1.1.3 - La coopération monétaire et financière internationale comme élément de stabilité

Durant ces vingt dernières années, le champ des relations économiques internationales a connu un immense travail portant sur le rôle de la coopération économique et des IFI 213 . Ce travail avait pour objectif de conceptualiser une nouvelle approche de la coopération financière internationale pour la stabilité et le développement économiques et financiers et de montrer les conséquences néfastes du développement de comportements non coopératifs au niveau mondial. L’un des résultats majeurs de ce travail fut la genèse d’un véritable consensus autour de l’importance de la coopération internationale 214 . En effet, il est dorénavant communément admis que l’autonomie des politiques nationales, en matières économiques et financières, conduit à une impasse. L’instabilité financière ambiante du système actuel, étant la conséquence des divergences nationales dans un contexte de parfaite mobilité de capitaux, a suscité la recherche d’une réponse politique par les exercices de coordination internationale.

Nous tentons ici de démontrer l’intérêt de la coopération internationale à travers l’analyse de l’évolution des relations monétaires et financières internationales. Ainsi, contrairement à une idée communément admise, l’étalon-or a été marqué par une forte coopération entre les banques centrales pour maintenir la convertibilité or. Les difficultés de la Banque d’Angleterre en 1890 puis en 1906 et en 1907 ont été surmontées grâce aux prêts de la Banque de France et de la Reichsbank. La reconstruction de l’étalon-or des années 20 était aussi fondée sur la coopération entre les banques centrales. Louis Pommery écrit dans "Aperçu d’histoire économique 1890-1939" pages 130 et 140 : « De 1921 à 1928 les Etats-Unis prêtent au reste du monde 8,500 milliards de dollars... fait plus significatif encore : sur ce total... plus de 4 milliards et demi sont versés à l’ Europe qui naguère fournissait au reste du monde des capitaux nécessaires à sa mise en valeur 215 ». Ces années ont été des années d’expansion, d’«internationalisation du capital » à l’avantage principalement du capital américain. L’échec de l’étalon-or est en outre lié au repli national et à la stratégie protectionniste de chacun pour-soi, pratiquée et soutenus par les difficultés des années 1930.

D’un autre côté, Bretton Woods a ouvert la voie à une période de coopération accrue. Des instances de coordination ont été créées (OCDE, Union Européenne des Paiements pour gérer l’aide du plan Marshall, FMI,...). Les exercices deBretton Woods marquent le premier succès véritablement imprégné de coordination internationale. En effet, l’ère de Bretton Woods a été marquée par une forte mobilité internationale du capital et la nécessité de la convertibilité des changes. Ces exigences révèlent le dilemme du triangle d’incompatibilité 216 qui s’assimile à une tentative de production de trois biens collectifs : la libéralisation des échanges, la stabilité des changes et l’autonomie des politiques nationales ; cette dernière étant convoitée par tous, mais qui est propre à chaque pays. Ainsi, certains pays ne pouvant pas se coordonner avec la forte mobilité du capital des années 1970, le triangle a fini par céder sur le pôle du change fixe. L’abandon des règles de BW en 1971 – 1973 217 , traduit ainsi la nécessité de pousser à des changes flottants 218 pour pouvoir concilier la forte mobilité du capital avec des politiques économiques nationales encore jalouses de leur souveraineté et de leurs prérogatives. Dès lors, le SMI a pris une autre envergure ; celle de la coopération entre les grandes puissances qui décident de l’orientation de l’économie mondiale 219 . Et ceci dans le cadre d’une relation tripartite : les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne. En effet, des accords coopératifs se nouaient entre ces pays et visaient à assurer la crédibilité du nouveau SMI et la stabilité financière internationale. Les réunions du G7 220 caractérisent d’ailleurs cette nouvelle phase du SMI. Nous constatons alors que la coopération constitue un élément explicatif tout à fait pertinent de la stabilité monétaire et financière. Cela se reflète par ailleurs par l’intérêt qu’accordaient les différents pays à la coopération monétaire et financière internationale à travers leur adhésion aux IFI, dont le but était de forger un cadre approprié à cet effet 221 . Par exemple, seules 44 nations avaient participé à la conférence de BW, en juillet 1944, qui a donné naissance au FMI ; tandis qu’à la fin des années 1970, le FMI comptait déjà 118 membres, qui est passé à 150 au milieu des années 1980, à 178 en décembre 1993 et, aujourd’hui, le Fonds compte 184 pays membres. Bien que la plupart de ces pays soient petits et contribuent légèrement à la croissance mondiale – profitant à tous –, leur influence est considérable et leur intérêt ne peut aucunement être ignoré comme dans le passé.

