1.2.3 - La stabilité financière internationale comme produit de la coopération et de l’action collective internationales

L’approche économique néoclassique, qui présume l’efficience des marchés financiers, conduit à qualifier l’instabilité financière internationale de « problème d’action collective » (Wyplosz, 1999). Selon cette approche, l’action internationale visant à réguler le fonctionnement des marchés financiers contrarie l’apparition et la domination spontanées de normes plus efficaces là où elles sont nécessaires. La concurrence sur les marchés financiers garantira la prééminence des meilleurs choix, plus favorables aux acteurs. Ainsi, la standardisation occasionnée par l’action collective produira des gains assez faibles, car les normes communes qu’elle élabore seraient plus faibles, favorisant l’avènement des crises. Ainsi, les caractéristiques et les difficultés de l’action collective font que l’objectif d’assurer la stabilité du SFI est loin d’être atteint.

Ce raisonnement pourrait être analysé à la lumière de l’approche relative à la coopération internationale. En effet, l’application de cette dernière à la stabilité financière internationale fait ressortir un certain nombre de règles. D’abord, la nécessité d’une régulation financière au niveau mondial. L’importance de cette mesure naît des conditions restrictives de l’efficience des marchés (Stiglitz, 1999a). Elle peut être illustrée à travers les problèmes engendrés par l’absence de cadre international en matière de fonctionnement des marchés financiers, au cours de ces dernières années. En effet, les cadres multiples nationaux peuvent créer des incertitudes et engendrer des coûts énormes lors des transactions internationales. Cette situation donne lieu à des externalités car, le cadre réglementaire d’un pays a des implications sur les autres. La forme actuelle des transactions de change, totalement dérégulée, constitue un fardeau sévère pour et une externalité négative pour les pays qui n’ont pu mettre en place un contrôle efficace du système financier. Cette externalité apparaît, par exemple, dans la tendance de propagation de toutes les vagues de spéculation qui poussent la plupart des pays à maintenir une politique financière restrictive et de constituer des réserves accrues pour contrecarrer les risques des tempêtes de spéculation 454 . Or, cela implique la diminution des investissements publics et moins de création d’emplois. Pour les PED&E, cela les oblige à élever leurs marges des taux (Spread) par rapport aux pays riches pour attirer des ressources financières ; ce qui évince les investissements et la dynamique du secteur privé. La régulation du système de change international exige le réajustement progresse des balances des paiements au niveau international, ce qui suppose la coordination des politiques économiques et, par-là, une coopération internationale réussie.

En second lieu, étant donné qu’il n’y a pas de stabilité sans stabilisateurs, le rôle des IFI est indispensable dans cette régulation. Celles-ci doivent agir à promouvoir et organiser cette coopération nécessaire à l’amélioration de l’efficacité des marchés financiers internationaux. Elles doivent donc établir des règles qui puissent garantir la stabilité du SFI et accroître les effets bénéfiques de celui-ci, tout en réduisant les coûts d’éventuelles crises déstabilisatrices. Le progrès réalisé par la communauté financière internationale en matière de la réglementation bancaire est édifiant à cet égard. En effet, les grandes banques centrales et plus généralement les IFI ont pris conscience dans les années 80 de l’insuffisance des réglementations strictement nationales dès lors que se renforçait l’interdépendance des systèmes nationaux sous l’effet de la diversification des portefeuilles et de la libéralisation des mouvements de capitaux. La concertation et la coopération au sein de la BRI ont permis d’élaborer de ratios prudentiels, progressivement sophistiqués avec le passage des accords de Bâle I à Bâle II 455 .

Par ailleurs, l’action collective menée par les IFI doit impliquer des stratégies visant à assurer la participation de tous les acteurs (gouvernements, société civile, organismes financiers, etc.), en vue d’ériger une architecture financière internationale juste et satisfaisante. Cette nouvelle architecture financière internationale 456 constituerait un moyen d’internaliser les externalités produites par l’instabilité financière internationale, qui surgissent sous forme de crises systémiques et prennent naissance dans les PED&E.

Enfin, les expériences historiques montrent bien que les mesures susceptibles de garantir la stabilité financière internationale se heurtent à plus d’un obstacle : absence d’une volonté propre pour une coopération internationale éclairée, manque de courage politique de mesurer l’ampleur de l’instabilité financière internationale, vision étroite de l’intégration et de l’interdépendance financière mondiale, etc. Ceux-ci seraient à l’origine de la sous-réalisation de la stabilité financière internationale et contribueraient donc à procurer un environnement global dépourvu de toute sécurité financière. En témoigne l’échec du DTS de se substituer au dollar, comme monnaie internationale, en vue de garantir une régulation efficace du système et financier international.

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A ce stade, il convient de tirer quelques points conclusifs : 

Il existe une asymétrie entre les Etats dans le domaine de la finance, avec une marginalisation accrue de certains pays du Sud 457 et une domination manifeste et hégémonique des Etats-Unis 458 . Pour s’en convaincre : les crises et désordres financiers qui se produisent sur les marchés émergents provoquent sans doute un afflux de capitaux sur les marchés d’emprunts occidentaux, notamment vers Wall Street (fuite vers la qualité) 459 . Ce mouvement se traduit par : une nette détente des taux d’intérêt à long terme, qui se situe à des niveaux très bas dans cette zone 460 , favorisant leur performance économique, d’une part ; et une chute marquée des taux de rendement des obligations d’Etat et le creusement corrélatif des primes (spreads) dans les PED&E, y compris pour les pays jugés traditionnellement honorables par le marché, d’autre part.

