Conclusion - partie II

Il convient tout d’abord de rappeler l’apport de l’approche de la gouvernance mondiale dans la première phase de cette étude. Dans sa conception incluant les institutions internationales comme principaux régulateurs de la mondialisation, cette approche enseigne que la production de BCIM par les IFI passe par la régulation des relations économiques internationales, dont les déséquilibres constituent des externalités néfastes pour l’immense majorité de la planète. La tâche de garantir la stabilité financière internationale passe ainsi par la prévention de ces lacunes, à savoir les crises financières internationales ou – le cas échéant – une meilleure gestion de celles-ci.

Le rôle du FMI dans ce domaine est sans doute louable. En effet, le Fonds engage des actions en amont, qui consistent à améliorer les structures financières dans les pays membres, notamment dans les PED&E, qui constituent le « berceau » de l’instabilité financière internationale ; et, lors des crises financières, il intervient à travers des actions de renflouement pour atténuer la propagation et les conséquences de ces crises. Cette dernière option fait pourtant l’objet d’un des critiques adressées à l’institution internationale, soit en raison de son caractère partial ou parce qu’elle favorise l’aléa moral.

En tout cas, les efforts du Fonds pour la stabilité financière internationale sont loin d’être à la hauteur de cette tâche. Nos raisonnements, se rapportant aux résultats discernés dans la première partie de cette étude, offrent les explications suivantes. D’abord, en raison de la métamorphose déroutante des crises financières internationales que renforcent les détours théoriques et conceptuels admis pour considérer la stabilité financière internationale comme un BCI. En effet, nous avons démontré que la stabilité financière internationale n’est une question mondiale que par ricochet, à travers les conséquences de l’instabilité financière et des crises systémiques sur les économies des PED&E, qui pourraient accessoirement affecter les économies industrialisées, par les canaux de la mondialisation. L’assimilation de la stabilité financière internationale à un BCI se justifie par la nécessité de rendre compte de l’intérêt de la première, mais elle ne doit pas conduire à omettre les conditions nécessaires à la production du second. C’est au demeurant ce qui explique l’insuccès de l’approche de la nouvelle AFI. Celle-ci pèche par son omission du caractère asymétrique de l’instabilité financière internationale et surtout de la spécificité de la stabilité financière internationale comme BCI, en proposant des réformes incidentes aux fonctionnements des marchés financiers, prétendant à un ordre monétaire et financier international, qui s’appuierait sur des règles formelles et justes pour tous, sous l’égide des IFI. Au demeurant, Cartapanis (2003) et Cartapanis et al (2003), avisent qu’il ne faut pas entendre par l’initiative d’une nouvelle architecture financière internationale – esquissée par le G7 et engagée par le FMI – une avancée institutionnelle quant aux modes de gouvernance monétaire et financière à l’échelle mondiale, mais plutôt une réponde pragmatique à la question du SFI 1154 .

En fait, il faut se rendre à l’évidence que si la stabilisation financière internationale est un objectif économique, sa mise en oeuvre est plus liée à la politique. Car, la prévention et la gestion des crises financières internationales exigent une réelle volonté politique, notamment de la part des pays occidentaux, devant conduire à engager le FMI sur la voie d’une réelle contribution à la gouvernance mondiale et la régulation des relations économiques internationales 1155 . Ce qui implique en effet des réformes substantielles dans les structures et modes de fonctionnement des IFI (en particulier du FMI). Laquelle volonté politique en faveur de ce BCI spécifique risque de ne jamais voir le jour, ternissant davantage la légitimité du FMI. Car, rappelons-le, le caractère peu préjudiciable de l’instabilité financière internationale pour les économies occidentales, notamment américaine, ne favorise pas la réalisation de l’action collective internationale qui commande la garantie de la stabilité financière internationale. En effet, il est avéré qu’en cas de crise financière, dans un pays du Sud, les éventuels préjudices pour les économies occidentales, à travers les pertes que subissent leurs institutions financières, sont atténués par les actions de renflouement du Fonds. L’absence d’engagements en faveur de la réglementation s’explique également par des facteurs idéologiques, notamment la préférence pour la « discipline du marché ».

Ainsi, notre étude, portant sur cette question de stabilité financière internationale sous l’angle des approches en termes de BCIM, démontre bien que pour prétendre à garantir ce phénomène, il faut plus que des réponses modestes dans le domaine de la finance mondiale. En effet, nous avons démontré que les actions globales visant la régulation de la mondialisation financière devraient être fondées sur deux principes essentiels, qui commandent la production optimale de la plupart de BCIM : l’équité et la solidarité. L’exigence d’équité devrait conduire à mieux réguler les flux des capitaux mondiaux, dont l’instabilité et la soudaineté nuisent davantage aux économies émergentes. De même, au nom de la solidarité, la communauté internationale devrait soutenir les PED&E dans l’application des politiques de prévention macro-prudentielle afin d’améliorer le traitement du risque systémique. En outre, compte tenu des externalités liées aux vicissitudes des taux d’intérêt et des changes, une supervision internationale des parités et des régimes de changes, fondée sur l’équité, devrait conduire au rejet du dollar comme monnaie internationale privilégiée aux dépens de l’intérêt global. L’option d’une autorité monétaire internationale émettant une monnaie unique mondiale ou encore des efforts collectifs érigeant un SMI coordonné, fondé sur la régionalisation, contribuerait sans doute à une gouvernance mondiale légitime et équitable, favorable à la stabilité financière internationale.

