Même si les opinions divergent sur les moyens à mettre en œuvre et les montants nécessaires pour aider les pays pauvres à sortir du sous-développement et de la pauvreté endémique, l’unanimité semble néanmoins faite autour du caractère indispensable d’une mobilisation en faveur de ces pays 998 . L’APD, dont le montant annuel dépasse 60 milliards de dollars, est sans doute l’une des sources certaines de financement du développement, même si elle se révèle insuffisante, compte tenu de la dynamique de la pauvreté internationale et des handicapes dont pâtissent les pays les plus pauvres de la planète. Mais paradoxalement, l’ADP a tendance à diminuer ces dernières années bien que la situation économique et sociale de nombreux pays du Sud, notamment en Afrique, se soit dégradée 999 .
Sans nous attarder sur la nécessité de l’augmentation de l’APD en faveur des pays pauvres, nous insistons davantage sur son bien-fondée en matière de lutte contre la pauvreté internationale, d’une part, et sur la nécessité d’améliorer son efficacité et son impact sur la dynamique de la pauvreté internationale, d’autre part. Car l’accroissement du montant de l’APD ne garantit pas le décollage économique des pays bénéficiaires et la fin de la pauvreté internationale 1000 .
D’abord, le fondement théorique de l’APD peut s’appuyer sur deux aspects. Le premier évoque un pragmatisme efficace : la défaillance de marché à fournir les fonds nécessaires au financement du développement et la réduction de la pauvreté devrait engager et structurer une action collective internationale, impliquant une fourniture conjointe de ce BCM qui, sans cela serait insuffisamment garanti. Les Etats riches y voient en effet un des moyens d’assumer leur rôle indispensable dans la tâche globale de considérer une question mondiale. Le second aspect devrait concerner l’altruisme – au nom de la solidarité internationale – des pays riches, qui explique l’inégalité des efforts à engager pour garantir ce type de bien. En effet, au-delà de ses motivations économiques, l’aide internationale s’apparente également à un mécanisme de redistribution internationale des revenus et relève d’un souci de solidarité entre pays riches et pays pauvres, dont les fondements sont à la fois moraux et historiques 1001 (Wyplosz, 2002).
L’intérêt de l’APD pour la réduction de la pauvreté internationale peut être perçu à un double niveau. D’abord, à travers son effet sur la croissance et le développement économique. Si la relation entre l’aide et la croissance est positive (ce qui n’est pas toujours le cas dans tous les pays), l’aide serait utile par le fait qu’elle augmente l’épargne et le stock de capital et en finançant l’investissement. Ce qui permet de libérer certains pauvres des pièges de la pauvreté 1002 , responsables de la stagnation des niveaux de revenu. Si la thèse des pièges de la pauvreté se confirme 1003 , elle a d’importantes implications pour l’aide et la politique de développement, nécessitant un renforcement majeur de l’aide internationale pour permettre aux pays pauvres de sortir de ces pièges et pour les mettre sur le chemin d’une croissance durable. Cependant, cet effet de l’aide sur la croissance dépend, comme l’a résumé Radelet (2003), du type d’aide, de la façon dont l’aide est financée, de son horizon temporel et du cadre politique et institutionnel du pays bénéficiaire 1004 .
En outre, au-delà de son impact direct sur la croissance économique, l’intérêt de l’aide internationale peut également être perçu à travers les effets indirects de ses actions redistributives sur la croissance et la réduction de la pauvreté (Bourguignon, 2000). En effet, une fraction importante de l’aide internationale peut s’attaquer aux aspects hors revenu de la pauvreté par le financement des secteurs, tels que la santé globale 1005 , l’éducation et la formation. Elle peut également soutenir d’autres déterminants de la croissance, en contribuant, par exemple, à l’accroissement de la productivité des travailleurs et servir de courroie de transmission de la technologie ou des connaissances entre les pays riches et les pays pauvres (en finançant les importations de biens d’équipement ou dans le cadre de programmes d’assistance technique). Des tels apports contribuent sans doute à la croissance économique, non pas instantanément, mais à moins ou long terme 1006 . Ainsi, Jacquet, Pisani-Ferry et Tubiana (2002) estiment d’ailleurs que l’aide internationale est elle-même un BCI dès lors qu’en contribuant au développement, elle améliore les conditions de santé (et diminue le risque de contagions internationales), diminue les risques de migrations illégales, contribue à la stabilité régionale, etc.