La thèse de la coopération monétaire et financière internationale comme élément de stabilité peut également être soutenue par la théorie de la coopération de crise. Cette doctrine indique qu’en temps de crise, il se crée une sorte de conscience collective qui incite les acteurs à coopérer davantage pour faire front commun face aux conséquences de la crise 222 . En d’autres termes, c’est seulement dans les périodes crises ou dans des circonstances où les intérêts des Etats sont en jeu que ceux-ci ont réellement tendance à coopérer pour faire face à des crises ou les prévenir - en abandonnant une partie de leur souveraineté nationale - et ce, davantage pour des raisons internes que pour des raisons externes. La création, dans les années Trente de la BRI, dont le but était de faciliter la coopération pour gérer une crise monétaire mondiale 223 , et les accords du Plaza et du Louvre témoignent de cette volonté collective de concertation dans des périodes peu lumineuses 224 . En effet, Catte, Galli et Rebecchini (1994), qui cherchaient à savoir dans quelle mesure l’intervention concertée affecte le fonctionnement du SMI, montrent que la stabilité du dollar dans les années 80 est bien liée aux interventions concertées. Selon ces autres, cette phase était essentiellement marquée par 3 décisions de coordination : l’accord sur la gestion concertée des taux de change (accords du Plaza, septembre, 1985), la reconnaissance de l’importance entre coordination étroite et permanente des politiques économiques (Tokyo, mai 1986) et la mise en place de procédures renforcées dans la gestion des taux de change (accords du Louvre, février 1987) 225 . Dans le même ordre d’idée, certains analystes démontrent que c’est la coopération internationale qui a atténué les conséquences du krach d’octobre 1987, du fait d’une une relance coordonnée de la politique monétaire entre les banques centrales des pays de l’OCDE 226 .

Enfin, si l’on admet qu’un contrôle provisoire de capitaux serait utile pour faire face au risque de la volatilité des capitaux à court terme et prévenir des crises financières 227 , l’analyse de la faisabilité et de la désirabilité de cette mesure a cependant abouti à une reconnaissance accrue de la nécessité d’une forte coopération entre les pays d’une zone, afin d’éviter toute concurrence préjudiciable pour attirer les investissements étrangers. Une telle coopération a pu être instituée au niveau régional, entre les pays d’Asie du Sud-Est, où existaient déjà des réseaux pays. Des groupes de nations pourraient ainsi envisager un cadre régulatoire limité des mouvements de capitaux pour leur avantage collectif.

Les phases de stabilité des variables macroéconomiques sont ainsi associées à des périodes de coopération internationale 228 . Les différentes réunions du G7 (G8 depuis 1997) en collaboration avec les IFI témoignent d’une volonté de construire un cadre de concertation et de coopération 229 .

L’assainissement et la maîtrise de la mobilité des capitaux ont sans doute été l’une des évolutions majeures de l’économie internationale, mais il serait réducteur de réduire l’enjeu de la coopération internationale uniquement à ses aspects macroéconomiques et monétaires. Le contexte géopolitique actuel et depuis la crise irakienne de 2003, et la forte coopération dans le domaine des échanges internationaux, démontrent l’importance accrue accordée à la coopération internationale et celle moins octroyée à l’unilatéralisme dans le traitement des questions mondiales. La marginalisation des PMA, qui a amplifié l’engrenage de la pauvreté, et l’émergence des marchés émergents constituent également d’autres aspects importants de la gestion des problèmes mondiaux et nécessitent une réelle coopération et l’action collective internationale, qui préludent la fourniture optimale de BCIM.

Nous présentons, dans le tableau suivant (n° 6) quelques aspects de la coopération internationale, se rapportant à la fourniture de certains BCIM.

Tableau 6 : Quelques modèles de coopération internationale - vus du niveau national
Types de coopération Motivations Notes :
sens d’engagement
Exemples
Coopération vers l’extérieur La coopération avec les autres est perçue comme nécessaire pour profiter du BCI/M au niveau national * Pays A → Reste du monde
** Amélioration des codes et standards sur les marchés financiers pour renforcer la stabilité financière internationale
Coopération vers l’intérieur Des contraintes ou des régimes internationaux exigeant des ajustements de politiques nationales * Reste du monde

Pays A
** Gestion soutenable des ressources naturelles
Coopération intergouvernementale réciproque La production du BCI/M est assignée à une organisation internationale * Pays A
* Pays B ├ BCIM
* Pays I
** Harmonisation et divulgation des statistiques uniformisées.
Coopération en réseau Ajustements de politiques nationales pour se conformer aux exigences d’un réseau et bénéficier de ses avantages * Pays A → Reste du monde → Pays A ** Système d’aviation civile internationale.
** Régime /système international du commerce.
Aide* Transfert des ressources d’un pays riche vers un pays pauvre ** Du pays A (riche)
→ pays B (pauvre)
** Projet de développement dans 1 PED par 1 pays donateur
Commerce internationale et investissement Système d’échanges des biens et services, fondé sur l’équivalence des valeurs transférées * Pays A → Pays B, et vice-versa. ** Echange de biens
** Investissement étranger
* L’aide, le commerce internationale et l’investissement sont indiqués ici à des fins de comparaison. Bien qu’ils soient des formes de coopération internationale, ils sont différents de celles qui fondent la fourniture de BCIM.