De ce fait, sans insister sur l’aspect de défaillance, il convient d’évoquer l’inadéquation comme origine de l’incapacité du FMI à assurer la stabilité financière internationale. Tout succès dans ce domaine exige d’envisager des mécanismes stabilisateurs, compensant les disparités qui dominent la sphère financière mondiale, au sein d’un nouvel ordre monétaire et financier international géré par une réelle coopération et une action collective internationale dont les IFI seront les promoteurs et les garants. La fourniture du BCI spécifique qu’est la stabilité financière internationale serait optimisée si des progrès réels sont faits simultanément par les pays industrialisés et les PED&E, et le SFI pourrait contribuer davantage au développement et à la lutte contre la pauvreté. Car, une plus grande stabilité financière dans les pays du Sud les épargnera des conséquences des crises, qui aggravent les difficultés économiques pour des populations les plus démunies, qui ont déjà du mal à satisfaire leurs besoins fondamentaux (nourriture, santé, éducation, logement, etc.).

Ce chevauchement s’explique par les interdépendances qui existent entre la plupart des BCIM. En effet, il semble que la stabilité financière dans les PED&E dépend également du développement financier et économique dans cette zone 1156  ; ce qui implique en outre la Banque mondiale. Le sort de cette dernière n’est pas si différent de celui du FMI 1157 . Ainsi, la Banque mondiale est l’institution financière internationale destinée à la lutte contre le double fléau du sous-développement et de la pauvreté dans le monde. Une tâche d’autant plus cruciale que le caractère de BCM de celle-ci est diversement apprécié par les Etats-nations, qui constituent l’horizon de la régulation politique, permettant de légitimer la gouvernance mondiale qui commande la production optimale de BCIM. En effet, certes, le développement global et l’éradication de la pauvreté internationale constituent une posture économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable, mais les incertitudes liées aux avantages globaux de la régulation de la mondialisation en faveur de la lutte contre la pauvreté internationale ainsi que la lenteur de la propagation des externalités négatives liées à ce fléau, font que la solidarité internationale qui commande la fourniture de ce BCM est plus que jamais abstraite 1158 .

La Banque mondiale aussi engage des efforts immenses dans le domaine de la lutte contre la pauvreté internationale. Mais, son incapacité à éradiquer celle-ci ne devrait pas ébahir, car les stratégies et les moyens (matériels et techniques) qu’on lui dote ne sont pas à même de contrer l’engrenage de la pauvreté internationale dans ses aspects multidimensionnels 1159 . Nous avons démontré, à la lumière des approches relatives aux BCIM, que les stratégies de la Banque (ayant pour socle le Consensus de Washington) sont dépourvues des attributs qu’exige la fourniture du BCM qu’est l’éradication de la pauvreté et du sous-développement.

Ainsi, à l’instar de la stabilité financière internationale, la tâche de l’éradication de la pauvreté internationale ne se réduit pas au financement du développement, en termes d’aides et de prêts accordés aux pays pauvres, mais exige des instruments politiques efficaces, aux niveaux interne, régional et mondial, permettant une meilleure régulation des relations économique internationales. C’est le moyen de s’attaquer aux revers de l’intégration des pays pauvres à l’économie mondiale – dont les bénéfices sont certains, mais conditionnels – et de corriger à la fragilité de leurs positions dans l’ordre économique mondiale. La mondialisation économique ne pourra promouvoir un régime de croissance non-excluant pour les pays pauvres que si la communauté des Etats prend le contrôle politique de la régulation de l’économie mondiale.

L’approche de la gouvernance mondiale n’indique pas d’opposer l’Etat au marché, mais de rappeler que l’autorégulation du marché par lui-même a montré ses limites et qu’il est nécessaire de restaurer une fonction de régulation collective à l’échelle mondiale. Elle évoque le rôle déterminant des pouvoirs publics dans cette démarche, de même que dans la définition et la mise en oeuvre des politiques de développement et de lutte contre la pauvreté à l’échelle mondiale. Ainsi, une contribution équitable des Etats-nations, notamment des plus riches, devrait consister à renoncer aux subventions agricoles qui détruisent les sources de vie des milliards d’individus 1160 . Des efforts globaux étatiques pourraient également répondre aux besoins d’infrastructures de développement, apparentée avec l’initiative d’un plan Marshal mondial en faveur des pays pauvres.

