2.3.3 - Vers une supervision internationale des parités et des régimes de changes

Dans le cadre de la stratégie globale visant à garantir la stabilité financière internationale, il convient de mentionner les analyses qui révèlent que l’instabilité, monétaire et financière, peut se nourrir du polycentrisme monétaire. En effet, la diversité des monnaies, l’architecture des parités qu’elles présentent, les occasions d’arbitrage qui s’ensuivent sont autant d’éléments susceptibles de produire de la volatilité. Celle-ci, à son tour, mal maîtrisée, engendre de l’instabilité, pouvant déboucher sur une crise financière et introduire de profonds désordres économiques. Via les réactions de politique économique et les effets de contagion internationale, les conséquences de ces troubles se répandent à l’échelle mondiale. Accentuée par la disparité l’asymétrie des régimes ou des parités de change, cette situation serait en effet à l’origine de plusieurs difficultés économiques graves rencontrées, aussi bien par des pays développés que par des PED&E au cours de ces deux dernières décennies 667 . Dès lors que le marché perçoit un déséquilibre des taux de change (notamment en cas de surévaluation), l’attaque spéculative survient pour sanctionner la bévue, et les tentatives vaines de défendre une parité surévaluée avec des réserves de changes limitées attisent la crise 668 . Dans d’autres cas, les « fondamentaux » paraissent sains, le niveau du taux de change n’est pas en soi un problème, mais la spéculation porte sur la capacité des autorités monétaires à continuer à défendre le change s’il est attaqué (par une hausse des taux d’intérêt), alors que la situation économique peut en souffrir 669 .

Les disfonctionnements du SMFI 670 actuel, à la merci du dollar, ne font plus de doute. Et la "responsabilité" de la monnaie américaine, qui en est l’étalon monétaire 671 , n’est pas neutre. L’explication est qu’en raison de leur hégémonie (technologique, politique et militaire), les Etats-Unis permettaient à leurs entreprises de financer leur développement international par l’exportation de dollars. L’étalon-dollar est en effet asymétrique et permet aux Etats-unis d’abuser du privilège régalien, de régler son déficit non en exportant mais en émettant leur propre monnaie (seigneuriage) 672 . Ce qui impliquait l’endettement illimité de ce pays dont le remboursement n’était pas forcément demandé en raison de sa situation hégémonique (Suarèz, 2002).

C’est donc un système très dépendant de la situation économique des Etats-Unis ; qui ne risquaient que la fluctuation de leur monnaie, mais dont les conséquences nuisent davantage aux autres économies 673 . Cette situation, marquée par une instabilité monétaire profonde, ne pouvait qu’animer des velléités en faveur d’un nouveau SMI fondé sur un étalon monétaire commun, afin de parvenir à une plus grande stabilité du système monétaire et financier mondial 674 . Ainsi, diverses propositions ont vu le jour. Cependant, étant donné l’invraisemblable retour à l’ancien SMI ou à l’ordre de Bretton Woods 675 , il convient d’examiner des propositions opérationnelles susceptibles de résoudre les dérèglements des parités ou des régimes de change.

Dans cette partie, nous avançons particulièrement deux propositions, qui s’inscrivent dans la perspective d’une solution globale de régulation de la globalisation et ce, à la lumière des approches relatives aux BCIM. La première, plus théorique qu’effective, s’inscrit dans le cadre d’une autorité monétaire internationale avec une monnaie unique mondiale. La seconde, plus réaliste, vise à soutenir l’existence de plusieurs monnaies internationales, qui ouvrirait la voix à une régulation coopérative des fonctionnements des marchés, permettant d’éviter une volatilité excessive des taux de changes et d’enrayer les crises de changes dans les PED&E.

Notes
667.

