2.3.1 - Améliorer les mécanismes de régulation des mouvements de capitaux mondiaux

L’un des dysfonctionnements majeurs des marchés financiers internationaux est incarné par la volatilité excessive des flux transfrontaliers de capitaux. Résultat des comportements moutonniers des acteurs de marchés 642 , elle se nourrit d’une bonne part des faiblesses diverses constatées du côté des prêteurs 643 comme des emprunteurs 644 et constitue l’une des caractéristiques les plus marquantes de l’économie de la fin du XXe siècle.

Compte tenu des effets néfastes qu’elle engendre, notamment les préjudices qu’elle crée aux économies des PED&E 645 , il est impératif d’adopter des mesures destinées à réglementer les mouvements de capitaux afin d’accroître les effets bénéfiques des marchés financiers internationaux sur la croissance et l’efficacité 646 , tout en réduisant les coûts d’éventuelles crises déstabilisatrices 647 . C’est en effet l’une des conditions pour que les avantages de l’intégration financière puissent emporter sur les risques qu’elle comporte.

Quant aux procédés envisagés pour parvenir à réglementer efficacement les flux internationaux des capitaux, il est difficile d’établir les « meilleures pratiques » dans ce domaine, car les problèmes et la manière dont les marchés y réagissent diffèrent sensiblement en fonction du contexte juridique et du marché concernés (Tarullo et Daniel, 2003). Des règles trop rigides, telles que le contrôle strict des mouvements de capitaux semblent aléatoires. Mais, le fait que certains pays (la Chine ou l’Inde) qui pratiquent encore une stratégie similaire soient souvent moins touchés par les crises financières contagieuses conduit à s’interroger sur l’opportunité des politiques qui visent à réduire la volatilité intrinsèque de ces capitaux en réglementant leur libre circulation. Cependant, il existe un certain nombre de propositions, dont la plupart convergent pour soutenir les capitaux à long terme stables (notamment les IDE et les participations étrangères) et limiter les financements à court terme volatils (créances bancaires,...) qui ne favorisent pas le partage des risques et rendent le pays vulnérable aux voltes faces des marchés et à des problèmes d’insolvabilité.

Sans prétendre à examiner ces différentes propositions, nous nous attacherons à analyser l’option de la régulation des mouvements des capitaux comme instrument de gestion de la mondialisation financière afin d’en tirer quelques enseignements pour la stabilité financière internationale 648 .

A la lumière des approches relatives aux BCIM, la réglementation de la mobilité des capitaux est une sortie provisoire de la discipline des marchés, qui se justifie par la nécessité de donner aux économies les plus vulnérables les moyens de se défendre contre les chocs internationaux, en enfreignant - provisoirement - aux règles des marchés. En effet, après les crises en Asie, on s’est rendu compte que des marchés de capitaux à court terme et volatils peuvent être une importante source de chocs économiques. Et, étant donné que l’économie a une faible capacité d’absorption de ces chocs, il est avéré nécessaire d’accompagner la libéralisation des mouvements de capitaux par de dispositifs de contrôle afin de maîtriser le risque qu’elle comporte. Ce qui contribue au bon fonctionnement et à la pérennité des marchés, car c’est une attitude qui permet de rassurer les investisseurs que les mesures de contrôle ne sont pas hostiles aux capitaux étrangers ; de plus, certains dispositifs de contrôle pourraient faire baisser les coûts de transactions sur les marchés de capitaux de différents pays, contribuant à leur bon fonctionnement 649 .

Par ailleurs, il y a un large consensus sur la nécessité de l’action collective internationale pour réussir la réglementation de la mobilité des capitaux. En effet, l’action unilatérale dans ce domaine est porteuse d’un risque d’incoordination, c’est-à-dire de fragmentation des outils internationaux de prévention et de gestion de crise 650 . Le succès des dispositifs de régulation des mouvements de capitaux dépendra donc grandement de l’effectivité et de l’efficacité d’une coopération et une coordination intenses et étroites, impliquant tous les acteurs et pilotées par les organes de réglementation et de contrôle 651 .

