Section 2. La Banque mondiale face au défi du développement global et de l’éradication de la pauvreté

Dès leur genèse, en juillet 1944, les institutions de Bretton Woods ont été marquées par une logique de rapports de force. A la conférence de BW, c’est le point de vue américain qui s’est finalement imposé : le contrôle des changes devait être progressivement aboli pour éviter les dévaluations compétitives et permettre l’exportation de capitaux américains ; le dollar devait être l’unique monnaie internationale ; la libéralisation du commerce international devait se réaliser – à travers un organe non contraignant pour les Etats-Unis, en l’occurrence le GATT. Plusieurs événements allaient par la suite modifier sensiblement le cadre mis sur pied dans l’après-guerre : la dénonciation, par les Etats-Unis, de la parité or / dollar en 1971, qui va entraîner un processus spéculatif sur les monnaies ; la création du G5 829 puis du G7 830 ; l’effondrement de l’Union soviétique et de ses alliés et la propagation des « vertus » du marché avec l’intégration de tous les pays dans le système mondial du comme 831 , etc.

En matière de développement et de lutte contre la pauvreté, c’est la Banque mondiale qui devait prendre les rênes pour favoriser le développement économique des pays pauvres, fortement lésés par la rareté des capitaux privés 832 . En effet, les années 70 – 80 marquent un tournant dans les orientations de cette institution internationale, qui a dû se reconvertir pour répondre au défi du développement à long terme pour des milliards de personnes vivant au sein d’économies où le revenu par tête est bien inférieur au seuil garantissant une vie digne et décente. La Banque mondiale s’est donc vue assignée le rôle de la lutte contre la pauvreté et le sous-développement, qui a d’ailleurs été promu au rang de mission prioritaire de cet organisme dès 1990 833 . Le principal objectif de la Banque mondiale est donc de lutter contre le sous-développement et la pauvreté dans le monde, comme l’indique sa devise : « Notre rêve : un monde sans pauvreté » 834 .

Pourtant, les multiples plans et stratégies de développements élaborés et dictés par cette institution internationale, investie des moyens et pouvoirs délégués par les Etats membres, n’ont pas permis de vaincre le sous-développement et la pauvreté. Et, au vu de l’intensité et la dynamique de ce double fléau, faut-il, au stade actuel, prétendre que ce rêve est en voie d’être une réalité, que la Banque mondiale est proche d’atteindre ses objectifs ?

 Les réponses à ces questions appellent une analyse de la nature des interventions de la Banque mondiale en matière de lutte contre la pauvreté et le sous-développement, ainsi que ses efforts indirects qui peuvent se rapporter à la tâche globale visant à éradiquer ce double fléau. Car, l’étendue et la dynamique de ce dernier, telles que décrites précédemment, laissent croire que les actions menées par l’institution supranationale semblent inconsistantes – voire mal adaptées – pour prétendre à garantir ce bien collectif mondial que sont le développement global et l’éradication de la pauvreté dans le monde (2.1). Les explications en sont nombreuses et complexes. Toutefois, la dissection des stratégies de lutte contre la pauvreté de la BM ainsi que de leurs conséquences sur la pauvreté, à la lueur des approches relatives aux BCIM, permet de révéler des imperfections dans les démarches adoptées pour éradiquer ce fléau. Celles-ci portent essentiellement sur les visions et méthodes propres à la BM pour résoudre cette question à caractère mondial et l’incapacité de la BM à réguler la mondialisation libérale. Car, sans perdre de vue l’imputabilité des causes internes de la persistance de la pauvreté dans les pays du Sud, la fragilité de leurs positions dans l’ordre économique mondial, ordonné par la mondialisation économique, constitue sans doute un handicap au développement et à l’éradication de la pauvreté internationale (2.2).

Notes
829.

Comprenant les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France.

830.

Avec l’arrivé de l’Italie et du Canada.

831.

Dont la Chine, qui a intégré l’OMC en 2001. L’intégration de la Russie étant en cours.

832.

Créée par les accords de BW, la BM était destinée à satisfaire les besoins de reconstruction en Europe au lendemain de la 2nde Guerre mondiale. Dépassant les possibilités de financement du secteur privé, ces besoins appelaient l’intervention publique, à travers une Banque internationale de reconstruction, pour combler la défaillance des marchés. Toutefois, le terme « Banque mondiale » est imprécis ; officiellement, l’institution internationale se désigne « The World Bank Group ». Elle comprend la BIRD, l’AID, la SFI, l’AMGI et le CIRDI.

833.

Banque Mondiale (1990) - Cité par Lautier (2002).

834.

Dans le rapport de la Banque mondiale 2000-2001 sur le développement intitulé "Combattre la pauvreté", la réduction de la pauvreté est désormais présentée comme la raison d’être de l’institution de Bretton Woods.