C. Le principe traduisible (problème de la catachrèse : figure ou non ?)

G.Genette rappelle qu’à travers la querelle de la catachrèse, Fontanier éclaire le lien entre usage et figure. En effet, Fontanier s’est opposé à la définition de Dumarsais pour celui-ci la ‘catachrèse’ 222 est une figure, définit comme un abus ou une extension du sens. Fontanier, lui, estime la catachrèse ‘contraire au principe même de la théorie des figures’ :

‘« La catachrèse est un trope forcé, imposé par la nécessité, c’est-à-dire par manque de mot propre. » 223

Cette idée du manque qui fait des figures les ‘filles de la disette et de la nécessité’, doit être attribuée à Cicéron et Quintilien. Cependant le statut de la catachrèse reste ambiguë pour les rhétoriciens. Fontanier 224 pour sa part, distingue d’abord la recherche des causes et l’analyse des fonctions, et donne la priorité à l’emploi actuel d’un trope plutôt qu’à son origine. Par conséquent, la catachrèse est bien un emploi, actuellement forcé de telle ou telle des trois grandes espèces de figures (métaphore, synecdoque, métonymie) faute du mot propre. Pour Fontanier, on peut lui donner le nom de ‘figure’ à condition que les figures soient d’un usage libre (parole), et non pas imposées par la langue (usage codé). Pour qu’il y ait une figure, il faut au moins deux termes à comparer, et ‘un espace où la pensée puisse tourner.’ Par conséquent :

‘« La catachrèse pied de table est bien un trope, puisqu’elle emploie à propos d’une table un mot primitivement réservé au corps humain, et qu’elle détourne ce mot de sa signification initiale : et à ce titre elle intéresse l’histoire (diachronique) de la langue. Mais elle n’est pas un trope-figure, puisque je ne puis proposer aucune traduction du mot pied, faute d’un autre mot : elle n’intéresse pas le code (synchronique) de la rhétorique. » 225

Ainsi une fois repéré le principe traduisible de la ‘figure’ afin de limiter les abus, G.Genette présente les définitions de la figure à l’époque classique. Pour Domairon, une figure est ce par quoi « nous présentons l’image d’un objet » 226 . Fontanier appelle ‘figure’ le dialogue de la fable Le Loup et le Chasseur 227 , le poète a en effet « ôté les transitions qui sont d’usage entre les parties d’un dialogue... afin d’en rendre l’exposition plus animée et plus intéressante » 228 . G.Genette montre ainsi que la rhétorique fabrique des figures, mais en même temps qu’il y a des limites pour cette liberté d’instauration parce qu’il y (lui) impose le critère implicite (la traduisibilité).

Notes
222.

par exemple une feuille de papier, un pied de table.

223.

G. Genette, 1966, p.212

224.

il est considéré comme le Saussure de la rhétorique puisqu’il donne plus d’importance à la fonction du langage qu’à son origine

225.

G. Genette, 1966, p.213. Dans les études sémiotiques, cette problématique est posée autrement. Si le code de la rhétorique n’intéresse pas ‘pied de table’ faute de la traduction (dans l’étude des mots), J.Geninasca (se référant à l’étude de Greimas et de Pottier) se situant dans une perspective intentionnelle, par rapport à l’ordre de la signification, voit que ‘pied de table’, ‘tête d’épingle’, ‘siège avec dossier’ sont bien des figures qu’on peut interpréter dans un contexte plus large, grâce aux études sémiques. Voir La parole littéraire, p.20-22.

226.

Par exemple, Théramène décrit le ‘monstre furieux’ par quatre vers au Ve acte de Phèdre. Dans ce cas, la description remplace une simple désignation.

227.

La Fontaine donne un dialogue: « Jouis. – Je le ferai. – Mais quand donc ? – Dès demain. »

228.

G. Genette, 1966, p.214