L’approche de la nouvelle économie politique internationale s’inspire, à la base, des travaux de Olson (1965) et de Stigler (1974), qui mettent respectivement en évidence les risques de comportements de « passager clandestin » et de « capture » du réglementeur par les groupes d’intérêt, pour insister sur l’objectif d’intérêt général, qui doit guider l’Etat dans sa tâche de production de biens collectifs. Cette approche part de l’analyse des interdépendances entre les pouvoirs publics et privés et considère que les concepts de BCIM sont à la fois économique et politique 98 . D’abord, ils ne peuvent se limiter à une interprétation utilitariste en termes d’intérêts ; le politique définit les biens collectifs et la place spécifique qu’occupe le marché (Hugon, 2003). D’un autre côté, il existe des asymétries internationales, des rapports de pouvoirs, des puissances hégémoniques dont l’interaction donne un caractère spécifique aux BCIM. Si bien que les biens collectifs ne peuvent pas être les mêmes selon les sociétés, leurs niveaux de développement et leurs modes d’insertion dans l’économie mondiale. De même, les relations de coopération ne peuvent être traitées indépendamment des rapports de force et des conflits. Ainsi, dans un contexte de mondialisation et d’interdépendance croissante des flux de marchandises, de capitaux, d’informations, on assiste à l’émergence de la conscience d’appartenir à la même planète et de devoir préserver un patrimoine commun, ainsi que de la conscience de la nécessité d’une régulation au niveau mondial.
Cependant, cette prise de conscience se doit de répondre à un certain nombre de questions que pose l’approche en termes d’économie politique : quel contenu précis donner au concept des patrimoines communs de l’humanité et lesquels dépendent des choix collectifs des populations ? Comment établir une liste hiérarchisée des BCIM et sur quels fondements ? L’explication est que si la définition des biens publics est bien fixée dans la théorie économique standard, elle l’est moins en termes d’économie politique ; étant donné que la définition de ce type de biens dans chaque société dépend de ses valeurs collectives propres, qui elles-mêmes évoluent dans le temps.
Ainsi, les concepts de BCIM, selon l’approche d’économie politique, ont un caractère subversif 99 , puisqu’ils soulignent les limites du système international actuel (l’ordre économique mondial), avec notamment le décalage entre la mondialisation des questions centrales de l’humanité (la protection de l’environnement, l’éradication de la pauvreté, la stabilité financière internationale,…) et le caractère étriqué par les souverainetés nationales des décisions politiques. Le système actuel est en effet organisé sur le principe de la souveraineté des Etats et des organisations internationales où les Etats des voix et des intérêts, alors que la question posée est celle des choix collectifs qui concerne l’humanité prise comme un ensemble. Les concepts de BCIM sont donc influencés par les critères de décision et nécessitent de faire des choix politiques négociés qui s’imposeront au niveau mondial. Cette influence est davantage estampillée par le fait que le système actuel est marqué par :
- d’abord, la croyance que dans une certaine mesure le gain économique peut être recherché indépendamment de la souveraineté ;
- ensuite, l’hégémonie d’une variété des préceptes idéologiques anglo-saxons libérée de toute inquiétude concernant une possible instabilité politique ;
- enfin, contrairement au libéralisme « encastré » conçu principalement comme un système valable pour les pays occidentaux industrialisés, la conviction que l’actuel régime vaut pour toute la planète. Dans un tel climat idéologique, il est permis de se demander si une intervention de l’Etat peut accroître les avantages que les populations d’un pays recueillent de l’économie mondiale.
Cette question est d’autant plus pertinente que l’ordre mondial actuel est dominé par des prescriptions idéologiques libérales fondées sur des règles formelles auxquelles les Etats doivent se soumettre chacun pour leur part, sous peine de devenir des parias économiques. Qui plus est, les institutions économiques et financières internationales (FMI, BM, OMC, etc.) sont dénoncées d’être les garants de la doctrine selon laquelle, quand il s’agit de capitaux et de marchandises, moins les Etats individuels agissent dans le domaine économique, mieux le monde se portera 100 .
Ainsi, pour parvenir à des choix rationnels garantissant des gains collectifs, le meilleur moyen serait de concilier ce qui est contradictoire : les éléments principaux de la souveraineté nationale (la clé de voûte du système inter-étatique) et le libéralisme économique, qui marque le système actuel et qui présume que les Etats fixent une limite à leur désir d’exercer leur souveraineté sur les questions économiques qui franchissent leurs frontières.
Rappelons que l’économie politique internationale est une tentative interdisciplinaire cherchant à analyser la sphère des relations économiques internationales, centrée sur les phénomènes de richesse (production et circulation de la "richesse des nations"), en prenant en compte les articulations avec la sphère du politique, centrée sur les phénomènes de puissance. Les courants théoriques se distinguent par l'importance accordée à la première série de facteurs par rapport à la seconde et par l'analyse de leurs articulations, c'est-à-dire des processus qui commandent la coexistence d'une logique des marchés et d'une logique des Etats. Deux courants traversent aujourd'hui la théorie "orthodoxe": le courant néolibéral, qui met l'accent sur les relations d'intérêt (richesse) ; le courant néoréaliste, qui met l'accent sur les relations de pouvoir (puissance). Voir Kebabjian (2001).
En ce sens qu’il est de nature à renverser l’ordre social ou politique
Nous aborderons cette question de façon plus approfondie dans le chapitre suivant.