1.1.2 - L’approche de la coopération internationale comme fondement des BCIM

En réalité, la question de la coopération internationale comme instrument de résolution de questions mondiales, se rapportant aux BCIM, n’est pas si récente. Elle s’est posée dès le XVIIe siècle avec la définition de principes sur la libre navigation en haute mer, ou encore fin du XIXe siècle – début du XXe siècle, avec la définition de règles relatives au transport international et aux télécommunications 205 . A ces règles concernant le partage entre nations de l’usage de biens communs, il faut ajouter des biens globaux comme l’étalon-or au tournant du 20e siècle ou encore la Déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948. Mais c’est la prise de conscience, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, de l’émergence de nouveaux défis mondiaux liés au phénomène de la mondialisation et l’amplification des recherches sur les moyens de les résoudre, débouchant sur les concepts de BCIM, qui ont ranimé les réflexions sur l’intérêt de la coopération internationale en matière de fourniture de BCIM 206 . Pour mettre en évidence cet intérêt, il convient de recourir à certains enseignements de la micro-économie, notamment ceux relatifs aux défaillances du marché et la nécessité de l’action collective 207 . En effet, la coordination est nécessaire dans deux cas majeurs. Premièrement, quand on a un bien collectif à produire ; et on sait que l’action décentralisée n’est pas efficace pour le faire 208 . Deuxièmement, quand le marché ne fonctionne pas de façon efficiente ; ce qui peut être liée au petit nombre d’acteurs puissants, aux effets externes, ou encore à des problèmes d’information (Grossman and Stiglitz, 1980 ; Stiglitz, 1992). Il est évident que dans les deux cas, une intervention collective, agissant en régulateur, est nécessaire pour créer les conditions favorables à la production de biens collectifs (dans le premier cas) et corriger les imperfections du marché (dans le deuxième cas).

Ainsi, le débat sur l’identification et les modes de fourniture de BCIM a permis de renouveler les questionnements sur la place de la coopération internationale dans la construction des valeurs et des normes collectives. En effet, si à l’échelle nationale l’Etat est à même d’intervenir pour faciliter l’action collective et créer les conditions favorables à la production de biens collectifs nationaux, à l’échelle internationale il n’a pas d’équivalent. L’absence d’un gouvernement mondial légitime rend donc impossibles les solutions étatiques centralisées et compromet la production de BCIM dont les bénéfices sont largement dispersés dans l’espace et dans le temps. L’alternative serait donc la coopération internationale, entre l’ensemble des acteurs, autour de ces biens. En d’autres termes, il faut que les Etats du monde coopèrent afin de trouver des solutions communes aux questions institutionnelles, économiques et politiques, posées par le problème de l’identification collective de BCIM nécessaires, et des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Cette évidence s’exprime, par exemple, dans le domaine de la finance mondiale où les troubles sont bien communes et fréquentes – comme en témoignent les crises financières des années 1990 209 .

Schéma 3 :  Les étapes dans la production de BCIM à travers la coopération internationale
Schéma 3 :  Les étapes dans la production de BCIM à travers la coopération internationale

Il ressort du schéma 3, ci-dessus, qu’une coopération internationale éclairée exige un cadre multilatéral coordonné fondé sur une vision claire de la solidarité internationale dans le véritable intérêt du bien-être mondial. Cela implique en effet le courage politique de mesurer l’ampleur des problèmes mondiaux, ainsi que les formes par lesquelles un nouvel esprit de voisinage mondial doit remplacer les anciennes notions d’Etats rivaux éternellement confrontés. La situation qui résultera de l’absence de coordination et de la défaillance de la coopération internationale sera sans doute défavorable pour tous les Etats. L’explication est que cette situation favorisera un climat dans lequel chaque Etat considère comme vertu la promotion de son propre intérêt national et conduira forcément à la sous-production de BCIM.

