3.3.3 - Notes sur les actions concrètes de la société civile contre la pauvreté internationale : le cas de la coopération décentralisée

Outre leur participation dans la gouvernance mondiale et la conduite des structures financières destinées à soutenir les plus pauvres, le rôle des acteurs de la société civile en matière de production de BCIM, en l’occurrence le développement global et l’éradication de la pauvreté internationale, s’exprime également à travers des actions concrètes et ciblées qu’ils mènent, répondant aux besoins exprimés par les populations locales dans les pays du Sud. En effet, des associations et ONG, locales et internationales, interviennent dans les domaines de la santé, de l’éducation, d’assainissement, de défense de droits individuels et de la justice, d’infrastructures de développement (ponts, barrages, etc.), dans l’objectif d’améliorer les conditions de vie des populations. De même, des entreprises privées et des FMN contribuent à cette tâche par des soutiens à des entreprises locales, qui créent des emplois et des richesses. Plus encore, dans le cadre de la coopération décentralisée, des collectivités locales occidentales viennent en aide à leurs semblables du Sud, contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté dans ces régions.

Ce dernier aperçu fera l’objet de ce paragraphe où il s’agira d’illustrer l’efficacité et le caractère pratique de cette disposition solidaire en matière de lutte contre la pauvreté internationale; tout en mettant l’accent sur le cas francophone, qui permet de mieux appréhender l’engagement réel de la société civile en faveur de l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres.

D’abord, le défaut d’une réelle coopération entre Etats, sur certaines questions, corrélé au renforcement de la décentralisation des pouvoirs politiques, s’est favorablement accompagnée d’un renforcement du rôle des autres acteurs de la coopération internationale, à savoir les responsables de la société civile 1132 . Une situation motivée par la montée en puissance de la thématique de BCIM, notamment la question de l’environnement et du développement durable. Le développement global et l’éradication de la pauvreté internationale qu’elle implique confèrent désormais un rôle déterminant aux collectivités locales, favorisant une nouvelle forme de solidarité internationale.

Aux côtés de communes défavorisées des pays du Sud, en raison de la faiblesse de leurs ressources financières et techniques, les collectivités locales occidentales, faisant souvent appel au concours d’autres acteurs (associations, ONG, universités, entreprises,...), engagent des projets de développement qui privilégient le partenariat et les actions à long terme 1133 . Recouvrant des relations d’amitié, du jumelage entre collectivités, des actions de promotion à l’étranger, de soutien aux projets de développement, de l’assistance technique, de l’action humanitaire, de la gestion commune de biens, etc. la coopération décentralisée représente, depuis le début des années 90, un aspect important de la coopération économique – non-gouvernementale – entre les pays du Nord et du Sud 1134 .

Ce type de coopération, qui fait désormais partie intégrante de la politique de développement de la plupart des collectivités locales des pays développés, notamment européennes, marque la volonté de la société civile occidentale, par l’entremise de ses élus locaux, de compenser les effets de l’allègement des efforts publics en matière de lutte contre la pauvreté internationale 1135 . En effet, malgré leur caractère quasi-public, les relations entre les collectivités du Nord et du Sud, sont souvent considérées comme une des composantes de la solidarité citoyenne internationale, qui bénéficie d’un préjugé favorable compte tenu des critiques adressées à la coopération internationale.

Etant donné que les projets sont réalisés grâce aux moyens dont elles disposent (mairies, universités, hôpitaux,...) et au surcroît de fonds qu’elles apportent, à partir des budgets communaux, dont des efforts des contribuables, cette solidarité citoyenne s’explique par l’intérêt de l’opinion publique dans les pays développés pour les populations défavorisées du Sud. Une solidarité qui, au demeurant, ne cesse de s’affirmer à la mesure de l’acuité des enjeux du développement global et de la réduction de la pauvreté dans le monde, dont la société civile perçoit le caractère de BCM 1136 . Cette prise de conscience collective permet aux collectivités locales d’utiliser l’élan de compassion et de solidarité envers les plus démunis pour le transformer en action coordonnée et durable. Ainsi, certains voient en la coopération décentralisée un moyen de « rapprochement entre les hommes », une « école de solidarité », « un espace de rencontre interculturel », car elle ouvre à des rapports de solidarité et à une meilleure connaissance mutuelle entre les nations 1137 .