A noter enfin que ces avantages de l’aide internationale en matière de réduction de la pauvreté internationale ne sont pas fonction de ses montants, mais de son efficacité 1007 . Or, l’efficacité, en l’occurrence, implique que l’aide serve à financer le développement global et l’éradication de la pauvreté dans le monde. Ce qui n’a toujours pas été le cas d’antan. En effet, l’aide internationale a souvent été déviée de ses véritables enjeux pour servir des intérêts et objectifs idéologiques, géopolitiques ou individuels, pour le moins, contestables 1008 . Ces choix qui ont accompagné la tendance de l’APD, en Afrique, en Amérique du Sud ou en Europe de l’Est lui ont ôté toute son efficacité comme source de financement du développement global et de la lutte contre la pauvreté internationale. De même, la nature et le montant exact de l’aide internationale sont sujets à controverse, contrariant ainsi son efficacité 1009 .
Ainsi, il va sans dire qu’il importe de repenser les programmes de l’APD, de manière à accroître son efficacité sur la croissance économique et la réduction de la pauvreté dans le monde 1010 . Autrement, comme l’indiquent certaines études, même un doublement de son montant global – 78 milliards de dollars en 2004 – ne suffirait pas à financer les OMD dont le coût annuel est estimé à 195 milliards de dollars 1011 .
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Enfin, il serait réducteur de croire qu’il suffit que les pays riches viennent à réformer leurs politiques commerciales et financières pour que les pays pauvres embrassent le développement économique nécessaire à l’éradication de la pauvreté dans le monde. Car, bien des pays ne sont toujours pas bien outillés pour profiter des occasions et vertus escomptées de la régulation de mondialisation 1012 . Certains ont besoin d’un renforcement de leurs capacités. D’autres sont handicapés par des problèmes sociaux dont l’ampleur dépasse leurs moyens comme le sida, l’exode rural, l’analphabétisme, le chômage ou la reconstruction après une guerre civile.
Ainsi, le renforcement de l’aide internationale, en montants et en efficacité, aussi bien que l’annulation de la dette (bilatérale) des pays pauvres, constituent des préalables, mais ne sauraient suffire à éradiquer la pauvreté internationale 1013 . D’où l’intérêt du rôle des Etats riches à promouvoir des actions concrètes, partagées et proches des besoins des populations..
En témoignent les engagements – à tout le moins, intentionnels - des pays riches en faveur de l’Afrique, ces derniers temps.
En termes réels, les versements nets d’APD par habitant aux PMA ont chuté de 46 % entre 1990 et 2000 et ce, que les pays destinataires possèdent ou non un cadre directif approprié. Voir Sogge (2004) ; Millet (2005).
Sur le débat controversé sur la nécessité de l’APD pour combattre la pauvreté internationale, voir, entre autre, Radelet (2003) ; Levine et coll. (2004) ; Radelet et Bhavnani (2004) ; Kraay (2005) ; etc.
Ce motif reste important, et correspond d’ailleurs à l’une des revendications des mouvements de contestation de la mondialisation.
Qui impliquent divers mécanismes auto-entretenus occasionnant les faiblesses des économies et leur incapacité à créer de la richesse nécessaire à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations.
Même si Kraay (2005) estime qu’il y a relativement peu de preuves irréfutables de l’existence de tels pièges.
En effet, une bonne part de l’aide n’est pas destinée à stimuler la croissance. Par exemple, l’aide alimentaire vise à accroître la consommation. C’est le cas également de la distribution de médicaments, de moustiquaires et d’ouvrages scolaires, de l’aide visant à renforcer la démocratie ou du secours humanitaire, etc. En revanche, le financement de la construction de routes et de ponts et de l’aménagement d’une infrastructure de télécommunications, ou encore le soutien à l’agriculture et à l’industrie devrait accélérer la croissance. Pour plus de détails, cf. Radelet (2003).
