1) Périodes principales des études de Sous le soleil de Satan
Le recensement que nous venons de tracer montre les trois périodes importantes marquant les critiques du roman SSS : l’année de sa parution ; l’année de la réalisation du télé-film sur SSS ; et l’année de sa réalisation au cinéma en 1987. Nos observations seront précédées par une courte remarque sur la genèse de SSS.
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i) La genèse de
Sous le soleil de Satan
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Albert Béguin cite dans son livre deux textes importants de l’auteur à ce propos :
‘« En 1923, Bernanos apporte à son ami un roman qu’il estime achevé et qu’il remettra sur le chantier encore, pour le terminer vraiment en février 1925. C’est Sous le soleil de Satan, que Vallery-Radot accueille avec enthousiasme et présente au ‘Roseau d’or’ de Fumet et Maritain. Le livre paraîtra chez Plon en mars 1926. Le succès immédiat, soutenu par un retentissant article de Léon Daudet (du 7 avril), s’affirme si bien que dès juin Bernanos décide de quitter les assurances pour vivre de sa plume. Ce sera le début d’une vie agitée et le premier d’une série de départs. »
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Voici le deuxième texte dans lequel Bernanos s’exprime sur son premier roman qu’il présente comme un livre de témoignage :
‘« Je crois que mon livre est un des livres nés de la guerre. Je m’y suis engagé à fond. Je m’y suis totalement donné. D’ailleurs, je l’ai commencé peu de mois après l’armistice. Le visage du monde avait été féroce. Il devenait hideux... Traqué pendant cinq ans, la meute horrible enfin dépistée, l’animal humain rentré au gîte, à bout de forces, lâchait son ventre et évacuait l’eau fade de l’idéalisme puritain... Les mots les plus sûrs étaient pipés. Les plus grands étaient vides, claquaient dans la main... La mort même avait perdu son sens sacré... Tout me manquait à la fois. De plus j’étais malade, je doutais de vivre longtemps. Je n’aurais pas voulu mourir sans témoigner. »
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Ainsi, né comme un témoignage de l’auteur, SSS subira tour à tour les éloges et les rudes critiques tout au long de son histoire de critique littéraire. Et voici donc les critiques survenues en trois périodes citées plus haut.
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ii) L’année de sa parution (1926
) :
L’année 1926 est particulièrement marquée par la parution de SSS et la célébrité de son créateur. Autant le succès était grand, autant les critiques étaient rudes. D’un côté, il y eut l’éloge de Léon Daudet comparant le nouvel auteur à ‘l’apparition d’une nouvelle étoile dans le firmament de la littérature’ et égamement les applaudissements de Paul Claudel
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. D’un autre côté, les critiques ont protesté devant la description de la sainteté et du mal dans SSS, ce que met en évidence l’interview de Bernanos par Frédéric Lefèvre
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. Avec la parution du roman, 20 articles de diverses presses sont consacrés au cours de mois d’avril et 87 comptes rendus sur SSS ont mis à jour dans les diverses presses jusqu’au déc. 1926
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. Les critiques n’ont pas cessé avec la mort de l’auteur ; au contraire, la problématique du roman s’est renouvelée sans cesse. Cela montre qu’une oeuvre a sa vie autonome dans la critique littéraire, indépendamment de son auteur et aussi longtemps qu’il y a lecteur.
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iii) Du roman au télé-film (1971
) :
En 1971, le roman SSS paraît entélé-film, réalisé (adapté) par Pierre Cardinal. De multiples échos ont suivi cette parution en film dans la presse. Cette année-là, le EB n°12 (Sources et dimensions de « Sous le soleil de Satan ») est consacré au seul roman SSS et de nombreux articles offrent au lecteur un panorama des études critiques sur ce roman.
La préface de Michel Estève dans EB n°12, résume l’ensemble des études et l’intérêt porté à l’authenticité de l’oeuvre romanesque dans les annés 70 :
‘« Les études composant les trois parties de ce cahier conduiront le lecteur des sources et de la structure du roman à ses dimensions psychologiques, puis métaphysiques et théologiques, le surnaturel étant lui-même appréhendé dans ses rapports avec une transcription esthétique qui lui confère son authenticitéet sans laquelle il n’aurait aucune consistance. »’
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iv) Du roman au cinéma (1987 – 1991) et l’établissement du texte
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En 1987, Sous le soleil de Satan est adapté cette fois au cinéma par Maurice Pialat (mort en 2005). De multiples échos suivent dans des revues et des articles nombreux pour et contre cette réalisation. Quatre ans après la présentation du film de Maurice Pialat, mais aussi vingt ans après EB n°12, le même auteur, Michel Estève, intervient dans la préface de EB n°20 sous le titre『Du roman au film ‘Sous le soleil de Satan’』(1991) consacré spécialement au roman. Il s’attache aux deux événements qui sont l’adaptation du roman au cinéma, et le travail de recherche de William Bush :
‘« D’une part, la transposition à l’écran du premier roman de Bernanos par Maurice Pialat, dont l’oeuvre obtint la ‘Palme d’or’ au Festival de Cannes 1987. D’autre part, la publication, en 1988, de l’important travail de recherche de William Bush, Genèse et structures de « Sous le soleil de Satan » (« Archives des lettres modernes » 236). (...) La seconde partie d’Etudes bernanosiennes 20 comprend deux études : le rôle du narrateur à partir de Sous le soleil de Satan et l’examen de la fonction du cercle et de la spirale dans l’Imposture. »
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Dans ces remarques, l’axe central des études du roman s’est déplacé et insiste sur l’étude du texte lui-même. Dans ce numéro (EB n°20), le déplacement de l’auteur vers le lecteur touche aussi au coeur même du texte critique. En effet, en l’année 1982, William Bush publie (établit) une version du roman SSS, qu’il a travaillée depuis le texte d’origine de SSS avant la parution en 1926 à l’édition Plon. Ce travail est amorcé avec Pierre Gille et René Guise en 1973 à l’université de Nancy, et W. Bush l’établit à partir des travaux réalisés par les chercheurs prénommés. Et celui-ci, publiant cette nouvelle version, propose qu’elle remplace l’ancienne. Cette proposition est vivement critiquée par Pierre Gille
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Ainsi libéré de son auteur, SSS trace son propre itinéraire dans la critique littéraire. C’est dans cette optique que le présent travail trouve sa place et fait un pas de plus dans la critique littéraire.