D’autre côté, la coopération décentralisée répond à l’exigence de l’intervention citoyenne/non-gouvernementale dans la génération de l’action collective internationale, qui commande la résolution de tout problème mondial. Car, elle s’appuie aussi bien sur la contribution de tous les acteurs de la société civile des pays développés, tels précédemment évoquée, mais aussi sur l’engagement des populations locales bénéficiaires. En effet, contrairement aux autres modes de soutien aux pays pauvres, la coopération décentralisée est fondée sur cette logique de responsabilisation des pays du Sud et vise habituellement à répondre aux besoins formulés par les populations locales et non à s’aligner exclusivement sur les stratégies de développement élaborées par les pouvoirs publics 1138 .

Néanmoins, les Etats, du Nord comme du Sud, ne sont pas (ou ne devraient pas être) totalement exclus de cette coopération. En effet, autant la coopération décentralisée doit prendre en compte les politiques des Etats du sud, autant les collectivités territoriales du Nord ne sauraient agir en dehors du cadre de coopération défini par leurs Etats. Ceux-ci contribuent largement au rapprochement des communautés et à l’émergence d’un projet global de coopération, qu’ils négocient avec un pays ou un groupe de pays 1139 . Quant aux Etats du Sud, ils ne doivent nullement être vidés de leur substance par ce type de coopération, qui serait d’ailleurs vouée à l’échec sans leur contribution. C’est à eux qu’il revient toujours d’élaborer un projet global de société, de le porter et de le défendre à l’intérieur du territoire comme sur la scène internationale. Ils constituent un espace nécessaire pour dépasser les réseaux claniques, endiguer les dérives et les replis identitaires, consolider la solidarité nationale et la cohésion sociale, garantir la sécurité des personnes et des biens, améliorer la répartition des revenus. Sur le plan économique, leur rôle reste primordial dans des domaines qui influencent les programmes de développement locaux et régionaux 1140 . Toutes choses qui conditionnement sûrement la réussite de la coopération décentralisée. En un mot, les soutiens des collectivités locales du Nord devraient toujours contribuer au rétablissement ou au renforcement de la légitimité et de l’autorité des Etats du Sud, au risque de produire des effets contre-productifs.

S’agissant des avantages collectifs de cette disposition de solidarité citoyenne, ceux-ci peuvent être observés à travers les réseaux de solidarité de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) et de l’Association francophone internationale de coopération décentralisée (AFICOD), qui, grâce à une coopération décentralisée très active, engagent des efforts immenses au profit des villes et des populations de l’espace francophone 1141 .

Le tableau 33 suivant illustre quelques secteurs et programmes d’interventions communément identifiables, qui profitent aux pays et populations du Sud.

Tableaux 33 : Principaux axes d’interventions de collectivités locales francophones
Domaines et objectifs
Indications
Organisation
et gestion administratives :

afin d’améliorer le niveau de responsabilité technique des CT
** Soutiens budgétaires et aide à la recherche de financements multilatéraux...
** Aide à l’élaboration de projets et plans communaux de développement et construction d’outils pour la définition de priorités économiquement et socialement viables...
** Amélioration des techniques de collecte et d’utilisation de l’impôt local...
** Formation de personnels territoriaux et politiques pour accroître leur compétence technique et opérationnelle..
** Soutien à la collecte d’informations précises et nécessaires (potentialités économiques, répartition de la main d’œuvre et des classes d’âge, niveau de détérioration des sols, circuits d’approvisionnement,...)
Structures et infrastructures de
développement :