Une étude récente du Centre pour le Développement mondial décrit, par exemple, 17 actions de santé publique couronnées de succès dans des PED&E, financées en grande partie par l’aide étrangère ; il s’agit, entre autres, de campagnes contre l’onchocercose en Afrique, la tuberculose en Chine, la rougeole en Amérique latine, pour l’éradication de la variole, la réduction de la prévalence de la polio et de la cécité des rivières, la diminution de l’incidence des maladies diarrhéiques, etc. Cf. (Levine et coll., 2004).
Les partisans de l’aide, Stiglitz (2002), Stern (2002), Sachs (2004), entre autres, soutiennent que, en dépit de certains échecs, l’aide a contribué à la réduction de la pauvreté et à la croissance dans certains pays et que, en son absence, d’autres pays auraient obtenu des résultats encore pires. Ils citent en exemple la réussite de nombreux pays bénéficiaires tels que le Botswana, la Corée, Taiwan, l’Indonésie, et, récemment, l’Ouganda et le Mozambique, ainsi que d’initiatives à grande échelle, notamment la Révolution verte, la campagne contre la cécité des rivières et la thérapie de réhydratation orale.
La relation entre l’aide et la croissance est conditionnelle et dépend des caractéristiquesdes pays bénéficiaires (Isham, Kaufmann et Pritchett, 1995). Ces auteurs ont par exemple constaté que les projets de la BM affichaient un meilleur rendement dans les pays où les libertés civiques étaient mieux respectées. De même, dans étude, Burnside et Dollar (2000) ont conclu que l’aide stimulait la croissance uniquement dans les pays qui adoptaient des politiques judicieuses.
Sogge (2005) estime que la réduction de la pauvreté n’est devenue la raison d’être officielle de l’aide internationale qu’à la fin des années 1990.
Les montants de l’APD sont bien moindres que ce que les chiffres officiels laissent entendre et la plupart des sommes octroyées ou prêtées sont dépensées dans les pays donateurs ou y retournent (sous formes de remboursement de la dette, fuite des capitaux, transferts illicites de profits, achat de biens et de matériel des pays donateurs, etc). De même, la France, par exemple, incluait dans l’APD les subventions qu’elle alloue aux DOM-TOM et obligeait les bénéficiaires à s’adresser en priorité – sinon exclusivement – à des entreprises françaises pour réaliser les projets qu’elle soutenait. De même, l’AFD est accusée par l’ONG « les Amis de ma Terre » de financer indirectement des sociétés forestières françaises, sous couvert d’APD.
Nous insistons sur la nécessité de rendre l’APD plus efficace, permettant de mettre en filigrane le rôle primordial des Etats-nations dans le financement du développement et de la réduction de la pauvreté dans le monde. Nous proposons au demeurant, dans les annexes, un certain de nombre de mesures visant à accroître l’efficacité de cette aide. Voir les annexes (A6).
Ce constat ne remet toutefois pas en cause l’idée de l’accroissement de l’APD.
Par exemple, au Sénégal, la Compagnie Indosen du textile, dont 80% de la production étaient destinés au marché américain, n’a pas pu profiter des avantages de l’AGOA et a dû fermer et contraindre ses 150 employés au chômage. Si les raisons sont multiples (difficultés d’accès à la matière première, le coton, coût de l’électricité, etc), la concurrence de produits asiatiques, du fait de la libéralisation, fait que cette société n’arrive même pas à se positionner sur le marché local.
A signaler que d’autres dispositions étatiques permettent de lutter efficacement contre la pauvreté internationale. Par exemple, dans une étude de la BM (2005), portant sur la fuite des cerveaux « La saignée des PVD », on note que la mobilité du travail, particulièrement l’accès au marché de l’emploi des pays du Nord pour la main d’œuvre non-qualifiée des pays pauvres, contribue énormément à réduire la misère dans ces derniers et à améliorer les conditions de vie de leurs populations. Mais, il clair que cette proposition a très peu de chance de prospérer, compte tenu de son coût pour les pays du Nord.