B) Exemples illustrés

L’abbé Menou-Segrais lors de son 2ème entretien avec l’abbé Donissan explique à ce dernier la place du prêtre par rapport à ses penitents lors d’une confession. Il construit une structure ternaire rappelant un Tiers : « Entre le prêtre et le pénitent, il y a toujours un troisième acteur invisible qui parfois se tait, parfois murmure, et tout soudain parle en maître. Notre rôle est souvent tellement passif ! » 169 Dans cette relation, une circulation de communication entre trois est possible sans réduire l’un ou l’autre personnage à l’état d’actant-objet, et ce tiers est invisible. Dans SSS, le tiers-témoin peut observer dans des lieux figurals :

  • i) Au pied de l’église  : l’abbé Donissan peut entrer dans le type d’‘adversaires énigmatiques’ pour ses opposants (l’évêque du lieu, le père Malorthy, le docteur Gallet, etc.) lorsqu’il transporte le corps moribond au pied de l’église selon le dernier désir de Mouchette. Ou bien il est le tiers témoin par rapport à sa rencontre avec Mouchette. Expliquons. Leur 1ère rencontre se termine par la fuite de Mouchette poussant le cri muet, entrant chez elle, elle se suicide. La lettre de l’évêque rapporte un scandale que Donissan a provoqué : malgré l’opposition des parents de Mouchette, il l’emporte au pied de l’église selon le désir de ce dernier. En agissant ainsi, il est devenu le témoin de sa rencontre avec Mouchette. Dans ce cas, Donissan devient le tiers-témoin à travers sa rencontre-événement avec Mouchette.
  • ii) La scène chez Havret alterne entre deux écritures : le récit proprement dit et le récit rapporté par les écrits documentaires de l’abbé Sabiroux sur l’événement qu’il a vécu, dont il est le témoin officiel. Cependant il n’y a pas de témoignage direct sur ce qui se passe chez Havret. Mme Havret est l’unique témoin de cet événement, mais ce n’est pas elle qui en témoigne, puisqu’elle devient folle. Quant à l’abbé Sabiroux, il a le devoir de témoigner auprès de l’évêché d’un événement auquel il n’a pas assisté. Dans son témoignage, comme dans celui de « la lettre de l’évêque », manque le rapport de ce qui s’est passé exactement. Ce manque pose une question sur la véridiction des témoignages. Cette abscence d’un témoin direct amène le lecteur à prendre la place d’un tiers témoin.
  • iii) A Lumbres , l’abbé Sabiroux conduit deux personnages : Saint-Marin et le docteur Gambillet, et leur fait visiter la chambre du curé de Lumbres. Il leur montre la vie intime du curé et témoigne de la vie de ce curé selon ce qu’il en sait : sa vie simple, ses exercices de pénitence... Après la visite, pendant le dialogue entre Saint-Marin et l’abbé Sabiroux, celui-là questionne ce dernier sur l’essentiel de la foi. Or la foi est justement ce qui manque à l’abbé Sabiroux 170 . Cette question révèle chez l’abbé Sabiroux un manque essentiel qui le fera tatônner dans son témoignage jusqu’à sa mort 171 .
  • iv) Au confessional , Saint-Marin affronte ‘une face terrible’. Dans son itinéraire, sentant approcher sa mort, Saint-Marin vient à Lumbres pour rencontrer d’un saint à miracles espérant, par la magie du saint, vivre une mort tranquille. Mais au lieu de le voir, il rencontre les traces (objets) de ce saint qui lui font voir la réalité souffrante d’un saint. Ces traces lui donnent le vertige de sa propre mort. Au moment où il découvre ‘la face terrible’, il devient témoin de cette mort cependant d’une part ce témoignage est celui d’un professeur ironie. D’autre part, ce que Saint-Marin a cherché est là (présent) devant lui, mais n’est pas là (absent). Dans cette situation complèxe, le saint l’invitant à continuer sa quête, témoigne que c’est bien sur ce chemin-là qu’il trouvra ce qu’il désire.

Notes
169.

p.180

170.

p.267

171.

p.213 : « la féroce ironie du vrai »