Source : d’après Kaul, Le Goulven and Schnupf (2002) ; Kaul and al (2003).

Le tableau 6, ci-dessus, indique que les diverses formes de coopération internationale devraient être considérées non plus seulement comme un moyen et un cadre de concertation pour réaliser des actions globales, mais surtout comme un élément essentiel et constitutif d’un processus commun, impliquant l’ensemble des Etats de la planète en vue de produire les BCIM.

*

A noter toutefois que la prise de conscience globale de l’existence de problèmes qui doivent être résolus à l’échelle mondiale et la perception de l’intérêt de la coopération internationale dans cette démarche ne suffisent pas pour concrétiser les engagements de tous les Etats en faveur de BCIM.

L’une des difficultés majeures de la coopération internationale est liée à la question de souveraineté et de l’autonomie des politiques nationales qui entrave la mise en commun, par voie multilatérale, des objectifs et des instruments de politique économique et le succès de la coordination internationale. Cela affecte évidemment la nature et l’évolution de la coopération internationale.

Notes
213.

Cela s’explique en grande partie par l’émergence de phénomène de crises financières dans les pays émergents.

214.

Voir, entre autres, Eichengreen (1993); Kindleberger (1994); Downs, Rocke and Peter (1996), Fearon (1998), Barrett (1999a), Pereau (2000), etc.

215.

Cité par Juste (1996) : Cf. [http: //www.cps-presse.com/archives/mondiali/couvertu.htm#Début].

216.

Rappelons que le triangle d’incompatibilité indique que l’on ne peut pas avoir à la fois des changes fixes, une parfaite mobilité du capital et des politiques monétaires nationales autonomes.

217.

Une règle qui visait en somme la libéralisation des mouvements de capitaux par le retour à la convertibilité externes – finalement atteint. En revanche, la suspension de BW s’explique par l’absence au niveau mondial de moyens et instruments politiques de coordination malgré l’augmentation de la mobilité des capitaux. Pour plus de détails sur ces questions, voir, par exemple, Allegret et Sandretto (2000) ; Aglietta (2001).

218.

Bien que certains pays, comme la France, aient conservé pendant longtemps le contrôle des changes.

219.

SMI, qui désigne l’ensemble des règles élaborées par les pays pour assurer, par le biais de la monnaie, une stabilisation des échanges, ainsi que l'ensemble des institutions chargées de contrôler et d'organiser les échanges monétaires entre les pays.

220.

G-8 depuis 1997 avec la Russie.

221.

Voir infra, section 2 - chapitre 2.

222.

Voir infra, chapitre 3.

223.

La Banque des règlements internationaux (BRI) est un organisme financier, sis à Bâle, créé en 1930, par une convention internationale, pour contribuer à la liquidation des réparations de guerre dues par l’Allemagne. Actuellement, son rôle est de favoriser la coopération entre banques centrales, pour lesquelles elle sert de cadre de consultations monétaires, et de fournir des services pour des opérations financières internationales. Cf. le site :( www.bis.org ).

224.

Plus globalement, il est relativement facile de se mobiliser et d’engager des fonds pour, tant que la crise économique, financière, environnementale ou politique demeure visible et manifestement dangereuse.

225.

En effet, une politique monétariste de « dollar fort » a été mise en œuvre par la Réserve fédérale, avec notamment une forte hausse des taux d’intérêt (plus de 20 % en 1980). Ce qui permet d’attirer les capitaux et de relancer les investissements internes. Le dollar s’apprécie de 150% au premier trimestre de 1985. Après les premières crises liées à la dette (en Amérique latine) et les faillites à répétition des caisses d’épargne américaines, les accords du Plaza (du nom de l’hôtel à New York où sont réunis les grands argentiers) visent à faire baisser de manière concertée le dollar : baisse des taux d’intérêt américains, vente de dollars par les BC, qui en ont acheté à prix fort et donc paient la facture... On parvient ainsi à mettre fin à la hausse insupportable du dollar. La réunion du Louvre (1987), en France, vise en effet à stopper l’effondrement du dollar, qui avait perdu 40% de sa valeur, entre 1985 et 1987, et fixer des « zones-cibles » pour les changes.

226.

Voir, par exemple, Delas (1994).

227.

Voir, par exemple, Haldane et Kruger (2001).

228.

Signalons tout de même que l’efficacité de la coopération monétaire et financière internationale dépend de la crédibilité qu’elle apporte. Un recours trop important aux interventions concertées risque de les discréditer compromettant ainsi les prérogatives de la coopération internationale.

229.

Cependant, si le G7 a joué un rôle déterminant dans le fonctionnement plus harmonieux du système monétaire international et dans la coordination des politiques économiques, en se substituant, à ce titre, au FMI, les résultats de ses sommets ne reflètent plus aujourd’hui cette impression. Or, le besoin de la coopération monétaire internationale est devenu plus que jamais primordial.