La figure greimassienne a son origine chez Hjelmslev pour qui elle est non-signe 268 . Le signe composé par le couple saussurien signifiant/signifié, change d’aspect chez Hjelmslev. Ce dernier considère le signifiant et le signifié comme deux plans autonomes du langage : le plan de l’expression et le plan du contenu. Chacun de ces deux plans (expression et contenu) se divise encore en deux genres : substance et forme. C’est la solidarité de deux formes donc celle de l’expression et celle du contenu, qui constitue la fonction sémiotique 269 . Les ‘figures’ sont donc des unités qui se constituent séparément, soit sur le plan de l’expression soit sur le plan du contenu.
Greimas dès le départ de son élaboration, dans son livre Sémantique structurale 270 , souscrit à la notion du signe hjelmslevien. Dans cet ouvrage, Greimas propose deux études lexématiques : celle du ‘siège’ chez Pottier et celle de la ‘tête’ chez Greimas. Il estime la problématique du lexème insuffisante pour être considérée comme unité minimale pour l’analyse textuelle. Il substitue le sémème au lexème. Le sémème n’est donc pas l’équivalent du mot mais est considéré comme un effet de sens, défini comme la combinaison du noyau sémiotique et des sèmes contextuels 271 . L’auteur réserve le nom de ‘figure’ au noyau sémique appellée ‘figure nucléaire’ 272 , tandis qu’au sème contextuel il donne le nom de ‘classème’, terme emprunté à Pottier 273 . Plus tard, Greimas donne dans son Dictionnaire... la définition de la ‘figure’ :
‘« en réservant ce terme aux seules figures du contenu qui correspondent aux figures du plan de l’expression de la sémiotique naturelle (ou du monde naturel) ; la figure nucléaire ne recouvre que la partie figurative du sémème, à l’exclusion des sèmes contextuels récurrents (ou classèmes). Une telle conception de la figure la rapproche de la Gestalt, de la théorie de la forme et de la figure bachelardienne, à cette différence près, toutefois, que la figure sémiotique est à considérer comme une unité seconde, décomposable en ces unités simples que sont les termes des catégories figuratives (phèmes ou sèmes). » 274 ’Le classème, chez Greimas, considéré indépendamment de la figure nucléaire, est le constructeur principal de l’isotopie qui garantit la totalité de signification d’un message ou d’une séquence quelconque du discours 275 .
Greimas réintroduit la ‘figure’ dans la dimension discursive dans l’article « Les actants, les acteurs, et les figures » 276 . Tout en insistant sur l’urgence de la théorie discursive, Greimas situe l’analyse narrative tout entière sur le plan du signifié. Il considère que les formes narratives sont des organisations particulières de la forme sémiotique du contenu. Il introduit ainsi le concept de ‘figure’ (du côté sémantique) en le rapprochant de l’acteur. Ce dernier a une situation comparable dans la syntaxe avec le ‘lexème nominal’. En effet, l’actant narratif est de nature syntaxique, tandis que l’acteur discursif est de nature sémantique :
‘« un acteur ne fonctionne comme actant que lorsqu’il est pris en charge soit par la syntaxe narrative, soit par la syntaxe linguistique. Par rapport à ses emplois syntaxiques, il se trouve dans la situation comparable à celle d’un lexème nominal qui se plie à toutes les manipulations de la syntaxe. (...) on constate immédiatement que ces figures ne sont pas des objets fermés sur eux-mêmes, mais qu’elles prolongent à tout instant leurs parcours sémémiques en rencontrant et en accrochant d’autres figures apparentées, en constituant comme des constellations figuratives ayant leur propre organisation. » 277 ’Dans cet article, Greimas emploie tantôt le terme de ‘parcours sémémique’ tantôt celui de ‘réseau figuratif’ pour désigner ‘le parcours figuratif’ qui constitue des configurations discursives, ou figures du discours (au sens hjelmslevien). En effet, le terme ‘parcours figuratif’ vient du domaine de la recherche thématique de Gaston Bachelard à Jean-Pierre Richard. Avec l’emploi de ces termes, Greimas en vient à introduire dans l’univers de l’analyse textuelle les études de ‘motif’ et de ‘thématique’. Cependant, il les soumet aux exigences du parcours génératif. Cette soumission oblige à une double réduction pour arriver au ‘rôle thématique’ sur le plan discursif : la première est une réduction de la configuration discursive au seul parcours figuratif ; la deuxième est une réduction de ce parcours à un agent compétent qui le subsume virtuellement. Ainsi, la structure actorielle apparaît comme une structure topologique : tout en relevant à la fois de la structure narrative (rôle actantiel, transformation) et de la structure discursive (rôle thématique), cette structure actorielle n’est que le lieu de leur manifestation, n’appartenant en propre ni à l’une ni à l’autre 278 .
Si Greimas introduit la notion de ‘figure’, c’est pour introduire dans son parcours génératif la dimension thématique.
Louis Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage, Paris, Minuit, 1968-1971, p.64 ; A.J. Greimas, Dictionnaire..., p.148-9, article « Figure »
L. Hjelmslev, 1968-1971, p.77 ; A.J. Greimas, Dictionnaire ..., p.66, article « contenu ».
A.J. Greimas, 1966, p.10.
A.J. Greimas, 1966, p.45.
A.J. Greimas, 1966, p.45-49, sutrout p.49 « Nous désignons un tel noyau sémique, caractérisé par les relation hiérarchiques entre les sèmes qui le constituent et ne dépassent pas les dimensions d’un lexème, comme une figure nucléaire simple (Ns = s1 → s2). Si, au contraire, les relations hiérarchiques entre les sèmes s’étendent sur deux ou plusieurs lexèmes d’un syntagme, comme c’est notamment le cas pour les séquences du type ‘tête d’un arbre’ : Ns = (s1 → s2) → s3, nous dirons que la figure nucléaire est complexe. »
A.J. Greimas, 1966, p.53.
A.J. Greimas, Dictionnaire ... p.149.
A.J. Greimas, 1966, p.53.
A.J. Greimas, « Les actants, les acteurs et les figures » Du sens II, Paris, Le Seuil, 1983, pp. 49-65. (surtout p.58-65)
A.J. Greimas, Du sens II, p.59
A.J. Greimas, Du Sens II, p.66