuvent être tangibles (tels que l’environnement global) ou intangibles (tels que la paix ou la stabilité financière internationale). Les effets de cette catégorie de BCIM sont directement perçus par les populations et les acteurs de la société civile, qui tiennent sérieusement à leur fourniture.

Nous précisons davantage cette typologie à l’aide du tableau 3 suivant, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, en distinguant deux exemples pertinents.

Tableau 3 : Taxinomie des BCIM, fondée sur les critères «intermédiaires» et «finals»
Domaines Objectifs /
BCIM finals
BCIM intermédiaires Déclinaison des BCIM intermédiaires Principaux indicateurs
Pilier économique ** Objectif premier : améliorer les conditions matérielles de vie
** BCI final : croissance et développement économique au niveau mondial
    ** PIB par tête
** Taux d’accroissement de la population rapporté à celui du PIB
** Politiques efficaces, favorables à la concurrence et aux échanges mondiaux ** Cadre ouvert et prévisible pour les échanges
** Meilleure allocation internationale du crédit
** Niveau des droits de douanes et autres barrières au commerce
** Existence d’entraves aux flux financiers
** Promotion de la Recherche & Développement ** Extension mondiale des résultats de la R&D ** Dépenses consacrées aux activités de la R&D (% du PIB)
** Soutiens aux entreprises innovantes
** Lutte contre la corruption ** Lutte contre la spéculation et le blanchiment de capitaux ** Taux de corruption
** Degré de contrôle indépendant des institutions financières
** Permettre l’accès du plus grand nombre aux capacités productives ** Lutter contre le sous-empli
** Favoriser l’initiative privée et la création des richesses
** Taux de chômage
** Degré d’accès aux ressources financières (système de micocrédits,...)
** Assurer la stabilité financière   ** Taux d’inflation (y compris le prix des actifs)
** Volatilité de taux de change et d’intérêt
Pilier environnemental ** Objectif premier : gérer les ressources naturelles, préserver l’environnement
** BCM : préservation d’un environnement durable
** Gérer et préserver les stocks de ressources renouvelables
** Lutte contre les pollutions
** Réguler les prélèvements sur les milieux naturels (ressources halieutiques, forêts, eau, ...)
** Protéger le climat (lutte contre l’effet de serre) et la biodiversité
** Protéger la couche d’ozone
** Traitement des déchets
** Prélèvements d’eau en % des ressources disponibles et par habitant
** Degré de déforestation
** Taux de prélèvements de ressources halieutiques
** Part de la consommation d’énergie renouvelable
** Emissions de GES
** Quantité d’espèces menacées
** Degré de désertification
Niveaux de rejet d’azote et de phosphore dans les eaux côtières

Source : D’après Aussilloux, Hel-Thelier et Martinez (2002).

Ce tableau (n° 3) indique deux exemples de BCIM, dont l’utilité est largement reconnue par les théories économiques 84 . L’accroissement du bien-être matériel des populations constitue au demeurant l’objectif premier reconnu à la fois par les théories économiques et les conventions internationales. Le second exemple a trait au concept de développement durable ; l’objectif fondamental étant de ne pas compromettre les chances de développement des générations présentes et futures. Il s’agit en définitive de gérer durablement les ressources naturelles et de préserver une qualité satisfaisante de l’environnement.

Ainsi, la description de ces critères permettant de hiérarchiser les BCIM a l’avantage de faciliter les négociations entre les principaux acteurs, en l’occurrence, les Etats-nations, dont les programmes et objectifs économiques et sociaux semblent souvent contradictoires ou n’accordent pas les mêmes degrés de priorités à tous les BCIM. Ce qui affecte sérieusement leurs engagements et partant l’action collective internationale ; une situation qui pourrait être – en partie – due à l’absence d’une stratégie bien définie liant les objectifs des politiques nationales à la diplomatie internationale. Beaucoup de gouvernements prennent à peine conscience des écarts entre leurs processus traditionnels de prise de décisions et les demandes imposées par le nouvel environnement politique international. Par ailleurs, les indicateurs qui permettent de mesurer l’amélioration ou la dégradation de la situation concernant les BCIM sont forts utiles, en ce sens qu’ils servent à évaluer l’impact des politiques et stratégies nationales sur les objectifs finals (BCIM) et, par conséquent, les efforts et les engagements de chaque pays dans un domaine précis.