La politique de change peut être un élément général de vulnérabilité du système financier lorsqu’elle est mal conduite. En effet, le régime de change peut rendre le système financier plus ou moins vulnérable aux chocs extérieurs si, par une trop grande fixité, il conduit à un déficit des échanges courants, à un déclin de l’offre de monnaie et à des tx intérieurs plus élevés. De même, une appréciation marquée du tx de change réel a souvent été, en Asie comme en Amérique latine, associée à des crises bancaires. Le change exerce aussi une influence directe sur les termes de l’échange, qui est un élément important de l’environnement pour toute politique de crédit. L’expérience des années 90 suggère que la prévention des crises requiert des politiques de change adaptées et a conduit à l’émergence d’un consensus qui ne laisse de place, pour les pays industrialisés et les pays émergents, qu’aux solutions polaires à l’exclusion des formules intermédiaires : soit la flexibilité des changes, recommandée par une majorité, soit, au contraire, la « dollarisation » ou la mise en place d’une « caisse d’émission » (currency board), forme extrême de fixation du change dans laquelle la BC limite la création monétaire à la contrepartie de l’accumulation de réserves. Ce consensus est, cependant, à la fois trop restrictif et trop imprécis (Bergsten, Davanne et Jacquet, 1999). On peut encore, dans les PED&E, gérer des systèmes intermédiaires de taux de change stables mais ajustables, à condition d’utiliser la politique monétaire à bon escient, sans faire de la parité de référence un objectif trop rigide, et en pratiquant de façon routinière des ajustements de parité qui permettent de suivre les fondamentaux. Le souci de crédibilité conduit les autorités monétaires à faire du taux de change un véritable symbole de leur détermination et à le défendre de façon beaucoup trop rigide. Tôt ou tard, elles y épuisent les réserves de change et la crise est souvent inévitable. Le sujet est complexe, les contraintes politiques sont énormes. En tout état de cause, il est important d’éviter de maintenir un guichet ouvert pour défendre des parités de change inadaptées.

668.

On parle alors de « crises de première génération », dont l’analyse remonte à Krugman (1979), voir supra, p. 173.

669.

Il s’agit des crises dites de « deuxième génération ». Ainsi, les attaques spéculatives sur le franc en 1992/93 ont été dues aux doutes portant sur la capacité de l’économie à supporter les coûts, en termes de taux d’intérêt, de la défense de la parité franc/mark. Ce type de crise, qui met en jeu de façon déterminante les anticipations des investisseurs et leurs croyances sur les modifications à venir des politiques économiques, peut être auto-réalisatrice : la spéculation se produit parce que la défense de la parité, si elle n’est pas déraisonnable, coûte cher à l’économie ; mais elle rend cette défense encore plus onéreuse, ce qui peut en effet conduire les gouvernements à abandonner la partie.

670.

Certains observateurs parlent de « non-système », car il n’y a plus d’étalon, ni de monnaie internationale officielle. Il n’est fondé sur aucune règle précise et est plutôt marqué par le trouble et l’agitation.

671.

C’est le pilier du SMI actuel comme du SMI de BW. Certains parlent de « système international dollar » : première monnaie de facturation sur le plan internationale, unité monétaire de cotation du pétrole et pratiquement de l’ensemble des matières premières et denrées alimentaires. Le dollar est devenu une monnaie internationale de facto, car il remplit les 2 conditions : il est abondant (répondant aux besoins en liquidités internationales) et accepté par tous ; même si son cours est instable.

672.

Depuis 1965, De Gaulle proteste contre l’«hégémonie du dollar», Jacques Rueff parle du «merveilleux secret du déficit sans pleurs».

673.

Ainsi, selon l’ex-président de la Fed, P.Volcker, la hausse du dollar, durant 1979 - 85 a eu des effets négatifs sur la croissance et l’emploi en Europe, notamment par le canal des taux d’intérêt. De même, M. Aglietta (2004) signale l’absence d’autonomie de la conjoncture européenne à l’égard des fluctuations de l’économie américaine.

674.

D’où en effet des appels réguliers à un nouveau BW comme par exemple à la conférence de Williamsburg en 1983 ou encore lors de la crise financière asiatique.

675.

Sur les raisons de ce paradoxe, voir Davanne (1998) ; Allegret et Sandretto (2000) ; op. cit.