B. Prologue (espace plein)
A part le chapitre premier, le prologue se passe en 3 jours : le soir de l’événement, le jour de l’assassinat qui commence la veille où il y a un court dialogue entre Mouchette et ses parents , et une soirée chez le docteur Gallet. Nous avons remarqué plus haut que la plupart des personnages restent dans leur espace propre et seuls deux personnages (le père Malorthy, Mouchette) franchissent les espaces. Mme Gallet (Zéléda), à laquelle se juxtapose le déplacement du jardinier, a une fonction spécifiquement figurative par son absence de la maison et sa présence. Ces déplacements d’acteurs dans l’espace s’articulent avec le déroulement du temps du récit. Dans la schématisation de l’ensemble du prologue : ‘schéma I.4.1.1.B’, les chapitres du roman ne correspondent pas avec notre découpage.
Dans ce schéma, nous avons repéré seulement le déplacement essentiel des acteurs en fonction du temps qui permet un découpage des scènes figuratives du prologue.
- i) Le découpage
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Séquence 1 (p.11 jusqu’à la 10ème ligne) : le prélude du roman
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Séquence 2 (p.11-12) : le récit commence ici où sont présentés les personnages du prologue.
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Séquence 3 (p.13-14) : une soirée (Mouchette dans sa 16ème année) chez Malorthy où il se passe un événement inattendu.
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Séquence 4 (p.14-44) : le soir du 8ème jour après cet événement jusqu’à la nuit du lendemain. Dans cette séquence, le narrateur rapporte (p.19-22) la première rencontre de Mouchette avec le marquis un matin du mois de juin, à la manière de l’analepse.
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Séquence 5 (p.45-68) : une soirée chez le docteur Gallet et l’information sur la suite de ce que vit Mouchette (p.68)
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ii) Le déplacement
Deux personnages se déplacent dans le prologue : Le père et la fille Malorthy. -
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Le père Malorthy, dans la séquence 2, quitte son pays natal pour s’installer à Campagne. Il est le premierde sa famille qui se déplace mais il change aussi de métier : du blé à la bière, et fait de la politique. Ce double déplacement avec une nouvelle tendance politique scandalise les gens de Campagne. Dans la séquence 4, il est chez le marquis et sa visite est décrite, non pas comme celle d’un père affecté par l’état de sa fille, face au coupable, mais comme l’affrontement de deux idéologies politiques : la république et la royauté. Après cette rencontre, le père Malorthy devient ferme pour vaincre et, le soir-même, il force sa fille à avouer le fait réel.
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Mouchette aborde dans le prologue quatre seuils : a) elle fléchit sur le seuil de la salle de chez son père (p.13) où son état de fille enceinte est découvert par ses parents ; b) elle passe le seuil de la salle d’un pas fier (p.26), ce qui enchaîne deux franchissements de seuil ; c) le seuil du marquis (p.29) ; d) puis le seuil du docteur Gallet (p.45). Pour ces deux dernières démarches, elle a un but précis. Mais, chaque fois, elle rate son but à cause de son interlocuteur qui ne consent pas à son projet et elle retourne chez elle. Mouchette se déplace aussi sur l’ordre de sa maman et cela lui permet de rencontrer M. le marquis de Cadignan sur le chemin vers les six vaches, un matin du mois de juin. Cette rencontre oriente son désir qui, jusqu’ici, n’avait pas encore été formulé.
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Mme Gallet, Zéléda est typique dans SSS par son absence et sa présence qui font fonctionner ce personnage comme une ‘figure’ par rapport à Mouchette. Son absence lui permet d’entrer chez le docteur Gallet, tandis que sa présence ne lui laisse aucune place chez eux.
Ainsi, chaque fois que les deux Malorthy se déplacent dans des lieux différents, les propriétaires de ces lieux les reçoivent comme des gens embarrassants. Ils ne songent qu’à se débarrasser d’eux. Il n’y a qu’un lieu qui les accueille, c’est leur maison. Et c’est ce qui est tragique, pour Mouchette, car cette maison est pleine d’anti-valeurs : « Que craindre au monde, sinon la solitude et l’ennui ? Que craindre, sinon cette maison sans joie ? »
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Ces observations discursives nous permettent de dégager les transformations qui sont l’effet d’une rencontre, et nous avons remarqué que ces rencontres sont événementielles (rencontre-événement
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). Parmi ces transformations, nous verrons seulement celle que subit Mouchette. Mouchette se transforme un matin du mois de juin, après avoir rencontré M. le marquis. Cette rencontre lui permet d’orienter son désir jusqu’ici resté immanent. Elle sera l’objet de notre analyse au chapitre 1er de la troisième partie de ce présent travail.
Notes
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‘La rencontre-événement’ doit avoir plusieurs conditions : 1) les personnages doivent subir une transformation à cause de l’aspect surprenant d’une rencontre (voir schémas II.4.3.1.a et b) ; 2) les personnages doivent recevoir un appel particulier au moment du premier contact (voir II.4.2.2) ; 3) les personnages doivent avoir un temps d’interprétation pendant ou après la rencontre où ils sont traversés par l’objet parlé (voir II.4 et IV.2) ; 4) on doit voir apparaître une re-catégorisation du statut de ces personnages (voir schéma II.4.3.2.B.c)