2.3.2 - Appliquer des politiques de prévention macro-prudentielle 658

Nous avons évoqué la nécessité de la prévention comme facteur essentiel pour garantir la stabilité financière internationale. Mais, avec le processus continu d’intégration des systèmes financiers, l’absence d’un cadre international de prévention (et de gestion) des crises systémiques constitue une défaillance majeure en matière de stabilité financière internationale. D’où l’intérêt d’une politique de prévention globale (macro-prudentielle) qui limite le risque de détresse financière à conséquences néfastes en termes réels pour l’économie tout entière (Borio, 2002).

Les politiques de prévention macro-prudentielle consistent à introduire des règles, qui permettent d’améliorer le traitement dynamique du risque systémique, constituant ainsi des facteurs essentiels de réalisation de la stabilité financière internationale 659 . Dans le but de prévenir l’ensemble des risques associés aux activités financières, ces mesures s’appliquent tout autant aux systèmes financiers des PED&E qu’à ceux des pays développés, car dans ces derniers eux-mêmes, les marchés financiers ne sont pas particulièrement stables. Ils ont leur lot de bulles, de chocs et de mouvements imprévisibles des cours boursiers et autres (Allen, 2001).

Les formes que pourraient prendre ces politiques dérivent des analyses faites sur les sources de déclenchement des crises financières internationales. En effet, celles-ci se réfèrent autant à l’endettement extérieur excessif, lié au phénomène d’aléa moral, au run bancaire, à la dégradation des bilans bancaires ou des entreprises, aux bulles spéculatives sur les différents marchés, et privilégient l’avènement de crises d’illiquidité internationale 660 . Si bien qu’ellessont de nature à introduire des règles de provisions qui présenteraient un caractère contra-cyclique et qui amélioreraient le traitement dynamique de risque systémique. Cartapanis (2003) proposent d’apporter des inflexions au sein des dispositifs de supervision et de réglementation financière usuels afin de parvenir à prévenir les crises financières internationales 661 .

On aperçoit les avantages collectifs de politiques de prévention macro-prudentielle à travers leurs objectifs :

- d’assurer la sécurité des institutions financières individuelles ainsi que des systèmes bancaires, afin de protéger les déposants ou les investisseurs en présence d’accidents individuels ;

- et de stabiliser le SMF dans sa dimension globale, voire macro-économique, et, donc, contenir le risque systémique.

Or, ce risque est présenté comme celui de caractère largement endogène et dynamique 662 , se traduisant par des situations de panique ou de crise, qui se généraliserait et déboucherait sur un krach répandu et incontrôlable, sur des faillites en chaîne des plus grandes institutions financières dont le résultat pourrait être la paralysie générale de l’économie. Le but visé est donc de le contenir, en limitant les forces pro-cycliques et les sources de fragilité financière. Les avantages sont donc à escompter au niveau de l’amélioration du fonctionnement du SFI.

En effet, les réformes envisagées permettraient, d’une part, d’améliorer la gestion et la surveillance des établissements de crédits et donc des systèmes de paiements et les comportements des investisseurs 663  ; ce qui influence favorablement la conduite de la politique monétaire et le fonctionnement des systèmes financiers. Cela constitue un élément essentiel de la stabilité financière internationale, comme en témoignent ces énoncés de Stanley Fischer (1997) dans un article de Finances et Développement : « L’établissement de normes prudentielles, le contrôle bancaire et le renforcement des systèmes de paiement répondent à un souci majeur d’importance mondiale ». D’un autre côté, ces réformes permettent d’avoir des indicateurs précis sur les différents risques de marché, notamment des indicateurs de volatilité, de liquidité, d’appréciation des risques de crédit et, enfin, d’écarts entre les meilleures signatures et les titres privés, bancaires ou non bancaires 664 . Il est donc certain que les politiques de prévention macro-prudentielle est indispensable pour éviter des à-coups brutaux dans le fonctionnement du SFI. Les avantages collectifs s’observeraient concrètement dans les transferts de fonds en direction des PED&E 665 .

Cependant, les avantages collectifs escomptés dépendent de la capacité à mettre en oeuvre ces dispositifs renforcés dans les PED&E. Pourtant, des obstacles ne manquent pas, notamment en termes de manque de transparence, d’insuffisance de contrôle interne, de défaut des instances de supervision compétentes ; sans négliger les contraintes politiques et techniques.

Ainsi, l’application des mesures de prévention macro-prudentielle dans les PED&E consisterait à consolider les institutions financières (publiques et privées), y compris les organes autorégulateurs et les banques centrales, chargées de gérer et surveiller le fonctionnement des systèmes de paiements, afin de garantir l’efficacité du contrôle bancaire, l’amélioration des structures des établissements de crédits, de la réglementation et des contraintes prudentielles, de la transparence et l’efficacité des activités trans-frontières. Cette configuration institutionnelle engendrera une situation où la coordination et la coopération internationale deviennent le mot d’ordre, à contre-courant de la tendance non-conformiste à gérer les problèmes financiers (i.e. au cas par cas). Ainsi, la BRI semble être le lieu institutionnel le plus approprié pour faire évoluer les normes et obligations financières et bancaires internationales, poursuivant ainsi la voie ouverte, depuis septembre 1997, avec les 25 principes de base - core principles - régissant la supervision bancaire. D’autres documents de ce type ont été par la suite établis, en particulier dans le domaine de la surveillance des compagnies d’assurances et des maisons de titres et d’investissement ainsi que dans celui des systèmes de paiement. L’accord de Bâle II (un nouveau ratio "Mc Donough" de couverture par les fonds propres des risques bancaires) constitue l’exemple de meilleures pratiques pour garantir au mieux la solidité du système bancaire international et promouvoir les conditions d’égalité et de concurrence entre les établissements 666 . Certes, il est très répandu à l’heure actuelle, mais il ne conviendrait à certains PED&E qu’à travers une coopération et une coordination intenses entre banques centrales et organes de réglementation et de contrôle au-delà des compartiments de marché et des frontières nationales, auxquelles souscrivent également les autorités publiques, le secteur privé et les IFI..

