D’abord, il convient de noter que depuis le début des années 80, les IFI ont eu une vision modifiée des problèmes des PED&E 844 , qui a débouché sur l’application des politiques d’ajustement structurel dans les pays pauvres endettés 845 . Ayant essentiellement pour but de restaurer les équilibres macroéconomiques des Etats concernés et d’accélérer leur intégration au marché capitaliste mondial, les fameux PAS, qui préfigurent le « consensus de Washington » des années 90, sont fondées sur un axiome selon lequel « de la liberté des marchés dépendent toutes les autres », conduisant à imposer des limites à l’action de l’Etat comme instance de régulation économique, sociale et politique 846 .
Il s’agit dans ce paragraphe de faire la dissection des efforts de la BM contre la pauvreté internationale, à travers l’évaluation des impacts de ses stratégies visant à éradiquer ce fléau. Ainsi, nous dresserons un bilan analytique du consensus de Washington, en confrontant ses avantages et ses préjudices sur les pauvres dans un premier temps ; ensuite, nous décrirons des résultats empiriques à l’aide d’études de cas sur cette stratégie de lutte contre la pauvreté de la Banque mondiale 847 . L’objectif étant au final d’expliquer les lacunes de cette stratégie à la lumière des approches en termes de BCIM.
Les préceptes libéraux qui fondent le consensus de Washington et qui se traduisent par une promotion des politiques macroéconomiques restrictives, une ouverture croissante des économies et la libre concurrence, ont été résumés par J. Williamson en dix points, pouvant être rangés en deux catégories : les mesures de stabilisation (de choc) et les mesures structurelles. Nous nous efforcerons d’examiner leurs avantages et inconvénients à l’aide du tableau suivant.
Source : l’auteur ; d’après : Stiglitz (1998a) ; Hugon (1999) ; Boyer (2001) ; Kuczynski and Williamson (2003); Manuel (2003) ; Ortiz (2003) ; Berr and Combarnous (2004)..
A la lueur de ce panorama, on peut penser que les politiques de lutte contre la pauvreté de la BM, par l’entremise du consensus de Washington, semblent comporter beaucoup d’importunités qui risquent d’annihiler les objectifs poursuivis, en termes d’amélioration des conditions de vie des plus démunis. Un constat d’autant plus pertinent que la plupart des analyses assurent que ces politiques se sont partout traduites par : la diminution de la masse salariale de l’Etat 848 , la précarisation du travail et l’augmentation du chômage 849 , l’accroissement des inégalités, le désengagement de l’Etat des secteurs sociaux, la libéralisation économique et financière à outrance et, au final, ont provoqué la détérioration de la situation sociale des populations les plus vulnérables des pays assujettis. En d’autres termes, on reproche à ces politiques que, non seulement elles n’ont pas apporté les résultats économiques escomptés, elles ont détruit le tissu social, déjà fragile, dans les pays du Sud 850 .
Il convient à ce stade de recourir aux raisonnements empiriques des effets de ces politiques sur la pauvreté. Ainsi, les études empiriques relatives aux effets du consensus de Washington semblent abonder dans le sens similaire 851 , en avançant que ces programmes n’ont pas eu de répercussion sur la croissance économique, dans le meilleur des cas, et que cette répercussion a été négative dans certains cas. D’abord, selon un rapport du PNUD (2003), entre 1990 et 2002, le revenu par habitant a baissé chaque année de 0,4 % et le nombre de pauvres a augmenté de 74 millions par an dans les pays assujettis politiques de réductions de la pauvreté des IFI (PAS, FASR et Consensus de Washington). Une situation que l’on impute à la réduction des investissements publics servant à consolider les infrastructures de base et à la privatisation de certains secteurs vitaux comme l’eau, l’énergie ou l’éducation, dégradant les niveaux de vie des populations et conduisant à l’aggravation des fractures sociales dans ces pays 852 . Dans le même ordre d’idée, dans une étude publiée par la CNUCED (2002) 853 , les auteurs du rapport ont étudié le cas de 27 pays africains ayant appliqué une stratégie de réduction de la pauvreté et ils estiment qu’après deux décennies de PAS, « la pauvreté a augmenté, la croissance est le plus souvent lente et erratique, les crises rurales se sont aggravées et la désindustrialisation a mis à mal les perspectives de croissance ». La CNUCED critique l’approche fondée sur les « Documents de stratégie de réduction de la pauvreté » (DSRP), qui réaffirme la nécessité de réformes structurelles visant à accélérer l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale par la libéralisation, la déréglementation et la privatisation, éléments présentés comme essentiels pour une croissance soutenue et rapide. Constatant que la croissance ne profite pas automatiquement aux pauvres, elle insiste davantage sur la fourniture de services publics d’éducation primaire et de soins de santé. Les experts constatent que les analyses d’impact social ne font pas encore partie intégrante des DSRP 854 . En outre, Berr et Combarnous (2004), suite à une évaluation empirique des conséquences du consensus de Washington, estiment que le bilan de la mise en oeuvre de ses préceptes se révèle très mitigé. Affirmant que les objectifs des institutions de Bretton Woods ne sont sûrement pas atteints de manière globale, ils notent que leur analyse conclut dans la plupart des cas à une indépendance entre les évolutions des variables-objectifs et l’application du consensus, qui semble parfois même jouer un effet négatif sur ces dernières.
