Depuis la dernière décennie, les modalités de gestion des questions mondiales par les institutions internationales font l’objet de plusieurs contestations. Il ne s’agit plus seulement des critiques récurrentes à l’égard de ces institutions en provenance des pays du Sud, mais de l’émergence d’une vision nouvelle exprimant la nécessité de repenser les relations économiques et financières internationales. Il y a quelques années, un mouvement modeste, mais qui se faisait bien entendre contre les institutions de Bretton Woods, a vu le jour. Avec le slogan « Cinquante ans, ça suffit », il exprimait des contestations - à multiples visages - dans le but de dévoiler l’échec des IFI dans les tâches qui leurs sont assignées. Ces contestations se soldaient parfois sur l’échec des négociations internationales relatives aux BCIM : celle de Seattle sur le lancement d’un nouveau cycle de libéralisation des échanges en 1999 282 ; la conférence de la Haye sur le climat en 2000 ; celle de Johannesburg sur le développement durable ; celle de Cancun sur la libéralisation du commerce international en septembre 2003 283 .
Elément fondamental pour coordonner les actions et harmoniser les objectifs, la question de la légitimité est au centre des critiques. Dotées d’un mandat, d’outils d’intervention et de procédures qui délimitent la forme et les modalités de leur action, les institutions internationales ne peuvent donc tirer leur légitimité que de la manière dont elles remplissent leur tâche. Elles doivent donc être et rester spécialisées : l’OMC doit s’occuper du commerce mondial, et non de l’environnement, le FMI des questions monétaires et financières, et non de l’éducation ou de la bonne gouvernance 284 . Sinon, chaque institution pourrait prétendre tout faire, à la place des autres. Or, cette légitimité est souvent ternie par le fait que la plupart de ces institutions, notamment les IFI, outrepassent leur mandat 285 . Ce qui, par ailleurs, affecte sérieusement leur efficacité 286 . En effet, plusieurs études concluent à l’inefficacité des institutions internationales (en particulier des institutions économiques et financières internationales) et prônent la redéfinition des rôles qui leurs sont assignés en arguant du dysfonctionnement du système international actuel. Stiglitz (2002a) considère que les le FMI, la BM et l’OMC ne répondent plus aux problèmes qui avaient motivé leur création, et qu’elles peinent à intégrer des nouvelles questions qui touchent l’économie mondiale. Ainsi, leur légitimité étant entamée par leur relative incapacité à lutter contre les crises financières, à générer un processus réel de développement et éradiquer la pauvreté dans le monde, les institutions de Bretton Woods ont défini, à l’intention des PED&E, les notions de bonne gouvernance et de lutte contre la pauvreté, censées prouver une prise de conscience des erreurs passées, afin de justifier leurs interventions présentes.
De même, dans le rapport de la commission Meltzer de 2000 287 , on indique que l’échec des programmes de la Banque mondiale 288 , dans les pays africains, peut être estimé à 73 % des objectifs visés. Quant aux activités du FMI, elles auraient eu pour conséquences la fuite de l’épargne et des capitaux, la perturbation des marchés naissants, la hausse du chômage et auraient encouragé des pratiques dangereuses de financement d’intérêts privés. Ainsi, une étude récente des programmes de facilités d’ajustements structurels renforcés du FMI, menée par un groupe d’experts indépendants, a débouché sur le constat suivant : la limitation des dépenses publiques est souvent trop stricte, au point de nuire au capital humain et à la croissance 289 . Cette constatation s’applique également aux conditions posées par le FMI en réaction à la crise économique et financière de l’Asie de l’Est, amorcée en 1997 290 . Par ailleurs, il est communément reproché au FMI et à la Banque mondiale d’imposer des conditionnalités trop rigides et un modèle de développement économique et social standardisé, ne tenant pas compte des choix des populations et des particularités des situations. C’est finalement le modèle unique de développement économique proposé à des pays différents qui est rudement contesté aussi bien de l’extérieur qu’au sein même des ces institutions 291 .