afin de favoriser les dynamiques de développement local

** Renforcement des réseaux de télécommunications, de transports, d’énergie,...
** Fourniture d’équipements collectifs et accroissement de leur efficacité (centres sociaux, maisons de jeunes, cantines scolaires,...)
** Développement urbain et aménagement du territoire...
** Aide au développement touristique, artistique, médiatique, culturel,...
** Conception et mise en mise oeuvre des programmes d’information, d’éducation et de communication,...
** Education et formation (universités, centres de recherches, chambres des métiers, etc.)..
** Soutiens aux micro-entreprises et promotion des micro-projets...
** Partenariat actif entre entrepreneurs et chambres de commerces et d’industrie pour le développement économique..
Politique :
afin de soutenir le cadre institutionnel et la crédibilité des CT
** Renforcement de la décentralisation et de la démocratie locale...
** Consolidation de la défense des droits civils et politiques et prise en compte de demandes des groupes sociaux minoritaires...
** Organisation de relations entre les structures publiques et les celles des CT..
Environnement :
afin de garantir le développement durable
** Gestion et utilisation des terres et des ressources naturelles...
** Soutien au développement agricole, agroalimentaire et rural...
Socio-économique et sanitaire :
afin d’accroître les services aux populations et promouvoir le développement humain
** Participation aux coûts de la santé pour garantir la qualité et la pérennité des services...
** Eau, assainissement, gestion des déchets,....
** Information et éducation pour la santé...
** Concours aux actions sociales et humanitaires...
** Promotion de l’intégration des femmes dans le processus de développement socio-économique...
** Politiques démographiques et planning familial...
** Normes de qualité des produits et défenses des consommateurs...

Source : l’auteur ; d’après diverses sources (AIF ; AIMF ; AFICOD ; Cités Unies France ; .....)

Signalons, à partir du tableau 33, que certaines actions ne se distinguent pas des modes traditionnels d’appui au développement (envoi d’objets en nature : livres, matériel médical, matériel de transport, etc.) et que des financements portent souvent sur des petites infrastructures (puits, écoles, centres de santé, etc.). Toutefois, en élargissant leur échelle d’intervention et amplifiant leurs objectifs, les collectivités locales mettent désormais en place de nouvelles formes de coopération où l’amélioration de la gestion publique est privilégiée à une vente de solidarité ou au creusement d’un puits dans un quartier. Un genre de coopération plus souple que l’aide gouvernementale ou internationale, plus durable que certaines initiatives d’associations ou d’ONG, mais paradoxalement moins médiatisée et sans notes retentissantes, et produisant des effets très concrets sur les facteurs de croissance économique et les conditions de vie des populations 1142 .

Le caractère global des avantages de la coopération décentralisée se révèle également à travers ce qu’en tirent les pays du Nord, en termes de « gains en citoyenneté » 1143 , d’acquisition et d’approfondissement de connaissances et de découvertes des autres contrées 1144 , d’ouverture et d’élargissement de leurs horizons dans un monde où l’appartenance à des réseaux internationaux est devenue une exigence 1145 , de « profits » politiques, etc. De ce fait, loin de se limiter à un simple transfert de fonds et de compétences, elle constitue bien plutôt un partenariat mutuellement profitable ; une réciprocité qui couvre sa valeur essentielle 1146 .

Enfin, il convient de signaler que, à l’instar de toutes les autres dispositions solidaires, la coopération décentralisée n’échappe pas à des critiques 1147 . Celles-ci peuvent être brièvement listées comme suit : aléas sur la pérennité des partenariats 1148  ; manque de coordination, favorisant des pratiques de compétitions 1149  ;risques d’accaparement pardesoligarchies locales ; partenariat homogène et connaissance insuffisante des réalités locales 1150 , risques de préjudices pour le pouvoir central 1151 , etc. Ainsi, il va sans dire que ces lacunes méritent d’être sérieusement considérées afin d’améliorer les actions de la coopération décentralisée 1152 .

