Chapitre 4
Le développement global et la lutte
contre la pauvreté sous l’angle des
approches en termes de BCIM :
quelle place pour la Banque mondiale ?

Introduction - chapitre 4 

L’analyse dynamique du sous-développement et de la pauvreté, à l’échelle mondiale, permet de dévoiler le désastre des efforts de part le monde et à tous les niveaux visant à éradiquer ces fléaux. Ce constat se vérifie largement à travers la montée et la gravité du phénomène de la pauvreté dans les pays du Sud, mais aussi dans les pays occidentaux 716 . On s’aperçoit en effet que les efforts des IFI, notamment de la Banque mondiale et des banques multilatérales de développement (BMD), dans ce domaine sont restés relativement sans effets. S’il est vrai qu’ils affectent positivement certains indicateurs macroéconomiques (inflation, déficit budgétaire, balances des paiements, etc.), ils n’ont parfois pas grande influence sur les indicateurs de la pau­vreté ou du moins ne permettent pas d’éradiquer ce phénomène.

L’élaboration et l’adop­tion, en 2000, des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), sous la bannière des institutions internationales, ainsi que le programme d’action en faveur des PMA pour la décennie 2001-2010, adopté à la fin de la 3ème Conférence des Nations Unies sur les PMA, dont le but est de permettre à ces pays de réaliser des progrès substantiels en matière de réduction de l’extrême pauvreté, constituaient un ca­dre stratégique pertinent permettant d’augurer des meilleurs sorts à des milliards d’âmes sur terre de même qu’un univers juste et stable. Cependant, un examen plus positif de cette politique révèle des incertitudes sur sa réalisation. Ce qui conduit à discerner des failles dans les stratégies de développement et de lutte contre la pauvreté, engagées depuis des décennies par les IFI, en particulier la Banque mondiale. Ces insuffisances pourraient avoir plus d’une explication, et nous en révélerons particulièrement deux 717 . D’abord, une certaine inadéquation des stratégies adoptées ; en ce sens que ces dernières demeurent trop tributaires d’une vision faisant du dogme du marché l’instrument du progrès et de la croissance économique, susceptible d’améliorer les niveaux de vie des plus démunis et d’éradiquer la pauvreté. Or, les dysfonctionnements de cette formule - souvent mis en relief par les revers de la mondialisation - pénalisent davantage les pays du Sud et aggravent le sous-développement. La seconde explicationindiquerait que ces stratégies pèchent par l’omission du caractère collectif et global du développement et de la réduction de la pauvreté et omettent l’importance d’une approche globale pour résoudre ces questions mondiales.

Ainsi, cette étude s’inscrit dans le prolongement de la réflexion sur la question du développement et de la lutte contre la pauvreté, en cherchant à apporter des réponses à un certain nombre de questions relatives : à l’explication du sous-développement et de la pauvreté internationale et de leurs étendue et gravité sous l’angle de la théorie de BCIM ; à leur intrication, à travers l’examen des multiples actions engagées par les institutions financières internationales (notamment la Banque mondiale), mais qui n’ont pas produit les effets escomptés ; et enfin, et surtout, aux meilleurs moyens d’endiguer ce double fléau, en le considérant comme « une question de justice universelle » 718 .

Partant de l’hypothèse que les ressources économiques, les moyens scientifiques et technologiques existants peuvent assurer à toute l’humanité des conditions de vie dignes et stimulantes, nous nous emploierons à aborder ces questions, en employant les approches en termes de BCIM. Car, celles-ci constituent en effet un véritable instrument d’analyse de phénomènes de la pauvreté et du sous-développement, de leurs causes et portées et les propositions alternatives permettant de dépasser les obstacles à leur éradication...

Notre démarche consiste donc, dans un premier temps, à analyser l’état global de la pauvreté, qui implique d’approfondir la connais­sance sur les caractères multidimensionnels et globaux de la pauvreté et du sous-développement, sur leurs prolongements et leurs impacts sur les autres nations sous d’autres cieux.Cette tentative permettra d’éclairer en quoi ce double fléau doit être perçu comme une question mondiale et une préoccupation majeure de la communauté internationale (section 1).