Les critiques portent également sur la gouvernance des institutions internationale, dont l’opacité et la partialité sont souvent désapprouvées. Ainsi, le fonctionnement des institutions de Bretton Woods est réprouvé du fait qu’il échappe au contrôle des gouvernements démocratiques et qu’il rend des comptes imparfaits. Le processus de décision au sein des institutions de Bretton Woods est souvent considéré comme antidémocratique : il n’est pas transparent, les voix de certains ou de certains pays compte plus que d’autres. Par exemple, les Etats-Unis sont le pays à disposer d’un droit de veto au sein du FMI ; celui-ci reflète forcément leurs intérêts 292 . D’autres critiques seront davantage examinées dans les chapitres (3 et 4) suivants.
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Ces critiques ne devraient pas conduire à méconnaître le rôle important des institutions internationales en matière d’établissement d’un cadre multilatéral idéal pour la production optimale de BCIM. Mais, tout succès dans ce domaine exige l’existence d’institutions internationales – mais aussi nationales – suffisamment solides et véritablement investies de cette tâche. D’où, l’intérêt de repenser l’architecture et l’approche de la plupart des institutions internationales actuelles.
Conclusion – section 2
Les bilans des institutions internationales en matière de fourniture de BCIM ne sont pas parfaits. Hormis les équivoques pouvant affecter la qualification de BCI/M dans certains domaines, des institutions internationales sont parvenues à forger des vraies négociations à l’échelle mondiale, débouchant sur des objectifs communs globaux. A quelques limites près, l’OMC a su sensiblement réduire les barrières commerciales formelles, favoriser l’expansion des échanges commerciaux et contribuer à la création d’innombrables potentialités économiques 293 . D’autres institutions internationales agencent des rencontres entre les multiples pays qui, nonobstant la divergence de leurs intérêts et de leurs perceptions de certains sujets complexes, parviennent à s’accorder sur des dispositions mutuellement favorables et collectivement bénéfiques. C’est le cas du Conseil de sécurité en matière d’embargo sur les armes à destination des zones chaotiques ou encore de l’OIT contre le travail des enfants et ce, aux dépens des aspirations de certains Etats. Les IFI sont dans une certaine mesure des acteurs incontournables de la scène économique internationale. Leur utilité est indéniable, particulièrement lorsqu’il s’agit de gérer les crises, et leur contribution au développement des échanges internationaux et au règlement à l’amiable des différends commerciaux est patente. Au demeurant, il est de fait impossible d’imaginer l’état des relations internationales et le sort du multilatéralisme sans les institutions internationales, censées les incarner et/ou les fortifier.
Cependant, aucune institution, aussi bien nationale qu’internationale, n’est pas parfaite ; même si certaines sont plus efficaces que d’autres. Des études théoriques, étayées par des observations empiriques, démontrent en effet que les institutions internationales sont la transcription des Etats, qui les dotent des pouvoirs et des instruments, afin qu’elles défendent leurs intérêts là où les actions individuelles semblent moins efficaces. Or, cette configuration n’est pas neutre, car les degrés d’efforts fournis dans la création et la posture de ces institutions influencent largement leurs actions 294 . Si bien que les institutions internationales chargées des tâches moins controversées seraient plus efficaces (OMS, Cour international de justice, Organisation de l’aviation civile internationale, etc.), tandis que celles qui sont destinées à coordonner les actions des Etats, qui ne partagent pas nécessairement le même type d’intérêts, autour des questions aussi délicates que la préservation de l’environnement, l’éradication de la pauvreté et de fractures sociales au niveau mondial, la stabilité du SFI,... et, pour tout dire, la production de BCIM, risquent d’être des boucs émissaires, de la sous-production de ces biens, due aux attitudes instinctives des Etats-nations.
Ainsi, l’idée de renforcer le rôle des institutions internationales pour combler la défaillance de la coopération internationale dans certains domaines est sans nul doute subtile. Car, l’existence d’institutions (nationales et internationales) suffisamment solides est une des conditions de prise en charge, au niveau national et international, de la production de biens collectifs bénéficiant à tous. Mais, cela doit s’inscrire dans un processus global qui consiste à repenser les procédures de production de BCIM, jusqu’ici envisagée dans un cadre interétatique.
