La première partie de ce travail nous a éclairée sur les points suivants : a) conception par Bernanos de SSS et des personnages ; b) volonté de l’auteur qui espère à transmettre son témoignage à travers ses écritures (concernant la vérité authentique) aux publics de son temps agité par les grandes guerres, par les diverses idéologies et par les multiples tendances politiques d’après-guerre ; c) réception du roman par le public (ses lecteurs) à travers l’observation des critiques littéraires de 1926 à 2006 (chapitre1 et 2).
Nous avons ensuite rassemblé, mis au point, les problématiques posées par les critiques littéraires et présenté la structure de SSS conçue par les deux bernanosiens qui ont étudié l’un l’aspect du structuralisme et l’autre l’aspect du dialogisme : Brian T. Fitch, André Not (chapitre 3). Puis, nous avons construit pour notre part une structure de SSS à la manière sémiotique (chapitre 4) et, à la fin de cette 1ère partie, nous avons constaté que SSS est entièrement construit comme une succession de rencontres.
Ces observations nous ont permis de justifier les hypothèses de la présente étude donc de construire une structure de la ‘rencontre’ à partir des études dans SSS, de comprendre combien une oeuvre (comme SSS) peut susciter chez de multiples lecteurs tout au long de l’histoire de l’existence d’un livre tant de significations aussi diverses, aussi riches.
« Mon livre était déjà parti bien loin avant que Léon Daudet ait écrit dans le journal » (dans Guy Gaucher, Bernanos tel qu’il était), cette remarque de Bernanos montre la priorité de la place donnée aux lecteurs pour une oeuvre avant même que les critiques n’en parlent. En effet, SSS (sorti en librairie au début du mois d’avril) a eu de multiples lecteurs avant même qu’il n’y ait la salutation de Léon Daudet donnant son avis favorable dans l’Action française du 7 avril 1926.
Pourquoi tant de lecteurs pour ce petit livre ? La réponse doit-elle être cherchée dans la parole de l’auteur lui-même ? : « Je ne voulais pas mourir avant de témoigner... » Témoigner de quoi, et s’il s’agit d’un témoignage, pourquoi a-t-il choisi le genre de roman ?
Si Bernanos a choisi le roman comme moyen de faire connaître son témoignage, ce roman doit être considéré comme une métaphore de son désir profond de recherche de la vérité authentique. Dans ce cas, lire ce roman serait aller à la rencontre d’un désir que Bernanos se livre par le moyen de l’écriture.
Si l’on considère l’acte de lecture comme ‘Aller à la rencontre d’un désir’ ... lire un roman ne serait surement pas pour une nouvel acquisition d’un pur savoir, mais plutôt cela concernerait l’attitude du lecteur pour sa lecture ou présupposerait le désir (le vouloir) chez le lecteur pour son éventuelle rencontre à travers une lecture ...
Lorsque les rationnalistes se moquent des représentations de tel ou tel personnage dans SSS (que de rumeurs et de scandale pour les critiques littéraires dès la parution de SSS) et se sentent ridiculiser lorsqu’ils entendent faire des éloges de ce livre, (comme nous allons le découvrir dans l’analyse de ‘la lettre de l’évêque’ par rapport au scandale provoqué par Donissan), la réponse des lecteurs attentifs était déjà là qui prouve le succès du roman : 75.000 exemplaires sont tirés jusqu’en 1936 172 . Cette réponse des lecteurs, ce n’est pas (parce) que ce roman a apporté quelque chose de bénéfique à leur raison ou à leur savoir, mais peut-être parce qu’il a rencontré leur désir en cours de lecture, ... c’est le témoignage d’une rencontre du désir de l’énonciateur et du désir de l’énonciataire, c’est la preuve que le désir du lecteur a rencontré le désir d’un témoin-auteur, ... c’est aussi de cette recontre de deux désirs (ou contre-désirs) dont témoignent ces multiples écrits de la critique littéraire que nous venons d’observer tout au long de cette 1ère partie.
Décrire ainsi l’acte de lire, comme une rencontre de deux désirs, n’est-ce pas dire que ce sont les lecteurs qui sont invités (impliqués) à faire (expérimenter) cette heureuse rencontre qui nous prépare un festin riche de significations !
Cependant avant d’entrer pleinement (à notre tour) dans cette rencontre, puisque le désir de l’auteur ne peut se lire que dans ses représentations figuratives, nous nous attarderons un peu pour identifier ce qu’est la lecture figurative et la ‘Figure’. La question n’est pas simple puisque le terme ‘Figure’ s’emploie dans des sens différents. Dans la 2ème partie, les différentes théories de la figure dans les diverses disciplines seront étudiées et le terme mis à notre disposition nous permettra de construire à la fin de la 2ème partie ‘un modèle figuratif de la rencontre’. Il servira ensuite comme guide de lecture pour l’analyse des textes de la 3ème partie.
Joseph Jurt, 1980, p.307