1. Problématiques concernant la structure (composition) de Sous le soleil de Satan

1.1 Sous le soleil de Satan, roman elliptique

Plusieurs critiques littéraires considèrent l’ensemble du roman de Bernanos comme un roman elliptique. Par exemple, Michel Raimond 64 classe SSS dans les romans elliptiques à cause des ‘silences du récit’. A la suite du colloque international de Nancy en 1987, une série d’acticles, parus dans Bernanos continuité et rupture 65 , expliquent ce propos.

Jacques Chabot 66 étudie, en 1988, la rupture du temps dans tous les romans de Bernanos. Il distingue deux types de temps dans l’univers romanesque bernanosien : Là où le temps du récit s’arrête, se superpose une vision, figure d’un autre temps :

‘« Le récit alors devient poème et l’image en surimpression impose la figure d’un autre temps (cosmique ou d’éternité) sur le temps historique de la narration. » 67

Les personnages de Bernanos interprètent ces ruptures de la narration dont ce qu’ils viennent de vivre (dans un temps autre que réalité), tantôt comme un rêve, tantôt comme une vision. J.Chabot cite comme exemple le passage du curé d’Ambricourt face à Chantal que l’abbé interprète comme une vision. 68 Autre exemple, la « voix » tonnante qu’entend Donissan chez Mme Havret 69 . Dans ce dernier exemple, le temps du récit s’arrête et « bascule dans une espèce de néant » 70 .

Quant à André Not 71 , il propose une structure de SSS construite autour d’une « lacune » équivalente au non-dit ou à l’indicible. En effet, dans ce roman, il y a effacement total de la scène de l’agonie de Mouchette traînée au pied de l’église par l’abbé Donissan. Ce récit est fait seulement dans une lettre de l’évêque adressée au chanoine Gerbier 72 . D’après A.Not, l’unité de SSS se trouve dans l’absence de la narration :

‘« La narration est abolie pour laisser place au procédé conventionnel de la pièce jointe, du document qui simule l’intervention du réel dans le cadre de la fiction, et placé à l’exacte intersection de l’histoire de Mouchette et de celle de Donissan, fonde, après tout, l’unité du roman » 73 .’

Ces remarques sont intéressantes du point de vue de l’énonciation dans l’ensemble de la structure de SSS. Ainsi, les critiques littéraires voient que l’absence de récit (ellipse) révèle que Bernanos a voulu faire pressentir les choses surnaturelles.

Notes
64.

Michel Raimond, Le Roman, Amand Colin/HER, Paris 2002, (1er édition 1987), p.116 « Sous le Soleil de Satan, de Georges Bernanos, était, comme tout roman chrétien, une gageure : comment dire par des mots ce qu’il y a d’ineffable ? Comment exprimer le flux et le reflux de la grâce de Dieu, comment laisser entr’apercevoir les desseins impénétrables de la Providence ? Seules, d’immenses ellipses, chez lui, donnent le sentiment de tout ce qui s’accomplit silencieusement dans un au-delà du monde visible. »

65.

Pierre Gille et Max Milner, Bernanos continuité et ruptures, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1988.

66.

Jacques Chabot, « Rupture du temps et ouvertures du sens », dans Bernanos continuité et ruptures, 1988, p.25-36.

67.

J. Chabot, 1988, p.26.

68.

Journal D’un Curé de Campagne, dans G. Bernanos, Oeuvres romanesques, p.1135-39.

69.

p.209 : « Sauve-toi toi-même, c’est l’heure ! ... »

70.

J. Chabot, 1988, p.34

71.

André Not, « La vision romanesque de Bernanos : le renoncement à l’indicible », 1987, p.127-136.

72.

p.187-189.

73.

André Not, 1987, p.127.