Autre type de classification, celle fondée sur les modalités et stratégies de production de BCIM. Il y a des BCIM dont la production est fondée sur la solidarité internationale et exige des soutiens aux maillons les plus faibles de la chaîne. Par exemple, pour éradiquer certaines maladies infectieuses (telles que la tuberculose,...) ou anéantir le terrorisme international, il est clair qu’il faut soutenir les pays les plus pauvres, techniquement et matériellement, dans ces domaines. Il existe également des BCIM qui sont garantis par une démarche additive ; les BCIM ne peuvent être obtenus qu’en additionnant le plus grand nombre de contributions (ex : la réduction des gaz à effet de serre). Mais, pour ceux-ci, le but ne sera atteint que si tous les acteurs acceptent les mêmes règles, en apportant une contribution conforme. Cette technologie de fourniture se heurte souvent au problème classique du « passager clandestin » (free rider). En effet, si la valeur du BCI/M est égale à la somme des contributions des agents, il y a une forte tendance à contourner l’effort collectif et à mener une politique individuelle. Cela est vrai pour chaque membre, sinon pour tous. Le résultat irrationnel pourrait être que le BCI/M ne soit pas produit du tout, du fait même qu’il n’est pas rationnel pour chacun de commencer à contribuer. Cependant, Hirshleifer (1983) 85 se rapporte à une autre technologie de production des biens publics, dite « technologie du plus faible lien » (weakest-link technology). Il suggère que les bénéfices de la production des BCIM produits soient au moins aussi élevés que la plus petite contribution à la production. C’est seulement si toutes les parties participent au BCI/M qu’il sera réellement produit ; en revanche, si une seule partie retire son accord, il n’y aura plus de BCI/M du tout. La non-prolifération nucléaire en est un exemple : n’importe quel pays se conformant aux normes de non-prolifération fournit des avantages collectifs, qui ne suscitent aucun effet de rivalité ou d’exclusion ; cependant, si un seul pays ne se conforme pas aux normes de non-prolifération, le BCM de la non-prolifération ne sera pas fourni du tout 86 . On distingue également les BCIM pour lesquels un accord est possible entre tous les pays (tels que la stabilité économique internationale) et ceux pour lesquels des divergences d’intérêts entre différents pays sont manifestes. C’est souvent le cas pour le développement durable et l’expansion des échanges commerciaux – opposant souvent pays riches et pays pauvres. D’autres BCIM font l’objet de financements internationaux publics et/ou privés (ex : recherches médicales et agronomiques adaptées aux pays pauvres).

Enfin, Kaul (2005) adopte une classification, permettant de distinguer les BCIM traditionnels ou naturels, qui existaient avant toute activité humaine et se trouvent « en dehors » des Etats, ou à leurs frontières, dont la régulation relève des « affaires étrangères » (ex : l’espace et les océans). La deuxième catégorie pourrait correspondre aux BCIM d’origine humaine (ex : les connaissances scientifiques, les principes et normes). L’auteur indique le dernier type de BCIM qui pourrait concerner les questions mondiales à connotation politique, qui traversent les frontières (ex : les droits humains, la paix, la stabilité du SFI, la santé mondiale, la gestion des connaissances, etc.).

* *

Somme tout, dans tous les cas, une coordination des efforts et une concertation intégrée entre les acteurs, tant au niveau national qu’international, sont indispensables pour prétendre à une production optimale de ces biens. Celle-ci doit également être fondée sur le principe de la justice mondiale, afin de concilier de façon équitable les priorités et exigences de toutes les populations ; étant donné l’hétérogénéité des préférences.

Ces panoramas conceptuels sur les biens collectifs et leurs prolongements, les BCIM, nous permettront d’aborder l’approche de la production de BCIM et d’analyser les dilemmes politiques et économiques qu’elle comporte.

Notes
84.

A noter toutefois que certains de ces BCIM intermédiaires (tels que la lutte contre la corruption internationale,...) peuvent dans une certaine mesure être communs à plusieurs objectifs finaux, marquant les interdépendances entre les divers types de BCIM.

85.

Cité par Brauer et Roux (2003).

86.

La « technologie du plus faible lien » est souvent associée aux jeux d’assurance (jeux à somme positive, de type « gain-gain »), dont la qualité de rachat est la plus grande probabilité d’absence de comportement de type passager clandestin (free-riding). Si A se conforme à la non-prolifération mais pas B, alors, la non-prolifération ne peut pas être réalisée : B ne peut obtenir un BCM (la non-prolifération) pour rien. De même, une fois satisfaite, aucune partie ne peut raisonnablement se retirer du projet : si l’une d’entre elles ne met pas à jour sa contribution à la non-prolifération, alors le projet dans l’ensemble cesse de fournir des avantages à tous les deux. De telles situations présentent donc de bonnes opportunités pour des contributions incrémentales : la partie A offre une nouvelle petite contribution, si la partie B accepte de faire de même ; si B accepte, d’autres propositions peuvent alors être faites, améliorant ainsi itérativement l’application du BCM.