Au total, toutes ces études semblent prouver que les pays appliquant fidèlement les recommandations du consensus de Washington n’avaient pas de meilleurs résultats que les autres, que ce soit en terme de croissance – qui était l’objectif affiché des IFI –, de développement ou de réduction de la dette 855 . Et, dans certains cas, on estime d’ailleurs que l’application de ces programmes est allée de pair avec une hausse des inégalités et qu’elle n’a pas permis aux PED&E de mieux s’intégrer dans le grand marché mondial en construction 856 . Ce qui est énormément importun, car l’application en plus des résultats moins satisfaisants, les pays ayant scrupuleusement suivi ces recommandations ont eu à supporter des coûts sociaux excessifs de l’ajustement 857 .
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L’incapacité de la BM à inverser sérieusement la tendance de la dynamique de la pauvreté internationale pourrait donc être imputée – en partie – à l’inefficacité de ses politiques dans les pays pauvres. Celles-ci, nonobstant leurs effets positifs (possibles) sur des agrégats macroéconomiques des pays pauvres 858 , n’ayant pas permis d’améliorer les conditions de vie des plus démunis, se révèlent inefficaces et incohérentes. En ce cas, comment peut-on expliquer ces défaillances ?
Largement inspirées par une vision libérale du développement et tentées par l’expérience américaine, sous l’administration Reagan, ayant été jugée positive, les IFI ont essayé de transposer cette politique aux PED&E sans tenir compte de leurs spécificités. Dès lors, l’heure est à la remise en cause de l’intervention de l’Etat en proclamant la suprématie du marché dans l’allocation des ressources. Le retour de la théorie des avantages comparatifs condamne les stratégies de substitution aux importations qui laissent place à des politiques de promotion des exportations traduisant une insertion internationale basée sur les dotations en facteurs. Cf. Berr and Combarnous (2004).
L’origine des PAS remonte à la crise de la dette, en 1982, avec l’annonce du Mexique de ne plus pouvoir honorer sa dette. En réponse, les institutions de BW conçoivent des programmes d’ajustement structurel ayant pour but d’assainir les finances publiques des pays endettés et tenter de rétablir leur solvabilité. Le mouvement des réformes économiques et de la politique d’ouverture a ainsi pris de l’ampleur à l’échelle mondiale. Il vise essentiellement la redéfinition du rôle de l’Etat, qui doit passer d’un statut d’entrepreneur à celui de gendarme qui établit les règles de l’économie de marché. Ce nouveau rôle doit favoriser l’émergence d’un secteur privé dynamique, assurant la fonction de production des biens et services. La bonne réalisation de ces plans devient une condition sine qua non à l’octroi de nouvelles aides. Ainsi, la crise de la dette limite largement la marge de contestation des ces pays. Car, toute démarche de restructuration de dette impose au pays un PAS dicté par le FMI et la BM.
Comme l’écrit Riccardo Petrella (1997) : « On ne veut plus laisser à l’Etat que le rôle défini dans la nouvelle alliance (faciliter l’intégration de l’économie locale dans l’économie mondiale). Pour le reste, il faut dés-inventer l’Etat » - Cité par Tshibambé (2004).