Si l’on considère – à l’instar de Kindleberger (1986) – la libéralisation des échanges commerciaux comme un BCI.
Ces échecs devraient servir à rappeler à tous les pays leur négligence passée à l’endroit des engagements internationaux, portant sur les BCIM, qu’ils avaient pris solennellement.
Le FMI doit favoriser en priorité de solides politiques monétaires, fiscales et de changes. Plus important encore, il doit surveiller le système monétaire international. Voir infra, chapitre 3.
En effet, certes les institutions internationales sont organisées selon le principe traditionnel de partage des compétences – chacune agissant dans un domaine spécifique. Cependant, en réalité, les questions traitées par les unes et les autres se chevauchent inévitablement. La BM prend en main la question du Sida, compte tenu de ses liens avec la pauvreté. Mais cet engagement pourrait être perçu par l’OMS comme le risque de dépossession d’une question qu’elle considère avant tout comme une question de santé. L’OMC entre en conflit avec le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, le BIT ou la FAO quand les principes de libéralisation du commerce entrent en contradiction avec la protection de l’environnement, les droits des travailleurs ou la sécurité alimentaire. Si bien que les institutions internationales dans cette nouvelle configuration, ne sont plus spécialisées des sujets « relevant de leur compétence ». Elles apportent plutôt un angle de vue particulier à un sujet traité en commun.
Cf. Sachs (1998) ; Massiah (2001); Toussaint (2005).
C’est une commission créée par le Congrès des Etats-Unis à la suite de la crise asiatique. Présidé par Alan Meltzer, elle était chargée de faire des recommandations à l’égard de plusieurs IFI. Le rôle de ces dernières durant la crise asiatique, notamment celui du FMI, avait provoqué un mécontentement croissant dans la classe politique américaine. Elle était composée de 11 très importants économistes et avocats nommés par les Républicains et les Démocrates. En février 2000, elle a rendu un rapport sur la Banque mondiale et le FMI, plaidant pour une redéfinition du rôle de chacune de ces IFI.
Qui a pour mission de combattre la pauvreté et les inégalités sous tous leurs aspects. Voir infra, chapitre 4.
Dans son ouvrage publié en 1999, A. Traoré, ex-ministre de la Culture du Mali, explique que la liberté des Africains vis-à-vis des institutions de Bretton Woods est hypothéquée par les conditions économiques et politiques qui leur sont imposées dans le cadre des PAS.
Ainsi, en sacrifiant l’objectif interne de croissance au profit de l’objectif externe de stabilisation de taux de change, les réactions des IFI, notamment du FMI, sont souvent confrontées à un problème de crédibilité lors des crises. Ainsi, Radelet et Sachs (1998) révèlent que les programmes du FMI – exigeant de prime abord à la fois contraction monétaire et budgétaire – ont pu aggraver la situation et empêcher par-là même la stabilisation de l’économie lors de la crise asiatique de 1997. Ils observent que chaque annonce de programme a été suivie d’une accélération de la dépréciation de la monnaie domestique. En d’autres termes, un conflit entre équilibres interne et externe est clairement apparu, suggérant que la stabilisation monétaire pouvait être non crédible et intenable sur le plan domestique. Ce raisonnement est également soutenable dans le cas brésilien, qui apparaît au demeurant comme un cas d’école. En effet, dans un contexte de tension sur le taux de change du real, le FMI est intervenu préventivement. Cette intervention n’a pas empêché le décrochage du real contre le dollar début 1999. Selon le FMI, ce décrochage a été lié à l’incertitude politique régnant au Brésil concernant le degré d’engagement à réaliser l’ajustement budgétaire requis. Cependant, la politique monétaire restrictive a engendré une importante contraction de l’activité qui, par le jeu des stabilisateurs automatiques, a aggravé le déficit budgétaire du pays. Ainsi, les autorités brésiliennes semblent avoir été prises dans un cercle vicieux : la stabilisation des changes appelle un ajustement budgétaire, mais celui-ci est rendu non soutenable étant donné la politique monétaire restrictive, d’où une accentuation de l’instabilité (ce qui fait dire d’ailleurs à Sachs [1999] que c’est finalement le FMI qui a provoqué la crise du real par une politique non soutenable sur le plan interne). Il semblerait donc que les autorités ne soient généralement pas en mesure de réaliser l’ajustement budgétaire exigé par le FMI. Dans cette perspective, n’est-il pas alors plus opportun d’agir sur la variable budgétaire plutôt que d’en subir les évolutions ? L’analyse des plans de stabilisation du FMI pose ainsi la question du policy mix souvent mis en oeuvre et la question de sa crédibilité. De nombreux auteurs (tels que Jeanne O. ou Stiglitz J.) se sont interrogés sur la capacité d’une hausse des taux d’intérêt à stabiliser le taux de change. Stiglitz (200a) estime que le durcissement de la politique monétaire -via les taux d’intérêt- est loin d’être la réponse appropriée. Pour une ample analyse sur ces questions, voir, entre autres, Cartapanis (2001) ; Stiglitz (2002a) ; Boyer et Dehove et Plihon (2004) ; Artus, Cartapanis and Legros (2005), etc.