*

Idée noble, mais imparfaite, la coopération décentralisée peut être un des moyens de rénovation de la coopération en faveur de la lutte contre la pauvreté internationale et un outil efficace pour soutenir les processus de démocratisation dans les pays du Sud, comme en témoignent les expériences de la coopération décentralisée dans le cadre de la francophonie. Elle peut aussi totalement échapper à cette perspective ; servir de substitution au désengagement des Etats, se réduire à une nouvelle procédure et de nouveaux « guichets » de financement, favoriser l'émergence de potentats locaux peu soucieux de développement dans leur région, si un certain nombre de conditions ne sont pas satisfaites.

Elle reflète tout de même la capacité des acteurs de la société civile à générer des dynamiques de développement, favorisant la réalisation des OMD, et notamment l’intérêt d’actions concrètes au niveau local pour des questions globales.

Conclusion – section 3

Le caractère de BCM assigné au développement global et l’éradication de la pauvreté internationale n’est pas neutre. D’abord, il souligne la nécessité de garantir deux critères qui conditionnent la fourniture rationnelle de BCIM, à savoir l’équité et la solidarité. Ces deux aspects doivent raison aux avantages globaux que comporte ce type de biens, qui compensent largement les efforts qu’exigent les actions équitables et solidaires dans le processus de production de BCIM. D’un autre côté, il démontre la nécessité de l’action collective internationale et l’implication de tous les acteurs pour éradiquer la pauvreté dans le monde.

Notre analyse dans cette section a permis de dévoiler la nature de cette action collective internationale. Elle a en effet un triple trait : économique, financière et pratique.

L’aspect économico-commercial porte sur la régulation des rapports commerciaux entre le Nord et le Sud, dont la tâche incombe à tous les acteurs. Les Etats du Nord y contribuent à travers des initiatives favorisant l’accès aux marchés des pays riches pour les services et marchandises des pays les plus pauvres et la suppression des subventions – notamment agricoles. Ceux du Sud doivent renforcer l’intégration régionale et les échanges entre "riverains" afin d’acquérir une position favorable dans la mondialisation. L’intervention des IFI consisterait, d’une part, à surveiller le mode d’expansion de la libéralisation économique mondiale, en repensant leurs propres stratégies de lutte contre la pauvreté dans les pays du Sud, et d’autre part, à adoucir les conséquences de cette libéralisation pour les plus vulnérables, à travers des actions positives en faveur de ceux-ci. Quant à la société civile, ses acteurs interviennent dans la gouvernance mondiale, en faisant pressions sur les IFI, lesmultinationales et sur les Etats-nations, dans l’espoir d’orienter les décisions économiques mondiales vers une meilleure prise en compte des questions du développement et de la lutte contre la pauvreté dans le monde. Si l’efficacité n’en est pas garantie, ils révèlent tout de même le caractère urgent d’engagements collectifs à l’échelle planétaire en faveur de ces questions.

L’action collective internationale définie porte également sur le financement de la lutte contre la pauvreté internationale. Des fonds sont nécessaires pour soutenir la croissance économique et ses déterminants dans les pays pauvres. L’accroissement de l’APD, en montants et efficacité – par les Etats, la résolution du problème de surendettement des pays pauvres et leur accès aux ressources financières internationales – par les IFI – et la fourniture des ressources à des populations démunis, exclues des sources de financement privées – grâce aux initiatives de la société civile –, constituent des réponses adéquates à ces besoins.