Ensuite, nous tenterons de montrer le paradoxe entre les actions et engagements de la Banque mondiale et le mal-développement persistant dans diverses régions. Cette démarche tient au fait que nonobstant les résultats positifs au plan macro-économique (taux de croissance, équilibre budgétaire, maîtrise de l’inflation, etc.), les objectifs en matière de développement et de lutte contre la pauvreté semblent de plus en plus lointains 719 . L’analyse à la lueur des approches relatives aux BCIM permet de révéler certaines insuffisances dans les démarches de la Banque mondiale pour éradiquer la pauvreté au niveau mondial. En témoignent l’intensité et la dynamique de ce fléau de même que le peu d’espoir que suscitent désormais les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) (section 2).

Enfin, face aux enjeux globaux du sous-développement et de la pauvreté, et dans le but de dépasser les limites de stratégies souvent mises en oeuvre par la BM et d’autres organismes de développement, nous exploiterons les opportunités de réponses globales et communes. Car, la crise sociale planétaire n’est pas faute de ressources : le monde n’a jamais produit autant de richesses 720 . D’où la tendance à incriminer les dysfonctionnements de l’ordre mondial actuel, à travers le système commercial et financier mondial, qui semblent léser les pays et les populations les plus pauvres. Ainsi, la question du développement et de la lutte contre la pauvreté repose sur une responsabilité collective des pays concernés et de la communauté internationale. Le dernier volet consistera donc à explorer les moyens de mettre en place une stratégie globale adaptée pour favoriser le développement et la réduction de la pauvreté à l’échelle mondiale. Celle-ci sera fondée sur l’intérêt de l’action collective internationale et sa mise en oeuvre nécessitera l’intervention de tous les partenaires - comme le prétendent les approches relatives aux BCIM (section 3).

Notes
716.

Nous emploierons indifféremment le terme « Nord », « pays riches » ou « pays industrialisés » pour désigner le groupe formé par les pays d’Europe occidentale, l’Amérique du Nord, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le « Sud » désigne tous les PED&E (les PMA, les pays émergents et les pays de l’ex-bloc soviétique). Sur une population mondiale d’environ 6 milliards d’individus, les chiffres du FMI indiquent que les PED&E en abritent environ 86%.

717.

Par exemples, les actuelles statistiques internationales sur la pauvreté laissent beaucoup à désirer, notamment dans le cas des PMA. Or, l’un des critères de répartition de l’aide entre les pays reste celui du nombre de pauvres. L’analyse des liens entre mondialisation et pauvreté en est encore à un stade rudimentaire.

718.

Pour parodier le chanteur britannique, Bob Geldof. Ainsi, il convient de souligner le caractère de bien collectif que revêt la justice. Au-delà de sa valeur instrumentale, c’est un bien inépuisable, car le fait qu’un individu soit traité décemment et équitablement ne diminue en rien les chances pour les autres d’être traités de même. D’ailleurs, plus largement seront admis le principe et la pratique de la justice, plus sera grande la revendication de tous d’en bénéficier. Inversement, en cas d’injustice qui s’appliquera, en principe, pour tous, dans toutes les régions et pour toutes les générations, il est vain de prétendre défendre l’intérêt général. Cf. Kaul (2005).

719.

Par exemple, si la croissance économique n’est pas accompagnée de création d’emplois, il y a moins de chance que les niveaux de vie de certaines couches de la population s’améliorent. Ainsi, dans un rapport de la BM sur les pays de l’Est, Tiongson E.(2005) souligne un décalage entre la croissance positive et la création d’emplois et l’explique par le fait que la croissance économique durant la période 1998-2003 tient en grande partie à la meilleure utilisation des actifs économiques, aux gains d’efficacité et au meilleur déploiement des capitaux dans les pays.

720.

Ainsi, selon les termes du Président américain, G.W. Bush, en janvier 2005 : « Pour la première fois dans l’histoire, l’humanité dispose des connaissances et des compétences pour soulager la souffrance de ces gens [pauvres]» ; sachant que le revenu mondial dépasse actuellement 31 milliards de dollars par an.