Bernanos manifeste dès la parution de SSS, son intérêt particulier pour les jeunes d’après-guerre :
‘« Le visage du monde avait été féroce. Il devenait hideux. La détente universelle était un spectacle insupportable. Traqué pendant cinq ans, la meute horrible enfin dépistée, l’animal humain rentrait au gîte à bout de forces, lâchait son ventre et évacuait l’eau fade de l’idéalisme puritain. Lequel d’entre nous ne se sentit alors dépossédé ? (...) La leçon de la guerre allait se perdre dans une immense gaudriole. C’était la descente de la Courtille. On promenait, comme à la mi-carême, des symboles de carton – le boeuf gras de ‘l’Allemagne paiera’, le Poilu, la Madelon, l’Américain Ami-des-Hommes, La Fayette... tous des héros ! tous ! Qu’aurais-je lancé en travers de cette joie obscène, sinon un saint ? A quoi contraindre les mots rebelles, sinon à définir, par pénitence, la plus haute réalité que puisse connaître l’homme (...) ? » 33 ’Par ailleurs, C.W.Nettelbeck affirme que Bernanos était de son temps le pionnier de ce souci des jeunes générations :
‘« Devançant Saint-Exupéry, Malraux, et Sartre dans leur tentative de restaurer la dignité humaine face à un monde dégénéré, Bernanos fixera peu à peu son attention sur les jeunes générations de l’entre deux-guerres. » 34 ’L’interprétation que fait C.W.Nettelbeck du personnage de Mouchette illustre l’époque agitée par les diverses idéologies d’après guerre. Il voit volontiers en Mouchette une allégorie de la nouvelle jeunesse française, cependant il prend du recul par rapport à l’intention de l’auteur qui donne la priorité au lecteur pour l’interprétation libre de sa propre lecture. Et il attribue cette figure à l’imagination d’apparente inconsience de l’auteur 35 .
Interview avec Frédéric Lefèvre, Le crépuscule des vieux, 1956, p. 66-8 : ou dans EEC I, Pleiade, p.1040
C.W.Nettelbeck, 1970, p.147.
C.W.Nettelbeck, 1970, p.103 : « Il est permis de douter que cet aspect allégorique de la figure de Mouchette soit consciemment voulu par l’auteur. Au contraire, pour lui, elle apparaît comme une création spontanée de son imagination inconsciente : elle ‘a surgi et tout de suite elle m’a fait signe, de ce regard avide et anxieux.’ (Le crépuse des vieux, 1956, p.56) »