Enfin, lutter efficacement contre la pauvreté internationale exige des actions concrètes, permettant de combattre les racines du sous-développement et de la pauvreté ou profitant aux plus démunis et améliorant illico leurs conditions de vie. L’idée d’un plan Marshall mondial en faveur des pays pauvres du Sud est dans cette optique soutenable ; même si sa réalisation est fonction de la perception des pays riches de l’acuité de la question de la pauvreté internationale ainsi que du degré de leur engagement dans la production de BCIM. De même, les actions que mènent les IFI, telles que les BMD, dans les divers domaines se rapportant à la pauvreté (santé, éducation, infrastructures,...) permettent de relativiser les critiques sur l’inutilité de celles-ci en matière de lutte contre la pauvreté dans le monde. Enfin, au nom de la solidarité citoyenne mondiale, des actions sont menées auprès des populations locales, qui s’accordent pleinement avec leurs besoins, et révèlent l’ampleur de la prise de conscience des acteurs de la société civile de l’importance des BCM et de l’intérêt de l’action collective internationale pour les garantir.

Cependant, faut-il signaler que le problème est plus de savoir comment amener tous ces acteurs vers la combinaison de cette action collective internationale, de façon consciente, convergente et complémentaire, que de démontrer son intérêt.

Notes
1132.

En effet, cette coopération entre collectivités locales s’inscrit dans un contexte d’évolution institutionnelle des pays du Sud, mais également des pays occidentaux, en France notamment. Les Etats se recentrent sur leurs fonctions régaliennes. Leurs administrations ont été considérablement allégées sous la contrainte de l’ajustement structurel et des efforts sensibles en faveur d’une décentralisation effective ont été engagés dans de nombreux pays, favorisant l’émergence de pouvoirs locaux élus. Une cinquantaine de départements français est aujourd’hui engagée dans de telles actions ainsi que, à des degrés divers, la quasi-totalité des Régions et environ 1500 à 2000 communes.

1133.

Pour les acteurs impliqués, ces programmes constituent une véritable école de l’engagement qui pourrait bien faire face à la libéralisation généralisée de l’économie, être à l’origine d’une mondialisation des mouvements de solidarité civique.

1134.

En 1989, la Fédération mondiale des villes jumelées (FMVJ), à l’origine de l’action internationale des collectivités locales, devient la Fédération mondiale des Cités Unies, qui soutient les projets de développement durable, mais il faut attendre le 6 février 1992 pour qu’une loi(française) officialise l’engagement des collectivités locales à l’international. Cependant, cette loi ne spécifie ni le contenu de la coopération décentralisée, ni sa finalité. Seuls ses acteurs sont désignés, à savoir les collectivités territoriales (ou un de leur groupement) dans leur relation avec d’autres collectivités territoriales (ou un de leur groupement). En France, le terme de « coopération décentralisée » recouvre le partenariat entre collectivités de niveau équivalent. Sur le plan européen, il a une interprétation plus large, incluant tout acteur ou organisation de la société civile.

1135.

En témoigne en partie la baisse des montants de l’APD.

1136.

Ainsi, selon une enquête du Comité catholique contre la faim et pour le développement, les Français sont souvent favorables à l’idée d’une taxe mondiale dont le revenu permettrait de financer la lutte contre la faim et la pauvreté dans le monde : 49% sont pour une taxe sur les mouvements financiers internationaux et 49% pour une taxe sur les bénéfices des entreprises multinationales, 30% pour une taxe sur les gaz à effet de serre, 5% sur les billets d’avion et 3% pour une contribution volontaire prélevée lors des paiements par carte de crédit. De même, des résultats indiquent que la solidarité internationale est toujours vivace dans l’esprit des Français qui sont conscients des effets néfastes de la mondialisation économique et financière pour les pays du Sud et demandent que les politiques économiques et agricoles internationales prennent mieux en compte les intérêts de ces pays.

1137.

Rapport du Sénat 1996 – Cité par Husson (2000).

1138.

En effet, pour qu’un projet de développement obtienne le soutien d’une municipalité, il doit impérativement s’inscrire dans le LT et être réalisé à toutes les étapes en concertation avec les partenaires concernés. Ce qui signifie qu’un programme qui ne serait pas conçu conjointement par les intervenants du Nord et du Sud est voué à l’échec.

1139.