Ainsi, l’intérêt de la coopération internationale se révèle à travers les conséquences néfastes que génère sa défaillance, en termes de sous-production de BCIM, mais aussi de l’engrenage de certains « maux collectifs internationaux » 210 , très coûteux à l’humanité en termes de perte de bien-être et de satisfaction. Dans le même ordre d’idée, il est avéré que les coûts d’engagements collectifs, dans un cadre multilatéral coordonné, sont inférieurs à ceux de l’inaction, en matière de fourniture de BCIM. Voir le tableau suivant :

Tableau 5 : Coûts annuels de l’inaction et des actions correctives pour certains BCIM ( milliards de dollars)
Coûts Stabilité financière internationale Système mondial du commerce Lutte contre la propagation des maladies Stabilité du climat Paix et sécurité mondiales a
Inaction 50b 206c 1 138d 780e 358
Actions correctives 0,3f 20g 93h 125i 71
a : Les coûts de la paix et de la sécurité mondiales portent sur 9 conflits dans les années 1990. Ce ne sont pas annuels.
b : Ils incluent uniquement les crises bancaires dans les PED&E et les pays en transition ; excluant les crises monétaires et les crises jumelles.
d : Ils concernent uniquement les maladies infectieuses du continent africain en 2000.
c : Bénéfices nets de l’élimination des distorsions sur les marchés des biens dans les PED&E et pays développés.
e : Ils indiquent la réduction éventuelle du PIB mondial, en cas de doublement du niveau de concentration atmosphérique de dioxyde de carbone par rapport à son niveau de l’ère préindustrielle.
f : C’est une estimation partielle, concernant uniquement les dépenses d’assistance technique du FMI.
g : Ces coûts estimés ne sont annuels et impliquent souvent des coûts uniques liés au renforcement des capacités..
h : Fonds requis d’ici 2007 pour les interventions, proposés par la Commission macroéconomique sur la santé (2001), pour consolider les interventions existantes. Les engagements annuels devraient atteindre 119 milliards de dollars d’ici 2015.
i : Coûts annuels pour les pays industrialisés, sur 10 ans, pour atteindre les objectifs du Protocole de Kyoto en matière d’émission de gaz à effet de serre. (L’estimation tient compte du commerce des droits d’émission et d’une perte de 0,1% de perte de PIB pour atteindre les objectifs).

Source: d’après Kaul and al (2003)

On s’aperçoit à partir du tableau 5, ci-dessus, que le meilleur argument pour la coopération internationale n’est pas exclusivement d’ordre moral et éthique. Il existe en effet des incitations économiques qui sont déterminantes aussi bien dans ses succès que ses défaillances. Selon les problèmes mondiaux et la nature de BCIM, le coût de l’inaction, d’actions insuffisantes ou non coordonnées, est certes difficile à évaluer ; mais il semble toujours plus coûteux que la somme des efforts nécessaires pour réaliser des gains collectifs et garantir la fourniture de BCIM 211 . Au demeurant, l’attention portée aux coûts de l’instabilité financière internationale a fait évoluer les doctrines en matière de libéralisation des marchés financiers et voit émerger des débuts de solutions institutionnelles en même temps que les actions collectives sont menées (Coeuré, Pisani-Ferry, 2001).

Ainsi, nous nous proposons d’évoquer dans cette analyse l’intérêt de la coopération internationale, sous ses angles monétaire et financier, et de voir comment elle a servi d’instrument de réalisation d’objectifs communs et contribué à la stabilité monétaire et financière internationale, communément considérée comme un BCI 212 .

Notes
205.

Cf. Aussilloux et al (2002).

206.

En effet, avec la disparition des frontières économiques, la mobilité croissante des capitaux et le rôle accru des secteurs privés, il est sûrement difficile de distinguer les intérêts nationaux dans certains domaines. La difficulté d’identifier ceux-ci rend plus délicate leur distinction de celui des producteurs nationaux et de comprendre que la compétition que peuvent se livrer des producteurs de différentes nationalités, dans différents pays, n’est pas une confrontation entre intérêts nationaux, mais qu’elle peut déboucher, au contraire, sur une situation qui va dans l’intérêt des divers pays auxquels appartiennent ces producteurs.

207.

Voir, sur ce sujet, Schotter (1995).

208.

Il est ainsi utile de considérer les caractéristiques de BCIM, notamment leurs différentes techniques de production, pour voir en quoi la coordination internationale est essentielle dans ce processus. Voir supra, p. 50.

209.

Voir infra, chapitre 3.

210.

Voir supra, p. 2.

211.

En effet, entrent en ligne de compte les coûts d’opportunité de certains traitements de prévention par rapport à d’autres, par exemple dans le domaine de la santé et de l’environnement. La valeur d’existence des biens environnementaux est difficile à quantifier et la répartition des coûts sur le long terme, comme dans le cas du réchauffement climatique, est incertaine. Les coûts économiques de la mauvaise gouvernance globale ne sont pas toujours manifestes à court terme.

212.

Voir infra, chapitre 3.