2.1 - L’approche néoclassique ou économique

La réflexion sur la nécessité des BCIM a resurgi le débat très ancien de l’efficience des marchés et de l’intervention de l’Etat. L’approche économique des BCIM justifie l’existence de ces biens uniquement par la défaillance des marchés[liée à la gestion de biens collectifs et adopte une approche utilitariste. La problématique de ce type de biens est alors traitée en termes d’intérêts, de coûts et d’avantages, et de dédommagement des différents agents. L’économie délimite le champ du politique à partir du marché. En effet, cette approche part du postulat que les marchés sont efficients ; et s’il existe des inefficiences, par exemple des mésalignements dans les taux de change ou un dysfonctionnement sur le marché financier, il n’est pas sûr que le jugement de l’Etat soit meilleur que celui du marché. L’Etat ne devrait donc pas intervenir, même dans le cas d’un dysfonctionnement important des marchés. Si des marchés importants évincent certains agents, cela est simplement dû à la mise en œuvre des lois du marché.

Ainsi, l’approche économique (néoclassique) des BCIM soutient que l’action internationale n’est pas nécessaire dans le domaine économique car les forces du marché garantiraient spontanément l’apparition de normes là où elles sont nécessaires ; et que celles-ci, issues de la concurrence entre les différents pays, sont toujours plus favorables à l’économie et au bien-être global. Ce "refoulement" de l’Etat s’explique par la définition des biens collectifs de l’école néoclassique qui leur ôte de tout lien social : les biens collectifs satisfont des besoins qui ne peuvent s’exprimer de manière efficiente par le marché 90 . L’émergence de ce type d’approche sur la scène internationale est une conséquence de l’évolution continue des modes de gouvernance, ayant débuté avec A. Smith, en 1776. Au cours du dernier quart du siècle dernier, les gouvernements ont progressivement substitué des régulations de type marchand à des régulations administrées. L’objectif étant de favoriser l’allocation optimale des ressources et, par-là, la maximisation du bien-être (considéré comme un bien collectif) pour un niveau de ressources donné, le mécanisme décentralisé du marché concurrentiel est le moyen de parvenir à une utilisation efficace des ressources. Les interventions se justifient en effet par la nécessité des mesures qui permettent de corriger à la source les distorsions qui éloignent le marché de son équilibre optimal. En, d’autres termes, les imperfections de marchés, appartenant à trois grandes catégories : les pouvoirs de marché, les imperfections informationnelles (incertitudes et asymétries informationnelles) et la non-prise en compte des externalités, justifient l’action publique qui a pour objectif l’amélioration des conditions de vie des agents économiques 91 . La lutte contre les pouvoirs de marché excessifs justifie ainsi une action collective de la concurrence et de soutien aux nouveaux entrants sur le marché. De la même manière, une politique de surveillance du respect des règles par les agents économiques, qui passe par un système juridique performant, est indispensable au bon fonctionnement des marchés. Si tous les économistes ne s’accordent pas sur le périmètre de l’action publique nécessaire pour assurer des règles de la concurrence, mêmes les théoriciens les plus libéraux reconnaissent la nécessité d’un système coercitif pour faire respecter les droits de propriété à la base d’un système de marché. Parallèlement, la diminution des imperfections informationnelles s’opère en favorisant les mécanismes de circulation de l’information concernant les conditions de la concurrence en direction des consommateurs et des producteurs ; ce qui nécessite le soutien au fonctionnement d’institutions appropriées de marché.

Ainsi, les théories économiques s’accordent à défendre un certain nombre de politiques publiques en raison de leur action en faveur d’une utilisation plus efficace des ressources rares : l’ouverture aux échanges consolide les conditions de la concurrence en réduisant les pouvoirs de marché et diminuant les rentes qui leur sont attachés 92  ; la lutte contre la corruption favorise la concurrence en limitant la connivence et en permettant la sélection des agents les plus efficaces ; le développement d’un système politique démocratique oriente mieux des choix économiques et soucieux des populations et assure le respect des droits et de l’intégrité des minorités. Tout ceci contribue au renforcement de l’efficacité de la production, à l’amélioration des conditions de vie, à l’accroissement du bien-être social et, par conséquent, favorise la production de biens collectifs.