Les responsables des collectivités territoriales partagent avec ceux des Etats la représentativité des populations qui les ont élus. Mais du point de vue des relations internationales, le lien politique entre les Etats reste supérieur à celui qui unit les collectivités territoriales, que ces liens soient à caractère technique (renforcement administratif du partenaire du sud, réalisation d'équipements ou d'infrastructures, formation de personnel, etc.), à caractère financier ou culturel.

1140.

Tels que le contrôle des importations, la valeur et les transferts de la monnaie, la politique d’ouverture aux investissements étrangers, la fiscalité, le soutien aux circuits de commercialisation des produits agricoles, l’aménagement d’infrastructures primaires, etc.

1141.

La première est un réseau de villes attachées à agir au plus près des citoyens pour promouvoir la bonne gouvernance municipale et le développement urbain. Pivot de la coopération décentralisée en Francophonie, l’AIMF accompagne les collectivités locales dans les processus de décentralisation au service de la démocratie. Cf. [ www.aimf.asso.fr ].Tandis que la seconde est association de loi 1901, qui regroupe des collectivités territoriales francophones et francophiles et leurs groupements, leurs associations nationales engagés dans la coopération décentralisée. Elle vise, aux côtés de l’AIMF, à donner aux collectivités territoriales francophones une expression sur la scène internationale. L’AIMF est un opérateur, l’AFCICOD est un facilitateur et les deux associations agissant en étroite collaboration. Cf. Discours du Président, M. TAVERNIER, pour l’inauguration de la réunion du Bureau Exécutif International de l’AFICOD - 26 mars 2005. Il convient de tenir compte également des actions de l’Association « Cités Unies France (CUF) », qui regroupe des collectivités locales engagées dans une action de coopération décentralisée Cf. [ www.cites-unies-france.org /].

1142.

C’est une réelle contribution au développementlocal, en termes de mise en place de dispositifs de soutien aux initiatives plus que sur des projets de développement : appui à l’organisation du système local de santé plus que la rénovation d’un hôpital rural, mise en place de circuits de commercialisation plus qu’une aide à la microproduction, soutien à la restauration des sols plus qu’un appui aux cultures maraîchères, système d’information sur les prix, systèmes financiers locaux, gestion de ressources naturelles, plans locaux de développement… plus qu’un envoi de livres, de médicaments.

1143.

En effet, la coopération décentralisée s’apparente davantage à une école de la citoyenneté et de l’action en ce qu’elle permet à ceux qui s’y impliquent d’y gagner une expérience de l’action collective sans laquelle il leur serait difficile de s’engager ou de prendre une responsabilité publique. Les communautés défavorisées deviennent alors le médiateur grâce auquel les intervenants du Nord prennent conscience de leur propre capacité à agir pour les autres mais aussi pour eux-mêmes ; la solidarité internationale contribue à faire naître des citoyens responsables et engagés (sentiment d’utilité sociale). Dans autre sens, l’encouragement à la participation, prôné dans les pays du Sud, est une école pour approfondir le fonctionnement démocratique dans les collectivités du Nord. Ainsi, en intervenant dans les pays du Sud, les collectivités locales occidentales entendent construire de la citoyenneté au Nord. Enfin, beaucoup de liens se tissent à travers les coopérationsdécentralisées, non pour résoudre les problèmes des grands investissements (transport, énergie, agriculture, formation, santé,...), mais comme des éléments pouvant apporter des solutions immédiates, et contribuant à forger la conscience de l’appartenance à une même communauté ; ce qui stimule une prise de conscience généralisée sur l’importance de BCIM.

1144.

Lorsque des élus venus des pays riches, loin de découvrir l’inorganisation, la gabegie ou la corruption du Sud auxquelles certains s’attendaient, constatent au contraire l’efficacité des résultats obtenus au Sud en l’absence de moyens réels, en tireront sans doute des leçons : « Nous nous sommes aperçus que les Sénégalais de Bignona étaient allés plus loin que nous dans leur pratique participative », selon des termes de M. Jean-Paul Gandin, de l’association Savoie solidaire. « Nous nous sommes interrogés sur notre propre gestion et avons décidé de réunir un comité de personnes âgées représentatives des quartiers. Nous étions partis pour aider les Africains à changer et ce sont eux qui nous ont transformés ».

