1.2 Sémantique discursive
L’observation du déplacement des personnages nous permettra de repérer les valeurs qui s’attachent aux trois figures d’acteurs dans leur programme.
- i)
Le
parcours figuratif de Mouchette
autour de la valeur ‘liberté’ : Son parcours se traduit dans le roman par ses déplacements, et la valeur liberté prend plusieurs figures : ‘une autre route droite, inflexible et sans retour’
141
, ‘chez le marquis’, ‘l’avortement’, etc. En effet, elle fuit ceux qui la rendent malheureuse
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. Mais à chaque fuite, elle rencontre un autre obstacle, de sorte qu’elle retourne chez elle avec un élément de plus qui la rend malheureuse. Autant elle se déplace, autant se multiplient et s’entassent les figures de malheur chez elle. Par exemple, la rencontre heureuse avec Cadignan la conduit à concevoir un enfant, ce qui scandalise ses parents. Sa première fuite auprès de Cadignan se termine par un meurtre. Avec ces deux soucis, elle va auprès du docteur Gallet qui la rend folle à la fin de leur rencontre. Au terme du prologue, le problème de l’avortement est résolu, mais elle devient folle, avec le secret de son meurtre. Enfin, lors de la rencontre avec l’abbé Donissan, celui-ci lui apprend qu’elle n’est pas responsable de son meurtre. Alors, elle fait un vrai cheminement vers la liberté (la vérité) par rapport au meurtre, et à sa folie. Elle reconnaît enfin sa vérité, et se suicide, en appelant Satan au secours. A ce moment tragique, l’abbé Donissan intervient et la transporte au pied de l’église. On peut dire que le parcours de Mouchette est transformé : son parcours initiale à la recherche de liberté devient recherche de vérité par la rencontre avec l’abbé Donissan.
- ii)
Le parcours figuratif de Donissan
autour de la valeur de ‘sainteté’ : Son parcours se traduit aussi par des déplacements. Il se déplace ou bien soit pour un rendez-vous, ou bien soit pour répondre à l’ordre d’un tiers. Au début, l’abbé Menou-Segrais lui montre un but à poursuivre : la sainteté, et Donissan organise ensuite tout son parcours autour de cette figure. Premièrement, Donissan conçoit un ‘combat contre Satan’ pour sauver les pécheurs. Avec ce but, il part à l’église d’Etaples où il est appelé pour des confessions. Sa route n’aboutit pas à Etaples puisqu’il s’est égaré. C’est sur le chemin de retour vers Campagne qu’il rencontre trois personnages. Au cours des deux premières rencontres, il a une vision mystérieuse, et lorsqu’il rencontre Mouchette, il utilise cette vision en vue du ‘salut’ de la pécheresse, Mouchette. Celle-ci se suicide après leur rencontre et, à cause du scandale créé par cet événement, l’abbé Donissan est envoyé à la Trappe sur l’ordre de l’évêque. En trois rencontres, Donissan devient visionnaire, mais cette vision (qu’il considère comme un signe de sainteté) perd sa valeur avec le suicide de Mouchette.
Quand il vient à Lumbres, il reçoit le surnom de ‘saint’ malgré lui. Et il est appelé par Mme Havret pour faire un miracle. A l’entrée de la maison, le curé de Lumbres entend une voix mystérieuse qui lui fait croire qu’il est capable de réaliser ce miracle. Ensuite, encouragé par son dialogue avec l’abbé Sabiroux, il entre dans la chambre de l’enfant mort, avec cette confiance. SSS laisse paraître divers points de vue sur cet événement. Le curé de Lumbres lui-même doute, et laisse un témoignage incertain
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. Il quitte la chambre croyant que le miracle a eu lieu, et il repart vers Lumbres. Cependant il apprendra, sur le chemin de retour, par l’abbé Sabiroux qui le rejoint, que l’enfant n’est pas ressuscité, et que Mme Havret est devenue folle. Cependant à cette nouvelle, le curé de Lumbres retrouve son ‘espérance’
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et, retournant à Lumbres, il meurt dans son confessionnal. La figure de la ‘sainteté’ revient dans le dernier discours du curé
145
.
Dans son parcours, l’abbé Donissan, traversant deux rencontres-événements
146
, trouve la vraie signification de la sainteté dans l’espérance qu’il a délibérément laissée (refusée en vue du salut des pécheurs) au départ de son parcours.
- iii)
Le parcours figuratif de Antoine Saint-Marin
aurour de la valeur ‘paix’ : Son parcours entier est caractérisé par un déplacement à la recherche d’une preuve de la sainteté du saint à miracles. En réalité, il fuit la terreur de sa mort proche
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. Il vient à Lumbres et voit tour à tour les traces de la sainteté. La première trace, ‘deux gros souliers béants’ (p.261) fait exalter Saint-Marin, puisqu’il a trouvé là un sens idéal qu’il partage. Par contre, la deuxième trace ‘la muraille rougie’ (p.262) provoque en lui l’effoi. Cette fois il ne trouve pas un sens convenable, sinon un combat effrayant. Nous pouvons l’observer au cours de sa discussion avec l’abbé Sabiroux après la visite de la chambre du curé de Lumbres
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. La troisième trace qu’il trouve est l’ambiance paisible de l’église. Encouragé par cette ambiance, il imagine sa mort heureuse, et il fait des projets. Mais ses projets ne sont possibles que s’il a une preuve de la sainteté du curé en laquelle il met son espoir. C’est ainsi qu’il ouvre la porte du confessional où il découvre une face terrible qui l’appelle à continuer sa recherche de ‘la paix’. Là où il ne voit pas la figure de la ‘Paix’, le saint encourage sa recherche !
Après avoir envisagé les deux éléments : syntaxe et sémantique discursives, étudions la structure narrative.
Notes
142.
p.25 : « Que craindre au monde, sinon la solitude et l’ennui ? Que craindre, sinon cette maison sans joie ? »
143.
p.239-240 : « Nous ne tenons du saint de Lumbres lui-même qu’un récit très court, ou plutôt des notes écrites à la hâte, et dans un désordre d’esprit voisin de délire (...) ‘... Oui ! pendant un espace de temps que je n’ai pu fixer, le cadavre à paru revivre. Je l’ai senti tout chaud sous mes doigts, tout palpitant. Le petite tête renversée en arrière s’est retourné vers moi... J’ai vu (...)’ »
147.
p.255 : « L’heure est venue où le besoin survit à l’appétit, dernière énigme du sphinx charnel... C’est alors qu’entre ce vieux corps inerte et la volupté vainement pressée, la mort se leva, comme un troisième camarade. »