*

Les questions des politiques prudentielles et de surveillance se posent avec acuité dans les PED&E, qui sont moins en mesure de faire face aux conséquences de la vulnérabilité de leurs systèmes bancaires et financiers ; mais elles se posent aussi dans les pays industrialisés, dont les secteurs bancaires ont souffert de stratégies inadaptées et de contrôle des risques parfois déficient. L’analyse précédente indique que les interactions entre la prévention macro-prudentielle et la stabilité financière internationale reposent sur la prise de conscience internationale des questions financières et de l’intérêt d’engagements collectifs pour les résoudre. En effet, étant donné le caractère de BCI spécifique assigné à la stabilité financière internationale, le niveau géographique de l’application des politiques macro-prudentielles s’étend bien au-delà des frontières nationales, pour couvrir le monde entier. La tâche de la communauté internationale serait donc d’envisager une action en profondeur pour prévenir l’ensemble des risques associés aux activités financières, au niveau mondial.

Les progrès en matière de prévention macro-prudentielle et de contrôle constituent certes un moyen de sauvegarde contre les crises systémiques, mais étant donné que la responsabilité de l’instabilité financière internationale ne se limite pas aux carences dans ce domaine, il convient d’étendre les efforts à d’autres secteurs. Ainsi, dans les crises traversées par nombre de pays, la part de l’instabilité des marchés des changes et la volatilité des taux, qui affectent les politiques macroéconomiques et les structures financières, n’est pas moindre.

Notes
658.

Sujet trop vaste pour être mis en valeur dans cette partie, nous nous contentons de l’analyser à la lumière des approches relatives aux BCIM, tel que signalé précédemment. Ce qui explique d’ailleurs notre bévue volontaire d’omettre la contribution de la BRI dans ce domaine.

659.

Tandis qu’une approche micro-prudentielle vise à limiter le risque de détresse financière pour des institutions individuelles, indépendamment de leur impact sur le reste de l’économie.

660.

Voir supra, pp. 175, 177.

661.

L’auteur propose d’un côté, d’intégrer dans la mesure du risque de crédit des indicateurs d’alerte macro-prudentiels susceptibles de signaler la montée des vulnérabilités et des probabilité de détresse future (dérivations cumulées vis-à-vis du trend pour le ratio crédits privés/PIB, pour les prix d’actifs ou le niveau d’investissement). D’autre part, il propose de renforcer les provisions minimales pour risques dans les périodes de haute conjoncture et d’en autoriser la diminution lors des phases de ralentissement. Cf. Cartapanis (2003).

662.

Cf. Aglietta (2001).

663.

Les systèmes de paiements constituent en effet un rouage vital des économies de marché. La masse considérable des règlements intrajournaliers qui transite dans les systèmes de paiement donne lieu à d’importants risques potentiels de défaillance pouvant dégénérer rapidement dans une crise systémique susceptible d’affecter le fonctionnement global de l’économie.

664.

Un élargissement de cet écart pourrait en effet exprimer une inquiétude générale amenant les investisseurs à privilégier des titres réputés peu risqués.

665.

Cependant, selon Cartapanis (2003), cette situation est à relativiser car les mesures de prévention macro-prudentielle conduiraient les banques internationales à restructurer leurs portefeuilles de créances et tenir compte de la qualité de la signature des emprunteurs émergents. Ce qui pénaliserait sans doute les plus mal notés.

666.

Elaboré en réponse à la perte estimée à 12 milliards de dollars, enregistrée par les financiers depuis 1992 (due à une gestion du risque insuffisante et à la fraude), l’accord de Bâle II (ratio Mc Donough) vise à améliorer la transparence et la gestion des entreprises à travers la réforme en profondeur de la gestion du risque de crédit et celle du risque opérationnel. Il succède à celui de Bâle I (ratio Cooke) désormais inapproprié au regard du contexte financier actuel. Au-delà d’un durcissement des critères de garantie lié aux risques financiers, ce sont de toutes nouvelles méthodes d’évaluations des risques qui sont bouleversées. Par exemple, le niveau de garantie exigée ne sera plus simplement proportionnel au seul volume de crédit, mais tiendra également compte de la solidité financière des clients dans leur dimension qualitative et historique. Cette réforme induit nécessairement une refonte du système d’évaluation des risques bancaires en vue d’améliorer la véracité des comptes des établissements financiers et affiliés. De même, dans le cadre de la réforme de l’AFI, l’application du nouvel accord de Bâle risque de désavantager les emprunteurs des PED&E (souverains ou privés), les plus mal notés, avec des effets induits sur les spreads. L’explication est que les banques internationales seront amenées à restructurer leurs portefeuilles de créances en fonction de la nouvelle donne. C’est donc une pénalisation des crédits bancaires vers les pays émergents, couplée au renforcement probable de la part des obligations émergentes. Cela pourrait ainsi limiter les sources d’instabilité financière qu’induisent les afflux massifs de capitaux à CT libellés en devises. En ce sens, la réforme Mac Donough pourrait activement contribuer à la prévention des crises financières internationales à condition que les sources macro-prudentielles de stress soient réellement prises en compte, soit dans les méthodes d’évaluation interne, soit par les agences de notation. Pour plus d’approfondissement, un document explicatif sur cette question est disponible sur le site Internet de la BRI ( www.bis.org ).