« La thématique des biens publics mondiaux n'est pas une fin en soi ; c’est un moyen privilégié de réhabiliter l'aide publique au développement, elle ne s’y substitue donc pas mais lui donne un cadre d'action. L’aide publique au développement, par ce biais, contribuerait soit à la fourniture de biens publics, soit au développement de certains pays pour leur permettre de tenir leur rôle dans la gouvernance mondiale » 184 .
Ces propos que l’on doit à M. Jacquet met parfaitement en relief l’interaction qui existe entre l’aide au développement et le financement de BCIM. Ainsi, à partir de ce raisonnement, on peut analyser dans quelle mesure les deux éléments se chevauchent.
Nous pourrons distinguer deux sortes d’interactions entre ces deux éléments. Premièrement, les deux types de financements peuvent s’additionner ou se substituer l’un à l’autre. Dans ce cas, c’est la définition retenue des BCIM qui semble déterminant pour distinguer les deux notions. Ainsi, Lamb (2002) estime que plus la notion de BCIM a une acception large, plus il est difficile de maintenir une distinction commode entre l’aide au développement et le financement de BCIM. Autrement dit, sauf à donner à la notion un sens très étroit qui la limite aux externalités ou aux retombées transfrontalières de facteurs tels que les maladies, l’environnement, la stabilité financière, etc., on est privé d’arguments spécifiques à faire valoir en faveur de subventions ou de transferts relatifs aux BCIM qui soient distincts de l’aide au développement et s’ajoutent à celle-ci. En second lieu, la fourniture de BCIM peut renforcer l’efficacité de l’aide, tout comme leur carence peut la diminuer, et vice-versa 185 . Dans ce cas, si les BCIM ne bénéficient pas principalement aux pays PED&E (ex : lutte contre le terrorisme international, stabilité financière internationale), il y a un risque que les formes traditionnelles de l’APD disparaissent et que celle-ci soit détournée pour financer ces biens 186 . Les pays développés, « donateurs », seraient ainsi enclins à orienter leur aide vers des domaines tels que la préservation de l’environnement global, la lutte contre le terrorisme international ou l’accomplissement des percés scientifiques 187 . Quand les flux d’aide sont en déclin, ce « détournement d’aide » pourrait avoir des conséquences néfastes sur les OMD et déboucher sur l’apparition d’autres « maux collectifs internationaux » (tels que la pauvreté internationale, le manque d’accès à l’eau, l’anaphabétisme, etc.).
Nous récapitulons les principales différences entre l’aide au développement et le financement de BCIM, à l’aide du tableau 4 suivant :
Sujet |
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Fondement | Equité | Efficacité | ||||
Division des finances publiques | Distribution | Allocation | ||||
Instrument politique | Transfert des ressources | Panoplie d’instruments (règles ; ajustements,...) | ||||
Destination finale | Pays | Fin (BCI/M) | ||||
Principaux bénéficiaires nets | PED&E | Quasiment tous les pays et toutes les générations |
Source : l’auteur ; synthèse de Lamb (2002) ; Guillaumont (2002) ; Kaul and al (2003).
L’aspect politique du problème est compréhensible, à savoir qu’il faut « agir », avant tout, en faveur de la production optimale de BCIM et pas seulement contre leurs externalités mondiales. Mais, le problème qui se pose est de savoir comment des ressources additionnelles peuvent être mobilisées de façon à minimiser les risques de « détournement » des ressources. Une question d’autant plus délicate que les promesses de financement du développement ont du mal à advenir et que l’efficacité de l’aide au développement laisse de plus en plus dubitatif 188 .
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En somme, nous signalons que le financement de BCIM nécessite des transferts importants. Cette nécessité ne doit guère être dédaignée par la réticence des pays riches à aller dans le sens de ces nécessaires transferts, car les difficultés que connaissent les pays pauvres (insuffisances des ressources financières, crises institutionnelles,...) pourraient les contrarier à prendre leur part dans la gestion de BCIM. D’où, la nécessité d’augmenter les fonds consacrés à l’APD afin d’éviter une carence de ces biens 189 .
Jacquet (2002).
Cf. Severino (2001) ; Lamb (2002 ; Guillaumont (2002) ; etc.
La Banque mondiale (2002) estime que la part de l’APD, destinée à financer les BCIM, s’élève à près de 16 milliards de dollars, soit environ 16 % du total de l’APD.
Ce phénomène s’accentue à mesure que l’accablement des pays riches à octroyer des aides, qui finissent par être détournées, accroisse.
La question suscite en effet beaucoup d’intérêt. En effet, l’APD, qui devrait représenter 0,7% du PIB des pays de l’OCDE est inférieure à ce seuil. L’UE, dans son ensemble, consacre actuellement 0,36% de son RNB à l’APD. C’est mieux que la moyenne des donateurs (0,22%) et le double des Etats-Unis (0,16%.). Mais pour atteindre l’objectif fixé par l’ONU de consacrer 0,7% des RNB à l’APD en 2015, Bruxelles veut fixer un objectif intermédiaire : 0,51% en 2010. Même gonflée, l’aide publique au développement - 78 milliards de dollars en 2004, dont 43 milliards fournis par l’UE - ne suffira pas toutefois à financer les OMD dont le coût est évalué à 195 milliards de dollars en 2015. Il faudra trouver des sources additionnelles de financement et les ministres européens des Finances planchent actuellement sur une série d’options plus ou moins complexes : proposition britannique pour une Facilité de financement internationale (FFI), idée d’un projet pilote pour la vaccination des enfants en Afrique, propositions franco-allemandes de taxes sur le transport aérien, le kérosène, les billets d’avions, etc. Voir, infra, p. 374.
Il serait surprenant de constater que les transferts de revenu des pays riches – contributeurs au financement de BCIM - vers les pays pauvres pourraient être contre-productifs à cause de l’effet qu’ils auraient sur la volonté de contribution des premiers pour les BCIM.