Nous avons remarqué plus haut que Greimas (dans l’article « Les actants, les acteurs, et les figures ») introduit la ‘figure’ grâce à l’acteur. Pourtant dans l’évaluation de la réflexion théorique de Greimas, les figures s’inscrivent d’abord dans le prolongement de l’analyse lexicologique, et l’acteur est associé au projet d’une grammaire narrative. L’acteur nait et meurt dans l’espace discursif, reconnaissable dans des discours particuliers (comme des structures à investir, susceptibles de transformations), tandis que les figures semblent n’être convoquées ou reconnues qu’à la manière de lieux déjà investis. Ainsi toutes les figures nominales (animées ou non animées) sont autant d’acteurs virtuels. L’acteur ne correspond pas toujours à un formant de la sémiotique naturelle. L’opposition des figures et des acteurs, selon Greimas, a pour effet de radicaliser une limite que l’introduction du rôle thématique présente comme franchissable entre les figures établies par l’usage, théoriquement codifiables //, et les figures en voie de construction que sont les personnages du roman. C’est en vue d’insérer la dimension discursive dans le parcours génératif, que Greimas fait une double réduction. Il réduit la problématique de la figure et de l’acteur à un seul « rôle thématique ». Enfin, il définit l’acteur comme une ‘structure topologique’ munie d’un rôle thématique et d’un rôle actantiel. C’est le problème de composantes de la ‘structure topologique’ que soulève J.Geninasca. Pour lui dans cette structure, il manque une dimension propre au discours :
‘« comment se fait-il que la ‘structure topologique’ dont la fonction est d’assurer la médiation entre les deux niveaux complémentaires du parcours génératif ne trouve pas sa place dans ce qui devrait être le modèle de génération des discours ? La formule de la stucture actorielle, A (x;y), est évidemment commune aux acteurs figuratifs et aux acteurs non figuratifs. Il s’ensuit que la structure topologique présupposée par les investissements, quels qu’ils soient, est antérieure à la distinction figuratif/non figuratif et qu’elle sert à poser une grandeur du monde naturel, que son investissement modal soit ou non suspendu, comme elle permet d’assurer l’identité de variable d’un acteur non figuratif. » 292 ’De cette problématique vient le terme ‘figural’ que J.Geninasca lie en premier lieu à ‘la mémoire du récit’. L’identité d’une grandeur figurale est indépendante de ses mutations et de ses métamorphoses, mais est liée à l’acte d’énonciation. Par exemple, ‘banc’ et ‘un morceau de bois pourri’ peuvent être identifiés par un acte mnésique à travers l’acteur Jeanne qui le reconnaît, dans『Une vie』de Maupassant. Les grandeurs discursives (que sont figure ou acteur) n’ont d’existence que par et à travers la parole qui les pose, et qui décide des organisations isotopes dans le discours. La troisième détermination de la figure en discours, les prédicats, se trouve ici dans l’actualisation discursive (assertive ou dénégative d’un formant). Elle ne dépend pas de l’actualisation référentielle (consistant à insérer l’existence d’une figure dans un espace-temps donné), dont on peut produire un énoncé sans se soucier du savoir associé grâce à l’acte d’énonciation : par exemple, on peut produire un énoncé en parlant d’un ‘couteau sans manche auquel il manque la lame’. Par là, J.Geninasca illustre la combinaison de deux logiques contradictoires : assertion et dénégation. Cet exemple montre qu’une fois les ‘figures’ inscrites dans un discours, leur réalité est indépendante de leur existence référentielle. Donc on peut définir la « figure » selon un double statut : son identité comparable à celle des lexèmes du trésor lexical (qui a deux investissements lexématiques), mais aussi comparable à celle de l’acteur instauré par le récit (les prédicats). Par conséquent, au moment de l’inscription dans le discours, l’instance d’énonciation commence par restituer au formant son statut premier de ‘structure topologique’ (débrayage premier) dont l’identité est indépendante des virtualités relationnelles (afférences ou valences). Restitués à leur existence de variables, les formants convoqués dans le discours sont des lieux en formation, en devenir. Il en va de même des variables actorielles.
‘« Une fois installé dans un discours (munie d’une identité figurale : identité première), une grandeur figurative peut se voir attribuer une identité seconde, soit à partir de prédicats configuratifs dont on admettra qu’ils sont nécessaires et suffisants à la reconnaissance de la grandeur posée, soit encore par rapport à tel dispositif modal : c’est ainsi que l’identité du sujet sémiotique semble devoir être définie comme une structure inscrivant, en un lieu figural déterminé, les rôles actantiels qui font d’un acteur donné un sujet du croire qualifié pour le contrat. » 293 ’Ainsi J.Geninasca ajoute la troisième dimension de la figure (figurale) dans la définition d’acteur de Greimas : ‘une structure topologique’ (rôle actantiel + rôle thématique + sujet d’énonciation). Il oriente la sémiotique objectale greimassienne vers une sémiotique interprétative où le sujet sémiotique a sa place. Ainsi avec J.Geninasca, la ‘figure’ en discours (les grandeurs figuratives) devient un chantier où advient le sujet récepteur (énonciataire). Ce dernier est également le sujet du croire dans la mesure où il est amené à assumer les propositions sémantiques du discours. Donc avec la dimension figurale de J.Geninasca, la figure est débrayée du monde référentiel du sujet lecteur. Débrayé de son monde référentiel, le sujet est invité à considérer une nouvelle figure que le texte est en train de faire naître.
Avec cette notion figurale, la sémiotique rejoint la notion de connotation citée à la fin de l’étude sur la figure en rhétorique, figure poétique :
‘« lorsqu’une figure poétique a passé dans l’usage littéraire au point d’avoir perdu tout pouvoir d’évocation concrète 294 , sa valeur connotative ne s’évanouit pas pour autant, car elle garde pour tâche, par sa seule présence et par une vertu devenue toute conventionnelle, de signifier la Poésie. C’est ici qu’intervient le code de la rhétorique.» 295 ’Ainsi dans la théorie de la figure, il y a une mise en place du sujet : convocation de l’énonciation, dont parle J.Geninasca, présence de l’acte de langage. Nous rejoignons là le troisième sens de Roland Barthes.
Les trois dimensions de la figure dégagées par J.Geninasca seront largement déployées dans les études bibliques.
J. Geninasca, 1985, p.210.
J. Geninasca, 1985, p.213.
voile pour navire, fer pour épée, flamme pour amour, etc…
Figures I, p.219-220