D’un autre côté, loin d’être superflues, les IFI (notamment la BM) constituent le cadre idéal où les efforts de la communauté internationale en faveur de l’éradication de la pauvreté pourraient se matérialiser (annulation des dettes, suivi des OMD, etc.). Les institutions de BW devraient également créer les conditions d’une mondialisation juste et équitable, permettant d’orienter les pays pauvres vers davantage de compétitivité et de rendre leur décollage économique plus accessible et plus immédiat. Par exemple, en matière de libéralisation de l’économie mondiale, elles pourraient envisager plusieurs vitesses d’intégration à l’économie mondiale, créer les conditions de flux de capitaux privés en faveur du financement du développement et de la lutte contre la pauvreté. Mais, il est évident que des telles dispositions ne sont plausibles qu’à la suite des réformes majeures dans les structures et modes de fonctionnement de ces institutions, permettant de renforcer la représentation des Etats les plus pauvres dans les instances et négociations internationales.

Quant aux acteurs de la société civile, leur mérite est d’autant plus notable qu’ils ont un rôle immense à jouer dans la régulation de la mondialisation et l’architecture de la gouvernance mondiale. Etant donner que les forces politiques seules ne peuvent pas impulser le changement, les acteurs de la société civile incitent les Etats à prendre réellement conscience de l’acuité et de la perception de la question de BCIM, les conduisant à s’engager réellement en faveur la production de ces biens. De même, la « solidarité citoyenne internationale » semble avoir dépassé le stade de l’invention, à s’en référer aux exploits des systèmes de microfinance et des fonds des migrants. D’autres activités sont menées hors des canaux gouvernementaux, notamment par les collectivités territoriales, dans le cadre de la coopération décentralisée, venant parfaire les efforts de la société civile dans la lutte globale contre la pauvreté dans le monde.

Ces raisonnements sont, évidemment, loin d’épuiser le sujet de l’éradication de la pauvreté, mais ils esquissent ce que pourrait être un nouveau cadre cohérent de réguler les relations économiques internationales dans le but d’atteindre les OMD de 2015.

Au total, si les IFI ne semblent pas à même de garantir une production optimale de BCIM, tout succès dans ce domaine ne pourrait exempter cette catégorie d’acteurs. Contrairement aux plaidoyers altermondialistes, le FMI et la Banque sont indispensables pour coordonner l’action collective internationale résultant de la prise de conscience généralisée de l’intérêt de la stabilité financière internationale et de l’éradication de la pauvreté dans le monde.

Le discernement de la similitude entre ces deux IFI et l’interdépendance entre les deux biens collectifs à caractère mondial dont elles la charge ne pourrait-il favoriser leurs propositions de réformes ?

Notes
1154.

Ainsi, Cartapanis (2001) estime que « (...) Si l’ambition de consolider l’architecture financière internationale marque d’ores et déjà un infléchissement très net de doctrine, qui s’apparente à un nouveau compromis néo-libéral et se rapproche partiellement du libéralisme enchâssé de l’après-guerre, ce compromis paraît tout à la fois ambigu et inachevé, autant dans ses fondements que dans sa mise en œuvre ».

1155.

Autrement, comment envisager la participation du secteur privé dans la gestion des crises financières internationales ?

1156.

Cette corrélation s’explique par le fait que le développement financier permet aux pays de réagir par un ajustement stabilisateur dans le cadre de la politique monétaire et budgétaire, lorsque la croissance commence à se ralentir, empêchant par là-même une détérioration supplémentaire des conditions financières. C’est le moyen également de financer des projets d’investissement durables, en émettant des obligations à long terme, limitant ainsi les problèmes de fragilité dus à l’asymétrie des créances. Cf. Eichengreen (2003).

1157.

Les deux IFI se prétendent d’ailleurs des jumelles. Cf. Fiche technique du FMI - septembre 2005 : [ http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/imfwbf.htm ].

1158.

Il suffit, pour s’en rendre compte, de se référer à l’état des OMD – qui constituent désormais la « feuille de route » de la communauté internationale en matière de lutte contre la pauvreté au monde. Ceux-ci permettent également de révéler que la tâche d’éradiquer la pauvreté excède les compétences et la responsabilité de la seule BM.

1159.

D’autant plus que ce phénomène est aggravé par la responsabilité des pays du Sud : climats des affaires peu favorables aux investissements, lenteurs administratives, prépondérance du secteur informel, dans certains cas, situations géographiques défavorables (isolement ou l’enclavement par rapport à la mer), carences institutionnelles, phénomènes d’incurie et de corruption, etc.

1160.

Qui est sans doute l’une des meilleures façons de rendre le commerce international au service de la lutte contre la pauvreté internationale.