La transformation des systèmes financiers de par le monde a entraîné une expansion inouïe du rôle des acteurs non étatiques dans la formation des prix et l’affectation des ressources financières (domination de la conception des règles prudentielles par les grands acteurs financiers, rôle des centres offshore). Cette situation encourage la libéralisation et la croissance des flux financiers internationaux et les fluctuations des taux de changes et complique la surveillance des opérations financières internationales, favorisant l’avènement des crises systémiques.

A l’amplification des troubles financières, s’ajoute la délinquance financière, favorisant des zones de non-gouvernance (impossibilité de mesurer la masse de liquidités mondiales disponibles, blanchiment des capitaux mal acquis et évasion fiscale, incapacité à surveiller les établissements financiers internationaux et les places financières extraterritoriales). Ces phénomènes ont pour le moins comme conséquences de menacer la stabilité du SFI. Il est alors nécessaire d’envisager des mécanismes de coordination intergouvernementaux, pilotés par les autorités de tutelle supranationales, en l’occurrence les institutions financières internationales (IFI).

Conclusion - section 1

Eu égard à l’état actuel du SFI, à son mode de fonctionnement, tout le monde s’accorde sur la nécessité d’agir pour accroître les effets bénéfiques des marchés financiers internationaux sur la croissance et le bien-être au niveau mondial. En effet, l’ampleur des crises financières récentes ainsi que leurs conséquences prévisibles évoquent une exigence de bon sens d’élaborer des règles, en particulier prudentielles, applicables aux entreprises, aux banques et aux intermédiaires financiers, permettant de prévenir la prise de risques excessifs et d’empêcher que les accidents financiers, inévitables par nature, ne se propagent et ne dégénèrent en crises systémiques. Mais il est impérieux aussi de donner aux IFI compétentes les moyens d’intervenir efficacement dans le cas où les crises n’auraient pu être évitées.

Face à ces exigences, considérer la stabilité financière internationale comme BCI n’est pas plus nécessaire que la nécessité d’agir pour la considérer réellement. Ainsi, à la lueur des analyses en termes de BCIM, la stabilité financière internationale ne revêt le statut d’un BCI qu’au moyen d’un agencement justifié par les enjeux qu’elle comporte 461 . Car, si sa garantie n’améliore pas le sort des nations, sa défaillance n’est pas neutre pour ces dernières, notamment dans les zones dépourvues d’infrastructures et d’institutions financières robustes 462 . Cela s’explique en effet par le caractère asymétrique des effets de l’instabilité financière internationale aux dépens des PED&E. Voilà ce qui nous conduit dorénavant à qualifier la stabilité financière internationale d’un BCI spécifique, à l’instar d’un bien de club international, ne profitant guère à toutes les populations, tous les pays, encore moins aux générations futures.

Cependant, la communauté financière internationale, sous l’égide du FMI, s’est fortement mobilisée pour assurer un meilleur fonctionnement du système financier mondial. Encore, faut-il que les efforts de celle-ci dans ce sens ne soient pas déjoués par des contraintes politiques exprimées par les gouvernements, qui obéissent à des intérêts et poursuivent des fins propres.

Notes
454.

Les spéculateurs tendent à se focaliser sur le ratio réserves de change/dettes à CT, obligeant les pays à augmenter leurs réserves de changes en même temps qu’ils empruntaient à CT.

455.

Voir infra, p. 276.

456.

Stephany Griffith-Jones (2002) considère cette nouvelle architecture financière internationale comme un bien collectif mondial.

457.

Selon un rapport de la commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, présenté en février 2004, la globalisation des systèmes financiers conduit à l’exclusion d’une immense partie de la planète...

458.

Cette domination se traduisant par leur capacité à écrire des règles du jeu de la finance internationale (passage aux changes flottants, ouverture des frontières pour le financement des déficits publics, décisions des formes d’action en cas de crise,...).

459.

Qui indique une situation où les opérateurs de marché préfèrent se débarrasser de leurs avoirs en monnaies locales pour se porter vers les monnaies de pays présentant à la fois de meilleures performances économiques et des risques financiers moindres, en premier le dollar.

460.

Comme cela avait été déjà le cas à la suite de crise asiatique de 1997 : 4,82% en France pour les rendements à 10 ans, 5,64% pour les échéances à 30 ans aux Etats-Unis.

461.

En référence à la théorie de la stabilité hégémonique, Snidal (1985) a mis en cause le caractère de BCI lié à la stabilité internationale fourni par le pays hégémonique en contestant le caractère de non-exclusion et d’indivisibilité qui caractérise un tel bien. Ce qui pourrait se recouper, dans certain contexte, avec le cas de la stabilité financière internationale, car Kindleberger (1973) considère que la disparition d’un leadership international est le principal déterminant de l’instabilité financière internationale – cité par Allégret et Sandretto (2002).

462.

Pour éclaircir notre raisonnement, nous pourrons faire une analogie avec la santé ; celle-ci ne rend pas forcément heureux, mais sa déficience produit spontanément l’effet inverse.