Les critiques répétées adressées au FMI et à la BM sur ce point et bien d’autres ont abouti à un certain assouplissement de ces conditions (Stiglitz, 2002a).
La défiance américaine vis-à-vis des institutions internationales, précédemment évoquée, est particulièrement notable s’agissant des institutions de Bretton Woods où ils s’efforcent avant tout de conserver une influence prépondérante. C’est ce qu’exprime clairement Colin Powell s’adressant aux représentants des Etats lors de la réunion annuelle des institutions de Bretton Woods : « Et je saisirai chaque opportunité de faire passer le message au public tout autant américain qu’étranger selon lequel, dans le monde de plus en plus interdépendant où nous vivons, la prospérité et le bien-être américains sont plus que jamais liés à la diffusion de la croissance et à la stabilité dans le monde. C’est pourquoi un leadership fort des Etats-Unis au sein du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC est si essentiel à l’avenir de l’Amérique et du monde ». - Secretary C. Powell, Remarks at Annual Meeting of the Bretton Woods Committee, Washington, DC, April 27, 2001. – Cité par Allard (2002). Autre exemple, l’opposition de l’administration Clinton à toute réforme du fonctionnement du FMI, qui aurait pu réduire l’influence du Trésor américain sur les orientations de l’institution internationale.
En effet, les discussions de Doha ont souvent été très difficiles, et la réunion ministérielle de l’OMC en septembre 2003 à Cancun, au Mexique, s’est soldée par un échec. Pourtant, il y a des progrès. En juillet 2004, les membres de l’OMC se sont mis d’accord sur un cadre, dont les grandes lignes peuvent se résumer comme suit : (i) élimination complète des subventions aux exportations agricoles, (ii) nouvelles réglementations introduisant plus de discipline dans les crédits à l’exportation et les entreprises d’état commerciales, (iii) maintien de programmes d’aide alimentaire à des fins humanitaires et de développement, mais assortis d’une réglementation pour maintenir plus de discipline, (iv) nouvelles réglementations sur les subventions nationales dans les pays industriels, et (v) améliorations substantielles de l’accès aux marchés, en commençant par la réduction des barrières les plus contraignantes pour les pays en développement. De même, dans la déclaration finale de la 6ème Conférence à Hongkong, en 2005, les pays membres de l’OMC ont réitéré les engagements de juillet 2004, notamment sur le dossier coton, en acceptant que les soutiens internes à la production de coton qui ont des effets de distorsion sur les échanges soient réduits de « manière plus ambitieuse », et que ce résultat devrait être mis en œuvre au cours d’une période beaucoup plus courte que celle qui sera généralement applicable au reste du dossier agriculture.
En effet, la répartition du pouvoir semble déterminante dans le bon fonctionnement des institutions internationales. Les institutions dominées par un petit nombre de membres - par exemple, le FMI où l’on a un système de vote pondéré en fonction du poids relatif de la participation des membres - seront plus à même de prendre des mesures décisives que celles dans lesquelles l’influence est repartie de manière plus diffuse, comme c’est le cas à l’Assemblée générale de l’ONU.