Rappelons que le but de notre étude ne porte pas sur les actions de la BM en matière de lutte contre la pauvreté, mais elle vise à énoncer l’intérêt de la théorie de BCIM pour résoudre une question mondiale, telle la lutte contre la pauvreté internationale. D’où le renoncement à effectuer une étude empirique propre.
Par exemple, l’Etat malien a signé, en 2004, un protocole d’accord avec un mouvement légalisé, qui se nomme la « Coordination des Victimes du Programme d’Ajustement Structurel, (CVPAS) » ; qui englobe également les 5 666 partants volontaires à la retraite.
Une situation qui arrangera certainement les FMN occidentales, car elle leur permet d’opérer en toute liberté là où elles investissent, et de tirer le profit maximum de l’absence d’exigences salariales, de législations sociales et de contraintes environnementales.
Il ne faut toutefois pas céder à la dénégation artificielle. En effet, les fondements de ces politiques semblent relativement justes. Les IFI devraient intervenir à la rescousse des économies pauvres en perdition. L’orientation politique adoptée au lendemain des indépendances, et qui reposait sur un système de planification centralisée, est à l'origine de la prédominance du rôle de l'Etat dans la plupart des économies du Sud. Mais, devant la dégradation du cadre macro-économique imputable en grande partie à la situation des sociétés et entreprises publiques. Celles-ci, perçues à l'époque comme le meilleur moyen de développement de l'industrie et de préservation de l'indépendance économique et politique des ces pays, ont fini par exceller dans la mauvaise gestion. Elles étaient devenues des gouffres financiers pour les finances publiques qui les maintenaient à coup d'importantes subventions. Bénéficiant d'un monopole d'exploitation dans leurs domaines d'activité et protégées de la concurrence étrangère par des barrières douanières aux frontières, elles se caractérisaient par une faible productivité et garantissaient à peine les services délégués. Ni les populations, ni l’Etat, n’en tiraient un profit. Toutes ces raisons ont fini par convaincre finalement, que l'Etat n’était pas un bon entrepreneur.
Même si certaines études effectuées par la BM mondiale retiennent des conclusions différentes, indiquant que les pays africains qui ont suivi les politiques macroéconomiques établies par la BM et le FMI, dans le cadre des PAS, ont enregistré une diminution de la pauvreté. Des études qui ont fait l’objet de maintes contestations de part de certains auteurs. Voir infra, p. 345.
Presque dans tous les pays d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine, les dépenses publiques par habitant ont diminué durant cette période et les fractures sociales se sont aggravées..
Intitulée « De l’ajustement à la réduction de la pauvreté : qu’y a-t-il de nouveau ? ». Cf. CNUCED (2002).
Les auteurs contestent également les résultats de l’étude de la BM, selon laquelle, les pays n’ayant pas suivi les PAS ont obtenu des résultats médiocres en matière de lutte contre la pauvreté que ceux ayant appliqué les réformes. Ils comparent par exemple la Chine et l'Inde avec la Zambie et les Philippines et expliquent que les réformes d'ajustement économique ne profitent pas aux pauvres, alors que ces derniers sont les principales victimes de la rigueur des programmes d’austérité.
Cf. Berr et Combarnous (2004).
Certains économistes considéraient les inégalités sociales comme inévitables, voire nécessaires à la croissance ; cf. Kuznets (1955)- Cité par Sogge (2004). L’idée de redistribuer la terre ou les revenus pouvait donc être écartée et considérée comme irréalisable ou irrationnelle. Pourtant, des chercheurs montrent que ce vieux paradigme est désormais réfutable et suggèrent que les inégalités constituent, en réalité, un obstacle à la croissance et à la lutte contre la pauvreté. Cf. Dagdeviren et al (2001)- [ www.ilo.org ].
Ainsi, Milanovic (2003) note même que les "bons" élèves des pays d’Europe de l’est et d’Asie centrale (la Moldavie, la Géorgie, le Kirghizistan et l’Arménie) ont vu leur PIB divisé par deux depuis 1991 et leur dette exploser alors qu’elle était pratiquement nulle au début des années 1990. L’Arménie et la Moldavie ont même vu leur IDH diminuer au cours de la dernière décennie.
On se demande d’ailleurs s’il faut imputer la progression régulière du PIB d’Afrique subsaharienne de plus 5% par an depuis le milieu des années 90 et l’augmentation des exportations de plusieurs pays de plus de 10 % à l’application de ces mesures de rigueur.