1145.

Dans certains cas, l’action internationale peut même se révéler cruciale pour le développement de la municipalité du Nord. Avec une population au chômage à plus de 20 %, Romans-sur-Isère a connu l’effondrement de l’industrie de la chaussure et affronte l’une des situations économiques les plus difficiles de sa région. Pourtant, cette ville investit énormément dans l’action internationale en Palestine, au Maroc, en Tunisie et en Arménie notamment. Et, selon un responsable local, M. Deshayes, « Les jumelages d’origine nous paraissaient trop étroits. Nous avons lancé un programme dans lequel d’anciens ouvriers du cuir forment des cordonniers tunisiens. L’action internationale nous sert de moteur pour l’insertion sociale chez eux mais aussi chez nous ».

1146.

Ce n’est plus le Nord qui offre et le Sud qui reçoit. Chacun a beaucoup à apporter à l’autre dans un esprit d’ouverture, de tolérance, de compréhension, selon les termes du Président de l’AFICOD.

1147.

Ainsi, Bernard Debré estime qu’il y a des coopérations décentralisées réussies ; mais il est en effet persuadé qu’une majorité des échanges ainsi réalisés ne servent à rien et ne sont que l’occasion pour les villes et communes françaises de se servir de l’Afrique comme d`un dépotoir, et pour les gouvernements africains de demander n’importe quoi.

1148.

Pour dépasser cette posture, la coopération décentralisée a à prendre en compte que les collectivités locales qui se créent ou se renforcent ne sont pas des projets – mais des institutions pérennes – ni des porteurs de projets pour lesquels elles rechercheraient, investissement après investissement, des financements comme n’importe quel autre acteur de développement. Elles ont des équipements à réaliser et des services publics à faire fonctionner dont la durée de vie n’est pas limitée dans le temps.

1149.

L’atomisation de leurs appuis, exercés dans le strict cadre de leur relation avec leur collectivité partenaire, n’intègre pas les actions menées dans les collectivités voisines de leur partenaire ou par les collectivités ayant rang « supérieur » (ou inférieur) à celui qu’il occupe. Or, étant donné l’insuffisance des ressources des collectivités locales du Sud pour assurer à la fois leur charge de fonctionnement et leurs investissements, la demande de partenariat est beaucoup plus forte que l’offre des collectivités occidentales, favorisant des tensions de compétitions. La « notoriété » internationale d’un maire local étant déterminante pour nouer des partenariats, l’effet est de marginaliser les collectivités du Sud qui n'ont pas de possibilités sérieuses d'entrer en relation avec des collectivités occidentales. L’absence de prise en compte de cet aspect risque de centrer les soutiens en faveur de certaines collectivités territoriales et de marginaliser des programmes intéressants, favorisant des inégalités préjudiciables à la constitution d’une communauté d’intérêt.

1150.

Si les partenariats s’effectuent exclusivement entre collectivités, entre ONG et associations, ou entre syndicats,... chaque entité ignorant les autres et surtout, le mode de fonctionnement particulier de la société locale, la coopération décentralisée se traduira par les transferts de modèles occidentaux vers le Sud et seront mis en échec par les dynamiques locales. Inversement, si les collectivités du Nord veulent dépasser des relations trop exclusives avec les responsables de leur collectivité partenaire pour éviter de servir des intérêts partisans elles doivent s’interroger sur comment travailler avec le tissu social et politique local. Les sociétés du Sud ont leur structuration, leur organisation, avec des pouvoirs “traditionnels”, des autorités religieuses, des associations professionnelles, des notables, des groupements de producteurs, des partis politiques, des associations de parents d’élèves, des comités de village, etc. L’ignorance de l’organisation des sociétés locales alimente une tension entre associations de solidarité internationale et collectivités locales. Sachant qu’avoir une expérience dans les actions de développement et appartenir à la “société civile” ne donnent ni de légitimité politique incontestable, ni nécessairement une connaissance approfondie des relations de partenariat et de toutes les questions à traiter.