Enfin, s’agissant de ses avantages collectifs, il est clair que la mobilité internationale des capitaux en tant que telle apporte d’innombrables avantages à l’économie mondiale. Ainsi, O. Davanne (1998) estime que le recyclage de l’épargne des pays industrialisés et vieillissants vers les pays pauvres et jeunes peut contribuer au financement du développement chez les uns et faciliter le paiement des retraites chez les autres. Cependant, une comparaison de ces avantages par rapport aux éventuels coûts de la mobilité internationale des capitaux – voir annexe XX – conduit à la prudence.

Ainsi, nous pourrons tirer quelques enseignements permettant de répondre à cette prudence. D’abord, il convient d’invoquer la tendance qui considère que la réglementation permet certes de prévenir les risques transitoires liés à la libéralisation financière, mais que cette mesure semble futile et contre-productive à la longue. A mesure que les forces de la globalisation financière progressent, il devient plus difficile pour les pays de résister à la libéralisation financière qu’elles impliquent. L’efficacité de la réglementation s’érode au fil du temps, car l’ouverture aux échanges internationaux accroît les possibilités de contourner les restrictions aux flux de capitaux (par exemple, par sous-facturation ou surfacturation des opérations commerciales, transferts sous différents couverts,...) 652 .

Cependant, au-delà des arguments théoriques en faveur de la régulation des mouvements de capitaux, la traversée sereine des crises récentes (de la crise asiatique de 97-98 à celle argentine de 2001-02) par certains PED&E relativement fermés aux capitaux extérieurs (notamment la Chine, l’Inde, le Chili 653 ou même la Malaisie 654 ) laisse parfois penser qu’il y a plus de réglementions des capitaux et des changes aux effets favorables que des réglementations aux effets destructeurs sur la stabilité financière internationale. De plus, pour les pays à système financier fragile, la réglementation de la mobilité de capitaux apparaît comme une alternative face à la difficulté de résoudre un dilemme : trouver le moyen d’accompagner l’ouverture financière par des politiques de nature à réduire la volatilité à court terme sans compromettre les perspectives de croissance escomptées à long terme 655 .

*

Au terme de cette analyse, on s’aperçoit que la régulation de mouvements des capitaux se justifie pour éviter que ceux-ci n’aient un effet préjudiciable sur l’offre monétaire et les taux d’intérêt et qu’ils n’exercent des pressions adverses sur le taux de change. Elle devrait donc pas servir simplement de bouclier à des pays soucieux de se prémunir contre des changements et des réformes rendues nécessaires, que ce soit du fait de la crise financière ou, pour des raisons structurelles et dans une optique à long terme. Son succès dépendra aussi du dosage adéquat de politiques monétaires et fiscales qui peuvent stimuler le redressement, sans engendrer ni accroître les fardeaux économiques et financiers qui pèsent sur les populations. En d’autres termes, la réglementation des mouvements de capitaux n’est pas une panacée pour protéger un pays d’une crise insurmontable et lui offrir les conditions du redressement. Ils doivent être associés à d’autres mesures 656 . Au demeurant, selon certaines études 657 , le fond du problème réside non pas dans la libéralisation financière et les flux de capitaux, mais plutôt dans les lacunes de la surveillance et de la réglementation prudentielle dont les conséquences sont simplement amplifiées par cette libéralisation.. De ce fait, la gestion de la mondialisation financière pour assurer la stabilité financière internationale doit aller au-delà de l’amélioration des flux de capitaux pour aborder d’autres sujets, tels que la prévention macro-prudentielle.

Notes
642.

En effet, un investisseur individuel peut très bien apprécier « correctement » le risque pris et estimer à 100% la probabilité d’un revirement. Pour autant, il ne saura pas dater ce retournement (qui dépend notamment de l’attitude des autres), et il aurait tort de se retirer trop tôt (ou il serait alors pénalisé par ses actionnaires). Dès lors, tous maintiennent leurs positions dans l’espoir pour chacun d’être le premier à se désengager en cas de crise. Ce comportement « moutonnier » accentue l’ampleur des crises lorsqu’elles se produisent. Cf. Jacquet (1999).

643.

En raison de la piètre gestion de leurs risques.

644.

A cause de la mauvaise utilisation des fonds prêtés par la communauté internationale, faute de politiques macroéconomiques adaptées et de structures financières suffisamment solides et contrôlées.

645.

