1.1 La population francophone : le cas des étudiants marocains

Des bacheliers scientifiques face à une langue spécialisée

L’enseignement secondaire dans le Maghreb en général se caractérise par une arabisation du système d’enseignement au lycée notamment dans les disciplines scientifiques. Or, au niveau des études supérieures cette situation n’existe plus, les disciplines scientifiques sont enseignées en langue française. Cette conjoncture engendre une rupture rude entre les deux systèmes d’enseignements. Nous proposons d’étudier un cas pour mieux illustrer nos propos. Nous avons choisi d’étudier le cas d’étudiants originaires du Maroc dans la mesure où ils arrivent en tête par leur taux d’inscrits dans les universités françaises par rapport aux autres étudiants de nationalités étrangères.

L'enseignement du français dans le secondaire au Maroc est à la fois un parcours d’apprentissage et un processus de formation. En tant que tel, son objectif principal est de préparer les élèves à franchir le seuil de l’université avec le profil linguistique requis. Ainsi, la troisième année secondaire ou le baccalauréat est une phase charnière entre les études supérieures et l’insertion socioprofessionnelle. Le but de ce cycle d’apprentissage est d’enrichir la formation de l’élève de façon à ce qu’il acquiert un savoir linguistique, culturel et scientifique suffisant pour réussir son intégration dans les disciplines scientifiques des études supérieures.

Dans une étude antérieure (1999- 2000) 70 , nous avons mené une recherche au Maroc sur le profil linguistique (en français) des bacheliers de formation scientifique. Nous avons travaillé sur le programme académique de la langue française, niveau baccalauréat, option : Sciences Expérimentales. L’examen du programme de troisième année, notamment l’organisation du manuel d’enseignement du français, nous a révélé une structure pédagogique où la séquence « débat » est prédominante par rapport aux autres activités, comme il est souligné dans les recommandations pédagogiques de 1994 relatives à l’enseignement du français dans le secondaire au Maroc, «le débat se taille la part de lion, occupant six des douze unités didactiques » (d’enseignement). Nous avons donc procédé à l’analyse de cette séquence didactique afin de déterminer son rôle particulier dans la formation linguistique et cognitive des futurs bacheliers scientifiques.

Nous avons enregistré plusieurs interactions didactiques en classe de langue avec des élèves de formation scientifique. Nous avons choisi l’étude d’une séance où les élèves doivent débattre d’un sujet 71 avec un animateur à l’appui, l’enseignant.

Les résultats de nos investigations nous ont montré que ces élèves présentent des difficultés linguistiques de base quant à la manipulation de la langue française.

Tableau n°44 : - Lacunes de langue à l’oral
Tableau n°44 : - Lacunes de langue à l’oral

Au niveau de la construction des phrases, ils utilisent des expressions incorrectes et souvent inachevées. Au niveau morphosyntaxique, ils emploient de manière anarchique le genre et le nombre, des prépositions impropres au contexte phrastique et font usage des temps, des modes et des auxiliaires de manière insouciante.

De la même manière, à l’écrit, les apprenants répètent les mêmes erreurs. Au cours de notre recherche, nous avons soumis aux élèves de la section « Sciences Expérimentales » un questionnaire dans lequel ils devaient formuler leurs difficultés par rapport à l’apprentissage de la langue française en classe de langue.

  • Lacunes de langue à l’écrit

72 Elève 1 :« Parfois je trouve une difficulté pour m’exprimer librement, et je sais pas qui responsable dans tout ça les professeurs ou bien moi même ou bien je suis pas baser pendant les années primaires. J’aime parler pendant les experssions orales et donner ma point de vue dans les sujets proposés mais lorsque y il y a des endicats dans lesquelle je prefère ne rien dire »

Elève 2 : « moi j’aime bien parlé quand il y a une diskission d’un sujé mais le probleme se que je ne peu pas parle beaucoup cette langue parfois je comprens pas les mots français alors je ne parle pas. »

Elève 3 :« l’heure d’activités orale », « la participation rarement dans la classe», « les paroles on français dans encurage », « j’aime les moment d’expression dans la classe »

Nous relevons les mêmes lacunes de langue à savoir, les fautes d’accord (genre, nombre), la production de phrases incorrectes et les fautes d’orthographe etc. Ces exemples nous révèlent, d’ores et déjà, le niveau linguistique de ces futurs étudiants qui manifestent des carences de langue aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.

Quant aux problèmes lexicaux des élèves, ils se traduisent par un déficit dans leur répertoire oral. Cette insuffisance de vocabulaire a généré un phénomène didactique: celui de la sollicitation de l’enseignant par les élèves. Nous avons remarqué pendant le déroulement du débat que les apprenants s’expriment en langue arabe (arabe standard) lorsqu’ils n’arrivent pas à formuler, une question, une réponse ou un point de vue en langue française.

Sur les divers niveaux d’apprentissage du français langue seconde, (Activités de lecture, Activités de langue, Activités orales, Activités de productions écrites ), on constate une régression du niveau des compétences des élèves. Ceci tient à une conjonction de facteurs. Avec l'arabisation des disciplines scientifiques au lycée, une bonne partie de la pratique de la langue a disparu; et donc, l’enseignement des Sciences en français (la physique, les mathématiques, la chimie et les sciences naturelles), qui était une occasion de d’apprendre cette langue dans un cadre spécifique, est éliminé. L’enseignement de ces disciplines en langue française permettait aux élèves d’acquérir des méthodes de pensées et de développer des habiletés de réflexions spécifiques. De ce fait, le rapport des apprenants avec la langue en question est devenu très restreint. Leur contact avec le français se limite à certains secteurs tels que les médias, la santé etc. Le milieu familial et environnant n’encourage pas la pratique de cette langue.

Au terme de cette présentation, nous pouvons dire que le dispositif pédagogique mis en vigueur au lycée laisse apparaître un écart entre les objectifs qui lui sont assignés et la formation qu’il propose aux élèves scientifiques, les enseignants eux-mêmes reconnaissent ce fait. Ces programmes académiques ne prennent pas en compte les besoins réels de ces apprenants par rapport à leur future formation universitaire. Après l’obtention de leur baccalauréat, ces apprenants sont appelés à renforcer l’apprentissage de la langue française sous ses aspects linguistiques général et spécifique (des lacunes à corriger, des notions à consolider, des acquis scientifiques à développer), avant de prétendre à une inscription à l’université où les disciplines scientifiques sont enseignées en français spécialisé. Cette disparité entre le secondaire et l’université nous renseigne sur les difficultés linguistiques des bacheliers qui accèdent à l’université.

Notes
70.

Mémoire de DEA (Master2)

71.

Le sujet du débat portait sur est le rôle de la femme dans la société marocaine, « être pour ou contre le travail de la femme à l’extérieur de son foyer ?».

72.

Notes d’élèves en terminale Sciences expérimentales.