Par ailleurs, en raison de l’existence des externalités pour certains biens économiques (principalement les biens collectifs), que le marché "ignore", les théories les plus récentes (Stiglitz, 2000) reconnaissent en effet qu’un objectif de croissance optimale du PIB par tête ne peut être atteint par le seul jeu naturel des marchés. Pour preuve, il convient de souligner la croissance du produit national – considéré comme un bien collectif par sa nature et ses effets induits pour la nation –, en France, pendant les Trente Glorieuses où une politique de planification (étatique) souple, définissant les priorités essentielles, se combinait avec le respect de la libre initiative individuelle. De même, Aux Etats-Unis, si, dans les années 70, les pionniers de la Silicon Vallez 93 ont pu marquer l’évolution technologique du sceau de la souplesse et de la décentralisation, c’est bien parce que les contrats militaires et les incitations du ministère de la défense dans les 3 décennies précédentes avaient crée les conditions favorables à l’éclosion du phénomène. Les nouvelles théories de la croissance 94 insistent notamment sur le nécessaire encouragement de l’innovation et de l’activité de recherche, ou encore des investissements individuels ou collectifs visant l’accroissement du capital humain. Ce sont autant de facteurs fondamentaux de la croissance durable de long terme que les marchés ne ramènent pas à leur valeur sociale, en raison des externalités positives et l’aspect de bien qui en découle. De ce fait, la croissance de long terme nécessite la pérennité et la qualité des institutions qui assurent notamment le bon fonctionnement des marchés : des institutions bancaires et financières solides et transparentes de manière à réduire les imperfections du crédit ; des mécanismes régulateurs, mais également un système politique et un système judiciaire efficaces et équitables qui assurent un environnement favorable à la croissance, etc. Tous ces points rejoignent les objectifs de politiques publiques visant à maximiser le bien-être des populations.

Enfin, si l’approche néoclassique ou économique, que certains qualifient de normative 95 , s’efforce de dresser une liste des domaines couverts par les BCIM, ses contours restent assez flous et varient selon les auteurs. Les références de cette approche semblent partiellement recevables pour conclure qu’une action collective internationale serait superflue. En effet, l’absence d’un cadre international apparaît dans certains domaines comme une source de problème. Des lacunes sont évidentes par l’absence d’un cadre international couvrant les contrats, la faillite ou la concurrence, et par l’existence d’organes régulateurs internationaux correspondant à ceux qui, au sein des frontières nationales, supervisent les questions portant sur les valeurs mobilières et les télécommunications (Krueger, 2001). Cette situation est encore plus marquée depuis quelques années, avec de nombreux changements intervenus au niveau mondial. Des barrières entravant le commerce (telles que les droits de douane et les quotas) ont ainsi été levées 96 , des occasions de profiter d’économies d’échelle et d’envergure augmentant 97 et des opportunités de gains du même ordre sont apparues. De même, la création d’un cadre économique international, remplissant une grande partie des fonctions actuellement accomplies au niveau de l’Etat-nation, est devenu un facteur essentiel à la réalisation de ces gains potentiels (Stiglitz, 1998).

Notes
90.

En dissociant marché et contrat social, économique et politique, cette théorie permet de penser le collectif sans référence à l’espace public et à la pluralité des droits d’usage et d’accès. Elle aboutit à refouler l’Etat « monopoleur de la violence légitimée », assurant la sécurité, garant du contrat social, gérant de l’incertitude (Hegel) et acteur des relations internationales. Elle conduit à la construction d’une économie « internationale » sans Etat-nation, à partir d’un agent représentatif le « pays ». Cf. Hugon (2003), op. cit.

91.

Cf. Aussilloux et al (2002), op. cit.

92.

Notamment les rentes liées aux stratégies agressives anticoncurrentielles.

93.

Petite région de la Californie (Etats-Unis) distinguée par le nombre important d’implantations de haute technologie.

94.

Voir, entre autres, Guellec et Ralle (1995) ; Fougeyrollas, Le Mouël et Zagamé (2002).

95.

Cf. Gabas et Hugon (2001).

96.

Même si l’on observe une montée de certaines barrières non tarifaires, telles que des restrictions dits volontaires des exportations, des mesures de protection à caractère procédural, sous forme d’antidumping, des droits compensatoires, et des subvention spécifiques aux entreprises de biens et services en concurrence les importations (subventions agricoles occidentales,...). La PAC européenne est en effet un dispositif protectionniste.

97.

Rappelons qu’il y a économies d’échelle lorsque la baisse du coût unitaire résulte de l’augmentation de l’échelle de la production. Il y a économies d’envergure lorsque des quantités données de deux ou plusieurs biens peuvent être produites par une entreprises unique à un coût total inférieur à la somme des coûts de production des mêmes quantités de biens offertes par des entreprises distinctes.