Les brusques afflux de capitaux (en particulier les investissements étrangers de portefeuille et les entrées de devises à CT, nommés "emprunts" par les banques nationales) seraient un facteur déclenchant ou aggravant de la plupart des crises récentes. En effet, ils peuvent agir de manière procyclique et provoquer une surchauffe de l'économie ou alimenter une hausse des prix des actions et de l'immobilier, encourageant ainsi les investissements improductifs et/ou une montée en flèche de la consommation. Lorsque l'ampleur des bouleversements est telle que des doutes apparaissent quant à la poursuite de la phase d'expansion, les investisseurs à CT cherchent à se retirer au plus vite, en bloc, avec les conséquences qui s'ensuivent sur les réserves. Les taux d'intérêt sont alors relevés afin de juguler la fuite des capitaux et de maintenir le taux de change, ce qui entraîne de nouvelles conséquences négatives, pour les investisseurs comme pour les emprunteurs.

646.

En assurant une offre suffisante de capitaux pour le financement du développement..

647.

Car elles permettent de contenir leur propagation à d’autres pays.

648.

Pour analyse détaillée de ces propositions, voir les annexe (A1).

649.

Car, en limitant l’influence des événements aléatoires, le contrôle, le renforcement de la réglementation des sociétés, une plus grande transparence comptable et le renforcement des agences de notation de créances, permettent aux institutions financières et à leurs créanciers – les dépositaires par exemple – de réduire les risques et donc les coûts, promouvant l’épargne et l’investissement.

650.

Ainsi, une réponse individuelle face à la contagion internationale est naturellement vouée à l’échec, faisant valoir la nécessité des stratégies internationales de réponse à la crise..

651.

Par exemple, l’application d’une taxe de type « taxe Tobin » doit se faire à l’échelle mondiale et s’étendre à d’autres marchés de capitaux ; autrement, les opérations auront tendance à migrer vers d’autres territoires n’appliquant pas d’impôts qui risquent fort d’être moins réglementés que les circuits existants. Les intervenants pourraient également recourir à d’autres instruments financiers ou réels pour parvenir à leurs fins.

652.

De même, l’expérience a révélé que la réglementation des mouvements de capitaux alimente la corruption et produit toujours de distorsions (Rogoff, 2003).

653.

L’exemple chilien en la matière est également riche d’enseignements. En effet, le Chili, tout au long des années 80 et 90, a connu une bonne croissance et a été souvent épargné des effets pervers de la libéralisation financière car il n’a pas ouvert ses marchés de capitaux aux flux d’investissements spéculatifs, en pratiquant des contrôles stricts sur les investissements à CT ou en taxant les entrées de capitaux à caractère volatil. De plus, il a connu une plus grande stabilité monétaire et plus d’investissements à LT que ceux des pays d’Amérique latine qui ont choisi d’éliminer toutes les barrières à la circulation des capitaux et se sont retrouvés à la merci de capitaux certes abondants, mais instables. Pour plus de détails sur l’expérience chilienne des contrôles des entrés de capitaux, voir, par exemple, Soto, 1997 ; Soto and al, 1998 ; Nadal-De, and al, 1999 ; Boyer (2001), etc.

654.

En septembre 1998, la Malaisie a pris la décision de refuser le plan de réformes et l’aide qui y était liée proposés par le FMI et de recourir à des mesures peu propices à la reconquête de la confiance internationale : contrôle des changes, blocage puis taxation du rapatriement des fonds investis et refus de dévaluer le ringgit. Alors que les premiers résultats apparaissaient défavorables à cette stratégie (le PIB a reculé de 7,5 % en 1998, chiffre cependant dans la norme des économies asiatiques touchées par la crise), l’activité a fortement repris en 1999 : recul du chômage, taux d’intérêt divisés par deux, reprise forte du commerce extérieur, croissance de 5,9 %, excédent commercial de 19 milliards de $. En 2000, le pays a connu une croissance économique de plus 6.

655.

Car le contrôle des mouvements de capitaux vise un double objectif : servir de moyen d’une gestion macro-économique (pour renforcer ou se substituer aux mesures monétaires et fiscales) et atteindre les objectifs à LT d’un développement national (telle que la garantie d’un investissement local des capitaux des nationaux ou de l’attribution de certains types d’activités aux nationaux).

656.

Telles que des mécanismes de réglementation et de contrôle prudentiel, des normes effectives d’information financière, une meilleure approche des risques par les créanciers corrélée à une meilleure gestion de la dette par les débiteurs.

657.

Cf. FMI (1999).