1151.

Ils s’expliquent d’abord par un paradoxe : les dérogations, officielles ou implicites, sollicitées auprès du pouvoir central, pour l’acquittement des taxes, redevances, impôts, imputables aux actions financées par la coopération décentralisée, instituent une ambiguïté pesante, du fait qu’elles constituent des manques à gagner pour celui-ci et risquent d’affaiblir sa responsabilité dans divers domaines. De même, des collectivités locales du Nord apparaissent comme une nouvelle instance de pression sur l’Etat local, comme peuvent l'être des notables, de grands commerçants, des responsables religieux,... Elles agissent trop souvent comme si les fonctions d’équilibre, d’arbitrage national n’avaient pas à être assurées. Elles gèrent le plus souvent leurs relations avec leur partenaire du Sud comme s’il était une entité autonome, non inscrite dans un environnement politique et institutionnel. La demande de leur partenaire n’est pas toujours traitée selon les cadres réglementaires fixés par les Etats. Elles peuvent construire des écoles, des maternités, des centres de santé, sans tenir compte ni des normes de répartition de ces équipements, fréquemment établies en fonction d’un volume de population, ni de leur coût d’entretien et de fonctionnement. Dans ce cas, la coopération décentralisée peut aller jusqu’à peser sur la politique de développement arrêtée par les Etats, voire contrecarrer leurs efforts pour construire des références valides pour l’ensemble de leur territoire. Les collectivités du Nord et les ONG font parfois peu de cas de cette politique, en subventionnant les centres de santé qu'elles ont construits ; en envoyant des médicaments collectés ou achetés au Nord qui gênent la promotion des médicaments génériques et fragilisent les distributeurs mis en place ou soutenus par les Etats en leur ôtant une part de leur marché.

1152.

En effet, la coopération décentralisée ne pourra répondre aux objectifs qu’elle se fixe que si certains dispositifs correctifs permettant une réelle collaboration entre collectivités territoriales et associations sont mis en place. Par exemple, pour éviter la concurrence entre collectivités, lesaides financières des collectivités du Nord, la mise en place de fonds d’investissements intercommunaux, reconnus pour recevoir les transferts financiers du Nord semble une perspective à encourager. La décision de création de tels fonds locaux d’investissement dépend des Etats, mais elle est fortement conditionnée par la disposition des ressources nécessaires. Ils ont pour principaux avantages de : maintenir un lien direct entre les collectivités du Nord et leur partenaire de Sud, tout en permettant une répartition élargie des financements apportés ; d’inciter les collectivités du Sud, les communes notamment, à confronter leurs priorités, à négocier entre elles leurs critères d’affectation des ressources extérieures et non à entrer en compétition les unes par rapport aux autres pour décrocher des partenariats externes. De même, il est impératif de construire des espaces de débats et de nouer des relations directes entre personnes et institutions intervenant dans ce processus, permettant une harmonisation des points de vue et des priorités, excluant toute propagande partisane et toute ingérence dans les affaires des partenaires, et contribuant à l’enrichissement humain mutuel, à partir d’une meilleure connaissance des cultures et des civilisations respectives. Etant donné que les contextes politiques, sociaux et culturels, historiques, économiques dans lesquels les collectivités locales du Nord apportent leurs appuis sont bien différents de celui dans lequel elles exercent leur mandat, elles ont à faire un effort de compréhension des contextes locaux pour que leurs compétences puissent s’insérer dans des solutions voulues par leur partenaire et non pas d’aboutir à un transfert de « technologie institutionnelle ».